N° 1949

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à faciliter la création et la mobilisation de logements destinés aux travailleurs saisonniers dans les zones présentant une carence avérée,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. François-Xavier CECCOLI,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le logement des travailleurs saisonniers constitue désormais l’un des points de tension majeurs dans les territoires dont l’activité repose sur le tourisme ou sur les cycles agricoles. Depuis 2019, rapports sénatoriaux, missions d’information de l’Assemblée nationale et avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) convergent : l’insuffisance d’hébergements abordables alimente la vacance de postes, limite l’ouverture d’établissements, pénalise les vendanges et fragilise l’équilibre économique local. La feuille de route interministérielle présentée en juin 2023 – quinze engagements pour l’emploi des saisonniers – a permis quelques avancées ponctuelles, mais ces mesures restent adossées à des circulaires et à des crédits annuels, donc précaires. L’avis du CESE du 29 mai 2024 souligne à juste titre qu’aucune stratégie durable ne peut s’envisager sans un ancrage législatif, une neutralisation ciblée de l’objectif « zéro artificialisation nette » pour les projets dédiés et des incitations fiscales claires.

La présente proposition de loi répond à ce diagnostic. Elle inscrit l’hébergement des saisonniers dans la hiérarchie des documents d’urbanisme, libère du foncier sans compromettre les exigences environnementales, mobilise un levier financier pérenne et associe les acteurs privés grâce à un crédit d’impôt et à la création de foncières mixtes. Surtout, elle choisit l’incitation plutôt que la contrainte : l’État offre des outils et des soutiens, mais laisse à chaque intercommunalité la faculté de s’engager par convention, garantissant ainsi le respect de la libre administration des collectivités.

L’article 1er introduit, au sein du contenu obligatoire du schéma de cohérence territoriale, un « plan d’orientation des logements des travailleurs saisonniers ». Celui‑ci contient un diagnostic chiffré des besoins et fixe un objectif minimal : au moins dix pour cent du parc d’hébergement touristique ou, si ce pourcentage s’avère insuffisant, un ratio de 0,5 logement disponible par contrat saisonnier recensé. Cette double clé, modulable par décret, assure que les territoires agricoles dont la pression touristique est faible ne soient pas laissés pour compte. Les objectifs doivent être déclinés dans une orientation d’aménagement et de programmation assortie d’un calendrier de trois ans.

L’article 2 complète l’article L. 302‑1 du code de la construction et de l’habitation ; il oblige le programme local de l’habitat à reprendre les objectifs fixés par le schéma de cohérence territoriale (SCoT), assurant ainsi la continuité verticale SCoT – programme local de l'habitat (PLH) – plan local d'urbanisme (PLU) et évitant qu’un document opérationnel élude la nouvelle exigence.

L’article 3 modifie l’article L. 153‑16 du code de l’urbanisme afin que les plans locaux d’urbanisme soient mis en compatibilité, dans le délai de droit commun, chaque fois qu’une orientation relative aux saisonniers est ajoutée ou révisée.

L’article 4 enrichit l’article 194 de la loi dite « climat et résilience » afin d’éviter que la trajectoire environnementale n’empêche toute opération. Les surfaces affectées exclusivement à l’hébergement saisonnier, installées sur du foncier déjà artificialisé ou dans une zone d’hébergement temporaire prioritaire, ne sont pas comptabilisées dans la consommation d’espaces. La durée d’occupation, limitée à neuf mois, peut être portée à onze mois par arrêté préfectoral lorsqu’un territoire connaît deux pics d’activité ; cette souplesse vise les stations de montagne désormais actives en été comme en hiver.

L’article 5 institue la convention territoriale Saisonniers : dans les zones carencées, la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale peut contracter avec l’État pour six ans et bénéficier, en retour, d’une priorité et d’une bonification sur les subventions de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), d’un accès privilégié au Fonds national pour le logement des saisonniers et d’une majoration des aides Action logement.

De plus, il crée une foncière mixte dédiée au logement saisonnier. Cette société, ouverte aux collectivités, aux bailleurs et aux employeurs, pourra recevoir les droits de préemption élargis par l’article 8 et mobiliser les aides de la convention territoriale ; elle permettra de mutualiser le portage financier et la gestion locative sur des bases pérennes.

L’article 6 créé le Fonds national pour le logement des saisonniers. Celui‑ci est doté de cinquante millions d’euros par an. Son financement repose sur la participation d’Action Logement, sur le redéploiement d’une fraction de la DSIL et de la DETR, mais aussi, désormais, sur une part du produit des amendes administratives liées aux manquements à l’objectif de réduction de l’artificialisation nette ; le fonds bénéficie ainsi d’une ressource dédiée sans grever le budget de l’État.

L’article 7 ajoute, parmi les motifs légitimes de préemption urbaine, la mise à disposition de logements saisonniers ; il sécurise ainsi juridiquement des pratiques déjà expérimentées par certaines communes de montagne.

