N° 1947
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à protéger les travailleuses et travailleurs de la mer à terre en reconnaissant la pénibilité de leur activité et en encourageant la transmission de leur savoir-faire,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Damien GIRARD, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Arnaud BONNET, M. Michel CASTELLANI, M. Alexis CORBIÈRE, M. Philippe FAIT, M. Olivier FALORNI, M. Charles FOURNIER, Mme Karine LEBON, M. Laurent LHARDIT, Mme Sophie PANONACLE, Mme Marie POCHON, Mme Sandra REGOL, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Claudia ROUAUX, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, Mme Dominique VOYNET,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« L’autre jour à la pause j’entends une ouvrière dire à un de ses collègues tu te rends compte aujourd’hui c’est tellement speed que j’ai même pas le temps de chanter » Je crois que c’est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière. » écrit Joseph Ponthus, écrivain et travailleur de l’agroalimentaire dans le Morbihan, dans : « À la ligne ».
Ses mots dressent avec cet ouvrage un tableau réaliste et cru de la pénibilité au travail dans ce secteur, et de son insuffisante prise en compte par les pouvoirs publics.
Cette simple phrase, qui dit l’empêchement de chanter, dit aussi l’absence de respiration, de dignité et de temps pour soi, autant de libertés élémentaires qu’un travail ne devrait jamais arracher à celles et ceux qui le font vivre.
À Lorient, dans le Morbihan, en Bretagne, dans l’Hexagone comme dans le reste du territoire français, la pêche est une économie mais aussi une identité. Elle ancre le territoire dans son environnement et participe entièrement à la vie sociale et productive du territoire.
Ainsi, malgré la tertiarisation de l’économie, Lorient est, aujourd’hui comme hier, la ville aux six ports et inscrit son futur dans cette identité forte.
Le métier des pêcheurs est difficile. La convention collective de la pêche professionnelle maritime, bien que largement perfectible, reconnaît à juste titre la pénibilité de ce travail souvent nocturne, dangereux, violent pour le corps et l’esprit.
Une fois ramené à terre, le poisson est ensuite pris en charge par les fileteurs et les mareyeurs. Emplois historiques des ports, ces métiers ont pour vocation de transformer le poisson et d’en assurer la vente.
Ce sont des métiers techniques, nécessitant une formation sur les gestes et les types de poissons à reconnaître en un clin d’œil. Ils sont pénibles, tant par les amplitudes horaires que par l’exposition au port de charge lourde, à des gestes répétés, à l’humidité et au froid.
Pourtant, ceux‑ci sont largement invisibilisés. Le cadre légal actuel ne permet donc pas de compenser leur pénibilité à la hauteur de ses dégâts et de recourir de façon satisfaisante aux dispositifs prévus comme le compte professionnel de prévention.
Cette situation est générale. Plusieurs réformes du code du Travail et de la protection sociale depuis 2016 freinent la compensation de la pénibilité pour les travailleurs. Ainsi, au 2 janvier 2022, seulement 11 367 salariés ont consommé des points du dispositif du compte professionnel de prévention (C2P) depuis sa création alors que près d’un million et demi de salariés sont titulaires d’un compte pourvu de points d’après la ministre du Travail.
Les spécificités du travail des fileteuses et des mareyeurs accentuent cette dynamique globale. Ni la répétitivité des gestes qui abîment les poignets, épaules et coudes, ni l’humidité et le froid, ni le poids des poissons à porter ne sont reconnus comme pénibles. Seul le travail de nuit l’est, alors que la plupart commencent à six heures et connaissent donc des horaires atypiques pourtant non reconnus comme nocturnes. Ainsi, un mareyeur auditionné raconte son désarroi de ne pas être reconnu à la crèche de ses enfants faute d’avoir le temps de venir les y chercher d’ordinaire. De même, les fileteuses de Capitaine Houat observent chaque année des licenciements pour inaptitude du fait des gestes répétitifs dont les dégâts sur leur corps ne sont pourtant pas reconnus.
Si des accords collectifs peuvent soutenir la rémunération, notamment par la prime d’ancienneté, le salaire moyen en début de carrière est souvent limité à quelques centimes supplémentaires au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) horaire. L’absence d’éléments de rémunération spécifique dans la convention collective fragilise les acquis sociaux obtenus sur certains sites de production et illustre l’absence de dialogue social vivant. Les perspectives d’évolution sont limitées à trois niveaux de rémunération.
C’est pourquoi ces activités connaissent une crise des vocations et de la transmission. Elles demandent une formation exigeante pour une rémunération sans commune mesure avec l’impact sur le corps et le rythme de travail. Le recours à des intérimaires, moins qualifiés, constitue un recours expéditif et temporaire qui aggrave la perte de compétences essentielles pour l’économie de la mer dans sa globalité et d’un métier historique de nombreux territoires de pêches. Un patron mareyeur rencontré en audition résume ainsi la situation « entre les délais d’apprentissages sur le poste et les renoncements à cause de la pénibilité j’effectue deux embauches pour chaque départ afin de maintenir mon volume de production ».
