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N° 1957
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à défiscaliser les pensions alimentaires perçues,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sophia CHIKIROU, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi vise à mettre fin à une iniquité fiscale frappant les familles monoparentales, en défiscalisant les pensions alimentaires reçues pour les enfants mineurs ou les enfants majeurs âgés de moins de vingt‑cinq ans poursuivant des études ou une formation professionnelle. Actuellement, le mécanisme de déduction pour le parent payeur et de taxation pour le parent bénéficiaire aboutit à pénaliser ce dernier – dans près de trois quarts des cas une mère – en diminuant ses ressources nettes et en réduisant potentiellement ses droits sociaux, alors même que la pension alimentaire ne permet pas de couvrir les besoins de l’enfant. En effet, la pension alimentaire versée par le parent non‑gardien, censée contribuer aux besoins fondamentaux de l’enfant (alimentation, logement, éducation, etc.), est de 190 euros par mois en moyenne, alors que le coût réel de la charge d’un enfant est estimé au minimum à 625 euros par mois.
Qui plus est, 82 % des familles monoparentales sont dirigées par des femmes et concentrent une part importante de la pauvreté infantile. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 41 % des enfants de familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, contre 21 % pour l’ensemble des enfants. Il est socialement injuste que l’État aggrave cette précarité en considérant la pension comme un revenu imposable pour ces mères isolées, engendrant ainsi une double peine fiscale et sociale.
En parallèle, le parent débiteur, le plus souvent le père, bénéficie d’une niche fiscale qui lui permet de réduire son impôt en déclarant sa pension versée. Ce mécanisme, hérité d’une époque où l’on cherchait à équilibrer les ressources post‑divorce, apparaît aujourd’hui injuste et contre‑productif. Il peut encourager des stratégies d’optimisation et envoie un signal négatif en assimilant la contribution à l’enfant à une charge déductible, comme s’il s’agissait d’une prestation de service.
La réforme proposée est simple et profondément redistributive : elle consiste à exonérer d’impôt sur le revenu les pensions perçues par le parent gardien pour un enfant mineur ou un enfant majeur poursuivant des études ou une formation, et à supprimer en contrepartie la déduction correspondante pour le parent non‑gardien. Ainsi, chaque parent assume sa contribution à l’enfant sans gain ni perte fiscale, ce qui rétablit l’égalité de traitement. Cette mesure bénéficiera directement aux ménages monoparentaux les plus modestes, souvent non imposables aujourd’hui mais qui peuvent le devenir du fait de la pension perçue. Elle permettra d’augmenter leur revenu disponible ou de les maintenir sous le seuil d’imposition, et donc d’améliorer leur pouvoir d’achat dédié aux besoins de leurs enfants. Elle évitera en outre que la perception d’une pension prive ces familles de certaines prestations sociales sous condition de ressources.
Cette évolution fiscale aura un faible impact budgétaire, a priori favorable aux finances de l’État. En effet, le parent débiteur est plus souvent dans une tranche marginale plus élevée que le parent receveur. Quoi qu’il en soit, l’impact sur les finances publiques sera négligeable comparé à l’impact positif considérable sur la vie des familles concernées. D’ailleurs, de nombreux pays ont déjà adopté ce régime : par exemple, les États‑Unis et le Royaume‑Uni n’imposent pas les pensions alimentaires versées pour les enfants et ne les intègrent pas dans leur dispositif de déduction fiscale. La France gagnerait à s’aligner sur ces bonnes pratiques internationales et à devenir exemplaire dans la protection des familles monoparentales.
L’élargissement du dispositif aux enfants majeurs âgés de moins de vingt‑cinq ans poursuivant leurs études ou une formation professionnelle répond à une réalité sociale largement partagée : à cet âge, les enfants demeurent massivement à la charge de leurs parents. Cette dépendance économique prolongée résulte de la durée des études, de l’absence d’allocation d’autonomie, du coût du logement, et de la précarité de l’emploi des jeunes. En moyenne, un étudiant reste financièrement dépendant de ses parents jusqu’à 23 ans. L’entretien d’un enfant majeur étudiant représente donc un effort réel et soutenu pour les parents gardiens. Il est juste que la contribution du parent non‑gardien ne soit pas fiscalisée durant cette période. La présente proposition acte ainsi la continuité de la solidarité parentale au‑delà de la majorité, dans un cadre fiscal plus équitable.
En conséquence, l’article 1er modifie le code général des impôts pour défiscaliser les pensions alimentaires perçues au titre d’un enfant mineur ou d’un enfant majeur âgé de moins de vingt‑cinq ans poursuivant ses études ou une formation, et pour supprimer la possibilité pour le parent débiteur de les déduire de ses revenus imposables.
L’article 2 prévoit une disposition de compensation financière afin de respecter les exigences de l’article 40 de la Constitution.
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proposition de loi
Article 1er
I. – La section II du chapitre premier du titre Ier de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi modifiée :
1° L’article 80 septies est ainsi rédigé :
« Art. 80 septies. – I. – Les pensions alimentaires reçues au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation d’un enfant mineur ou d’un enfant majeur âgé de moins de vingt‑cinq ans poursuivant ses études ou en formation professionnelle ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu.
« II. – Les pensions alimentaires versées sont soumises à l’impôt sur le revenu. »
2° L’article 156 est ainsi modifié :
a) Le I bis est ainsi rétabli :
« I bis. – À compter du 1ᵉʳ janvier 2026, aucune déduction sur le revenu net annuel ne peut être effectuée au titre des pensions alimentaires versées pour l’entretien et l’éducation des enfants mineurs ou des enfants majeurs âgés de moins de vingt‑cinq ans poursuivant leurs études ou en formation professionnelle, lorsque ces enfants ne sont pas comptés à charge pour le calcul du quotient familial du contribuable. » ;
b) Le 2° du II est ainsi modifié :
– au premier alinéa, les mots : « pensions alimentaires répondant aux conditions fixées par les articles 205 à 211, 367 et 767 du code civil à l’exception de celles versées aux ascendants quand il est fait application des dispositions prévues aux 1 et 2 de l’article 199 sexdecies ; » sont supprimés ;
– au même premier alinéa, les mots : « les pensions alimentaires versées en vertu d’une convention de divorce mentionnée à l’article 229‑1 du même code ou d’une décision de justice et en cas de révision amiable de ces pensions, » sont supprimés ;
– le dernier alinéa est supprimé.
II. – Les dispositions du I s’appliquent à l’imposition des revenus de l’année 2026 et des années suivantes.
Article 2
La perte de recettes pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.