L’article 8 ne restreint qu’à une déclaration préalable la mise en place d’habitats modulaires ou démontables destinés aux saisonniers ; un décret en Conseil d’État fixera les normes minimales de surface, de salubrité et de sécurité par référence explicite aux dispositions du code du travail.

L’article 9 crée une exonération de taxe foncière, pour cinq ans, au bénéfice des propriétaires louant leur bien entre trois et onze mois à un salarié saisonnier dans une zone carencée. La rédaction rappelle expressément l’application non discriminatoire du dispositif afin de respecter le droit de l’Union européenne en matière d’aides d’État.

L’article 10 ouvre un crédit d’impôt aux entreprises qui investissent dans la construction ou la réhabilitation de logements saisonniers. Le taux est fixé à trente pour cent, dans la limite de trois cent mille euros par entreprise et d’un plafond national de vingt millions d’euros, conditions qui placent l’avantage dans le régime européen « de minimis ».

L’article 11 renvoie à un décret en Conseil d’État les modalités d’application des articles 4 à 10 de cette proposition de loi afin que les premières conventions territoriales puissent être conclues avant la saison 2026.

L’article 12 gage cette proposition de loi.

 


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proposition de loi

Chapitre Iᵉʳ

Inscription du logement des saisonniers
dans les documents de planification

Article 1er

La section 2 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier du code de l’urbanisme est complétée par une sous‑section 6 ainsi rédigée :

« Sous‑section 6

« Plan d’orientation des logements des travailleurs saisonniers 

« Art. L. 141141.  I. – Le schéma de cohérence territoriale comprend un diagnostic quantifié des besoins en logements destinés aux travailleurs saisonniers agricoles et touristiques, fondé sur :

« 1° Le nombre de contrats saisonniers recensés au cours des trois dernières années ;

« 2° Le parc de logements effectivement disponibles pour cette catégorie de travailleurs ;

« 3° Le taux de postes saisonniers non pourvus pour cause de logement insuffisant. 

« II. – Il fixe un objectif minimal de création ou de mobilisation de logements saisonniers correspondant, pour la période couverte par le schéma, à au moins 10 % du parc d’hébergement touristique déclaré dans le même périmètre ou, lorsque ce pourcentage représente moins de 0,5 logement disponible par contrat saisonnier recensé au I, à un ratio minimal de 0,5 logement par contrat. Cet objectif peut être modulé par décret en fonction des spécificités locales.

« III. – Ces objectifs sont déclinés dans une orientation d’aménagement et de programmation identifiant les secteurs prioritaires d’implantation et un calendrier d’exécution maximal de trois ans.

« IV. –  Le présent plan d’orientation des logements des travailleurs saisonniers est inscrit lors de chaque élaboration ou révision du schéma de cohérence territoriale. »

Article 2

Le second alinéa du II de l’article L. 302‑1 du code de la construction et de l’habitation est complété par les mots : « ainsi que les besoins et objectifs du plan d’orientation des logement des travailleurs saisonniers au sens de l’article L. 141‑14‑1 du code de l’urbanisme. ».

Article 3

Le 3° de l’article L. 153‑16 du code de l’urbanisme est complété par les mots : « et, le cas échéant, pour intégrer l’orientation d’aménagement et de programmation relative au logement des travailleurs saisonniers prévue à l’article L. 141‑14‑1 ».

Chapitre II

Neutralisation foncière au regard de l’objectif
zéro artificialisation nette

Article 4

Après le 6° du III de l’article 194 loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il est inséré un 6° bis ainsi rédigé :

« 6° bis Ne sont pas comptabilisés dans la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers les projets de construction, de réhabilitation ou d’installation d’habitats légers destinés exclusivement aux travailleurs saisonniers, pour une durée d’occupation annuelle n’excédant pas neuf mois, portée à onze mois par arrêté du représentant de l’État lorsque l’emploi saisonnier se répartit sur au moins deux pics d’activité distincts, lorsqu’ils sont :

« a) Implantés sur un terrain déjà artificialisé ou bâti ;

« b) Ou situés à l’intérieur d’une zone d’hébergement temporaire prioritaire délimitée par le représentant de l’État dans le département, après avis de l’établissement public de coopération intercommunale compétent et du conseil municipal concerné ; ».

Chapitre III

Convention territoriale saisonniers et outils d’incitation

Article 5

Le chapitre IV du titre préliminaire du livre III du code de la construction et de l’habitation est ainsi rétabli :

« Chapitre Ier

« Logements des travailleurs saisonniers

« Art. L. 3041.  I. – Dans les territoires déclarés carencés en logement saisonnier au sens de l’article L. 304‑2, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’habitat lorsque cette compétence leur a été transférée peuvent conclure avec l’État une convention territoriale Saisonniers d’une durée maximale de six ans.