Pourtant, fileteuses et mareyeurs sont fiers de leur métier. Ils se lèvent tôt et travaillent dur pour perpétuer une activité historique et nourrir la population. Ils sont un maillon essentiel de l’économie de la mer et le savent. C’est pourquoi ils souhaitent pouvoir transmettre leurs savoirs et compétences, notamment en fin de carrière, pour finaliser leur parcours professionnel et contribuer à lui donner du sens. C’est une des raisons pour lesquelles le reclassement loin de la ligne de production des salariés déclarés inaptes est difficile. Ceux‑ci ressentent ce reclassement comme un déclassement qui les assigne à une tâche perçue comme moins utile et ne permettant pas de transmettre à la nouvelle génération. Certaines et certains refusent alors ce reclassement et acceptent un licenciement sec, alors même qu’ils pourraient, dans un cadre adapté, effectuer une passation digne et davantage émancipatrice de leurs savoirs et compétences.
Employeurs comme salariés sont unanimes pour demander une valorisation de ces métiers par une meilleure prise en compte de leur pénibilité et un accompagnement de la puissance publique à la transmission des compétences. Celle‑ci demande en effet d’après les chercheurs Corinne Gaudard et Serge Volkoff un « temps de la transmission » spécifique dont les conditions doivent être mises en place et garanties.
Ainsi, la publication du référentiel professionnel de la branche des mareyeurs‑expéditeurs dans le cadre d’un véritable dialogue de la filière avec les partenaires professionnels, institutionnels et l’implication des organisations syndicales démontre l’importance de l’enjeu de la pénibilité et de la transmission pour la filière.
C’est pourquoi une juste prise en compte de la pénibilité du travail des travailleuses et travailleurs de la mer exerçant à terre est nécessaire pour assurer la justice sociale, la dignité au travail et la précieuse transmission des compétences liées à ces métiers.
C’est l’objet de la présente proposition de loi.
Son article 1er vise à imposer à la convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs de préciser les métiers dont l’exercice salarié permet un départ anticipé à la retraite et une compensation salariale du fait de l’exposition à des facteurs de risques professionnels et à des horaires atypiques.
Son article 2 vise à créer un fonds national pour la pérennité de la filière du mareyage, dont il apparaît nécessaire qu’il soit abondé au moins en partie par les recettes relatives aux parcs éoliens en mer en zone économique exclusive via le contrat stratégique de la filière pêche.
Son article 3 vise à permettre aux salariés relevant de la convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs de valider des trimestres de retraite par l’exercice d’une mission de tutorat et de transmission des savoirs et des compétences dont la moitié de la prise en charge serait assumée par le fonds national de l’article 2 de la proposition de loi afin d’inciter l’employeur à recourir à ce dispositif.
Son article 4 vise à permettre à un salarié relevant de la convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs déclaré inapte d’exercer une mission de tutorat et de transmission des savoirs et des compétences, comme alternative à un reclassement sur une activité détachée de la ligne de production, dont la moitié de la prise en charge serait assumée par le fonds national de l’article 2 de la proposition de loi afin d’inciter l’employeur à recourir à ce dispositif.
Son article 5 vise à permettre l’expérimentation d’un droit non opposable à la retraite progressive pour les salariés relevant de la convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs.
Son article 6 gage la proposition de loi à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à la taxe visée, dispositif permettant de signifier l’intérêt qu’aurait le fonds de l’article 2 à être abondé par les recettes relatives aux parcs éoliens en mer en zone économique exclusive via le contrat stratégique de la filière pêche.
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proposition de loi
Article 1er
La convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs précise, par accord collectif avant le 1er janvier 2027, les métiers pour lesquels l’exercice salarié justifie un départ anticipé à la retraite et une compensation salariale du fait de l’exposition à l’un des facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161‑1 du code du travail et d’horaires atypiques, défini comme le travail effectué entre 19 heures et 7 h30.
Article 2
I. – Il est créé un fonds national pour la pérennité de la filière du mareyage par la préservation des compétences et la juste prise en compte de la pénibilité.
II. – Les ressources de ce fonds, constituées par un versement annuel de l’État, sont fixées à 10 millions d’euros la première année.
III. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions de modalités d’application du présent article.
Article 3
I. – La convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs précise, par accord collectif avant le 1er janvier 2027, les conditions d’une expérimentation permettant aux salariés relevant de cette convention collective la validation de un à quatre trimestres de retraite par l’exercice d’une mission de tutorat et de transmission des compétences sur une durée allant jusqu’à un an dont la prise en charge serait assumée à moitié par l’entreprise et à moitié par le fonds national pour la pérennité de la filière du mareyage par la préservation des compétences.
II. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions modalités d’application du présent article.
Article 4
Lorsqu’un salarié relevant de la convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs est déclaré inapte par la médecine du travail en vertu de l’article L. 4624‑4 du code du travail, l’employeur peut lui proposer d’exercer une mission de tutorat et de transmission des savoirs et des compétences. Le salarié bénéficie alors d’un maintien de sa rémunération dont la prise en charge est assumée à 50 % par le fonds national pour la pérennité de la filière du mareyage par la préservation des compétences.
Article 5
L’employeur ne peut s’opposer à la demande d’un salarié relevant de la convention collective nationale des mareyeurs‑expéditeurs qui souhaite bénéficier d’une retraite progressive en application des articles L. 161‑22‑1‑5 à L. 161‑22‑1‑9 du code de la sécurité sociale.
Article 6
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à la taxe visée à l’article 1519 B du code général des impôts.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à la taxe visée à l’article 1519 B du code général des impôts.