N° 1948

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à la reconnaissance et à la prévention de la maltraitance inconsciente des enfants liée à l’exposition excessive aux écrans, à la mauvaise alimentation et à la sédentarité,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Justine GRUET, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Frédérique MEUNIER, M. Michel HERBILLON, M. Philippe GOSSELIN,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La santé des enfants, physique, mentale et sociale, constitue un capital collectif dont la Nation est la dépositaire. Ce « capital santé » se construit dès les premières années de vie, au sein de la cellule familiale, qui joue un rôle essentiel dans l’équilibre affectif, nutritionnel et psychologique de l’enfant.

Or, ce capital est aujourd’hui fragilisé par des comportements de la vie quotidienne, souvent adoptés sans conscience de leur nocivité : l’exposition précoce et excessive aux écrans, une alimentation déséquilibrée, et une sédentarité accrue. Ces facteurs entraînent des conséquences durables sur le développement global de l’enfant : troubles du sommeil, déficit de concentration, obésité, anxiété, dépression, et isolement social.

La santé mentale, reconnue comme Grande cause nationale 2025, met en lumière l’urgence d’agir collectivement face à l’augmentation des troubles psychiques chez les jeunes. Ces difficultés ne concernent pas uniquement les enfants issus de milieux fragiles : toutes les catégories socio‑professionnelles sont désormais touchées, signe que la question dépasse les clivages économiques ou territoriaux. La surexposition aux écrans, la perte de repères éducatifs, ou encore les rythmes familiaux désorganisés traversent aujourd’hui l’ensemble de la société.

Selon Santé publique France (2024), près de 40 % des enfants de moins de six ans passent plus d’1 heure 30 par jour devant un écran, malgré les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, qui proscrit tout écran avant deux ans et limite à une heure quotidienne l’usage entre deux et cinq ans. L’obésité infantile touche un enfant sur cinq en France, et un sur trois dans les foyers les plus modestes (INSEE, 2023). L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) estime par ailleurs que 87 % des enfants et adolescents ont une activité physique insuffisante.

Ces constats traduisent une forme de maltraitance inconsciente : non pas une volonté de nuire, mais un défaut d’information, de repères et d’accompagnement. Il ne s’agit pas de sanctionner, mais d’éduquer, de prévenir et de soutenir les familles, dans un cadre clair et non culpabilisant.

La présente proposition de loi poursuit trois objectifs principaux :

– reconnaître juridiquement la notion de maltraitance inconsciente, afin de permettre son repérage dans une approche éducative et préventive ;

– renforcer la prise en charge de la santé mentale des jeunes, en cohérence avec la Grande cause nationale 2025, et en intégrant ces enjeux dans la politique publique de santé et de protection de l’enfance ;

– valoriser la cellule familiale comme acteur central de la prévention, du développement du bien‑être et de la construction du capital santé des enfants.

Cette démarche s’inscrit dans une vision globale et universelle de la santé publique : promouvoir un environnement familial protecteur, prévenir les risques de dérive comportementale, et faire de chaque parent, quels que soient son milieu social, son niveau de revenu ou son lieu de vie, un acteur informé et accompagné pour donner à son enfant les meilleures conditions de développement.

 


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proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 221‑6 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 221‑6‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 22161.  Constitue une situation de maltraitance inconsciente le fait, pour une personne titulaire de l’autorité parentale ou assurant la garde d’un enfant mineur, d’exposer de manière répétée et non intentionnelle celui‑ci à des comportements ou environnements préjudiciables à sa santé physique, mentale ou sociale.

« Sont notamment visés :

« 1° L’exposition précoce ou excessive aux écrans numériques ;

« 2° Une alimentation manifestement déséquilibrée, inadaptée aux besoins nutritionnels de l’enfant ;

« 3° L’absence régulière d’activité physique entraînant une sédentarité pathologique.

« Ces situations appellent une démarche éducative et préventive, fondée sur la sensibilisation, le dialogue et l’accompagnement des familles. »

Article 2

Après l’article L. 226‑4 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 226‑4‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 22641 Lorsqu’un professionnel de santé, de l’éducation ou de la protection de l’enfance constate des signes manifestes de maltraitance inconsciente au sens de l’article L. 221‑6‑1, il peut effectuer un signalement éducatif auprès du président du conseil départemental.

« Ce signalement déclenche une évaluation à visée éducative et sociale, conduite conjointement par les services de protection maternelle et infantile et les services sociaux du département, sans inscription au registre des situations de maltraitance grave, sauf en cas de danger immédiat ou d’aggravation avérée. »

Article 3

Le signalement éducatif prévu à l’article L. 226‑4‑1 donne lieu, le cas échéant, à une proposition d’accompagnement parental comprenant :

1° Un programme de sensibilisation aux effets des écrans, de la mauvaise alimentation et de la sédentarité sur la santé et le développement de l’enfant ;

2° Un suivi personnalisé par un conseiller en éducation familiale, un travailleur social ou un professionnel de santé mentale ;

3° Un accès facilité à des dispositifs de soutien tels que les consultations de protection maternelle et infantile, les ateliers de nutrition et parentalité, ou les activités physiques subventionnées.

Ces actions sont mises en œuvre dans le cadre des moyens existants des services départementaux de la protection de l’enfance et des agences régionales de santé.

Article 4

Le ministère chargé de la santé, en lien avec les ministères chargés de l’éducation nationale, de la jeunesse et des solidarités, met en œuvre une campagne nationale annuelle de prévention des comportements à risque pour la santé des enfants.

Cette campagne porte notamment sur :

1° La prévention de la sédentarité et la promotion de l’activité physique ;

2° L’usage raisonné des écrans ;

3° L’alimentation équilibrée et la lutte contre la malbouffe ;

4° La santé mentale des jeunes et la prévention de l’isolement ;

5° Le rôle de la cellule familiale dans la construction du bien‑être de l’enfant.

Les établissements scolaires et les structures d’accueil de la petite enfance intègrent ces thématiques dans leurs actions éducatives et de promotion de la santé.

Article 5

Le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur l’application de la présente loi, évaluant :

1° L’efficacité des mesures de prévention et d’accompagnement parental ;

2° L’évolution de la santé physique et mentale des enfants ;

3° La coordination entre les acteurs sanitaires, sociaux et éducatifs ;

4° Les propositions d’ajustement éventuelles destinées à renforcer la politique nationale de prévention de la maltraitance inconsciente.

Article 6

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II.  La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au même chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.