« II. – La convention fixe :

« 1° Un objectif chiffré de logements saisonniers créés ou mobilisés, au moins égal à 10 % de la carence constatée ;

« 2° Les actions foncières, immobilières et financières envisagées ;

« 3° Les indicateurs de suivi annuels.

« III. – La signature ouvre droit :

« 1° À une priorité d’instruction, assortie d’une bonification de 15 %, des subventions au titre de la dotation de soutien à l’investissement local et de la dotation d’équipement des territoires ruraux ;

« 2° À l’éligibilité prioritaire au Fonds national pour le logement des saisonniers mentionné à l’article L. 301‑5‑10 ;

« 3° À la majoration de 20 % des aides d’Action Logement destinées aux salariés saisonniers et aux gestionnaires de résidences correspondantes.

« Art. L. 3042. – Un décret fixe la liste des territoires déclarés carencés en logements saisonniers, en tenant compte du plan d’orientation des besoins en logements saisonniers cité à l’article L. 122‑1‑1 du code de l’urbanisme.

« Art. L. 3043. – Les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux, les entreprises employant des travailleurs saisonniers et toute personne morale intéressée peuvent constituer, dans le cadre défini à l’article L. 324‑1‑1, une foncière mixte “logement saisonnier” ayant pour objet l’acquisition, la réhabilitation ou la construction de logements destinés exclusivement aux travailleurs saisonniers. Cette société peut bénéficier, par convention, des droits de préemption prévus à l’article L. 211‑1 du code de l’urbanisme et des aides financières mentionnées à l’article L. 304‑1.

Article 6

I. – Il est créé un Fonds national pour le logement des saisonniers doté de 50 millions d’euros par an provenant :

1° D’une participation d’Action logement services ;

2° Du redéploiement de crédits de la dotation de soutien à l’investissement local et de la dotation d’équipement des territoires ruraux ;

3° Du produit des amendes administratives relatives aux manquements à l’objectif de réduction de l’artificialisation nette, dans la limite de 20 millions d’euros par an.

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’affectation de ces crédits, prioritairement au bénéfice des établissements publics signataires d’une convention territoriale saisonniers.

Article 7

À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 211‑1 du code de l’urbanisme, après le mot : « aménagement », sont insérés les mots : « ou la mise à disposition de logements destinés aux travailleurs saisonniers dans les communes identifiées en zone carencée au sens de l’article L. 304‑2 du code de la construction et de l’habitation, ».

Article 8

Le chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’urbanisme est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article L. 421‑4, après le mot : « renouvelables », sont insérés les mots : « ainsi que ceux mentionnés à l’article L. 1421‑10 » ;

2° Il est ajouté un article L. 421‑10 ainsi rédigé :

« Art. L. 42110.  Par dérogation à l’article L. 421‑1, les habitats démontables, modulaires ou mobiles destinés exclusivement aux travailleurs saisonniers et implantés dans une zone carencée au sens de l’article L. 304‑2 du code de la construction et de l’habitation et dont la durée n’excède pas la limite fixée au 7° du III de l’article 194 de la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ne sont soumis qu’à une déclaration préalable au sens de l’article L. 421‑4.

« Un décret en Conseil d’État précise les normes minimales de surface, de salubrité et de sécurité applicables, en référence aux articles R. 4228‑26 à R. 4228‑41 du code du travail. »

Article 9

Après le 3° ter du 2 du C du I de la section II du chapitre premier du titre premier de la deuxième partie du livre premier du code général des impôts, il est inséré un 3° quater ainsi rédigé :

« 3° quater Propriétés affectées au logement de travailleurs saisonniers

« Art. 1384 H.  I. – Les propriétés bâties affectées, pour une durée de location comprise entre trois et onze mois, au logement d’un travailleur titulaire d’un contrat à caractère saisonnier, situées dans une commune classée en zone carencée au sens de l’article L. 304‑2 du code de la construction et de l’habitation, sont exonérées de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant cinq ans à compter de la première mise en location. Cette exonération s’applique sans distinction tenant à la nationalité du propriétaire ou du locataire. 

« II. – Les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale dotés d’une fiscalité propre peuvent, par délibération prise dans les conditions prévues à l’article 1639 A, limiter ou supprimer cette exonération. »

Article 10

La section II du chapitre IV du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est complétée par un L ainsi rédigé :

« L. – Crédit d’impôt en faveur du logement des travailleurs saisonniers

« Art. 244 quater Z. – Les entreprises qui réalisent, directement ou par l’intermédiaire d’une société foncière, des investissements de construction ou de réhabilitation d’un montant supérieur à 100 000 € hors taxes destinés exclusivement au logement de leurs travailleurs saisonniers peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt égal à 30 % des dépenses éligibles, imputable sur l’impôt sur les sociétés dans la limite annuelle de 300 000 €. Le montant total de crédit d’impôt accordé au titre du présent article est plafonné à 20 millions d’euros par année civile. »

Article 11

Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application des articles 4 à 10.

Article 12

I.  La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III.  La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

IV.  La perte de recettes pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.