N° 1961

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à soutenir et valoriser les commerces de proximité,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Laurent LHARDIT,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De Marseille à Angers, de Poitiers à Bordeaux, de Dunkerque à Lille, ou de Lyon à Dijon, la disparition des commerces de proximité s’accélère partout en France. 

Ces commerces sont pourtant ceux de nos consommations quotidiennes, ceux où nous nous rendons fréquemment ou occasionnellement. Implantés dans des lieux de vie, ils structurent le tissu économique local, dynamisent l’attractivité et la cohésion sociale des territoires. La fermeture des commerces alimentaires, d’habillement, de livres, de journaux, de papeterie, de santé, ou encore ceux liés à des consommations plus occasionnelles, impacte gravement les habitantes et les habitants, notamment dans le coeur des villes où leur présence constituait jusqu’à présent une grande partie de l’attractivité.

Dès les années 1980, les centres urbains français ont connu un premier mouvement de fermeture des commerces de proximité, principalement lié à l’intensification de l’étalement urbain, au développement des grandes surfaces commerciales en périphérie des villes, éloignées des lieux de résidence, et à l’absence de politiques publiques permettant de prendre en compte ces mutations afin de protéger les commerçants locaux et la vie de quartier, dont ils sont les principaux animateurs. Elles se sont intensifiées au cours des vingt dernières années, avec le développement du commerce électronique, notamment via les plateformes dont on connaît la puissance et la faible régulation à l’échelle nationale et européenne. Entre 2015 et 2020, la France a perdu plus de 10 000 commerces de détail et d’artisanat, passant de 283 000 à 272 000 établissements. 

Des mesures ont bien été mises en place par l’État depuis les années 2010, mais le bilan est aujourd’hui contrasté et les résultats demeurent insuffisants. En 2018, la loi ELAN a instauré les programmes « Action Cœur de Ville » (ACV) et « Petites Villes de Demain » (PVD) dans le cadre des opérations de revitalisation du territoire (ORT), qui ont constitué des leviers pour les collectivités dans la mise en œuvre de projets territoriaux visant à rendre certaines zones commercialement plus attractives. Leurs effets ont toutefois été limités dans le temps et très inégaux selon les territoires. Aujourd’hui, les grandes surfaces commerciales continuent de se développer, et le taux de vacance des baux commerciaux augmente. Entre 2004 et 2024, le taux de vacance moyen des magasins des centres‑villes est passé de 5,94 % à 10,85 %, selon Codata. Il touche même les petits commerces implantés dans des centres commerciaux, eux‑mêmes affectés par le développement du commerce électronique.

Il est maintenant urgent de mettre en place de nouveaux dispositifs pour endiguer le déclin du commerce local : en 2024, on recense 10 134 suppressions de postes dans le commerce. Après l’industrie, le commerce est ainsi le deuxième secteur le plus touché par des suppressions de postes alors qu’il demeure l’un des secteurs économiques qui emploient le plus de salariés en France.

Le déclin des commerces de proximité a donc des conséquences néfastes, déjà constatée dans de nombreux territoires. Il contribue à accélérer le déclin économique de rues, de quartiers et de zones urbaines entières et nourrit le sentiment d’abandon de leurs habitantes et habitants. Ce déclin accentue aussi les fractures sociales en majorant le coût d’achat de produits essentiels des coûts et des temps de déplacements nécessaires pour les obtenir. Il génère de l’isolement pour les ménages dépourvus de moyens de transport ainsi que pour les personnes âgées, souvent nombreuses et sédentarisées dans les zones de centre-ville. Ce déclin creuse donc les inégalités économiques et sociales au détriment des plus précaires et des plus fragiles. Enfin, dans un contexte marqué par l’urgence écologique, la disparition des commerces de proximité contribue à l’accroissement des déplacements motorisés, ou encore à celui des transports de livraisons lorsque le e‑commerce devient le seul moyen d’obtenir des produits que l’on ne trouve plus dans son quartier.

Le sujet de la disparition des commerces de proximité est donc transversal, puisqu’il touche à l’économie, au social, à l’urbain et à l’environnement. La protection de ces commerces paraît dès lors essentielle à la revitalisation des centres urbains, anciens ou nouveaux, à la sauvegarde des emplois, ainsi qu’à la transition écologique. Les réponses doivent constituer une contribution nationale, déclinée à l’échelle locale et adaptée aux réalités territoriales.

Les dispositifs présentés dans cette proposition de loi constituent des réponses visant à préserver le commerce de proximité. La principale d’entre elles a pour objectif d’offrir la possibilité d’encadrer les loyers commerciaux dans les zones urbaines où l’on constate leur envol, afin de maintenir une corrélation raisonnable entre le montant des loyers et la viabilité des modèles économiques du commerce et de l’artisanat. Le ratio loyer/chiffre d’affaires, idéalement situé autour de 6 % pour un commerce, représente déjà en moyenne plus de 15 % du chiffre d’affaires d’un commerçant français. Cette moyenne, déjà élevée, l’est encore davantage dans certaines zones géographiques où les loyers subissent la pression de bailleurs dont le modèle d’affaires repose sur un niveau de rentabilité financière sans commune mesure avec ce que peuvent supporter leurs locataires.

Les autres mesures proposées visent à mettre à la disposition des maires des outils leur permettant de favoriser l’installation des commerces de proximité et de contrôler celle des grandes surfaces commerciales.

L’article 1er vise à encadrer le loyer des baux commerciaux. En effet, l’augmentation des loyers commerciaux nuit gravement aux commerces de proximité. Leur encadrement permettrait de lutter efficacement contre la spéculation immobilière et œuvrer à la stabilisation du marché locatif tout en protégeant les locataires et leurs activités commerciales. Sur le modèle du dispositif d’encadrement des loyers locatifs, ce dispositif serait applicable sur le territoire des communes ayant instauré la taxe sur les friches commerciales. Il reviendrait au Préfet de fixer le loyer de référence, en fonction des caractéristiques de marché et de localisation, avec l’appui d’un observatoire local qui pourra être agréé à cet effet. Comme pour les loyers locatifs, un loyer minoré serait mis en œuvre pour favoriser le développement du petit commerce de proximité. Il appartiendra au bailleur de porter le loyer de référence au contrat de bail et le locataire pourra le saisir ou à défaut, le juge, pour faire respecter ce dernier. 

L’article 2 supprime la charge de la taxe foncière au locataire, pour les baux commerciaux et professionnels. En effet, par dérogation au droit commun, ces baux mettent le plus souvent à la charge du locataire, le paiement de la taxe foncière, en principe due par le bailleur et propriétaire des locaux loués mais cette pratique augmente généralement les dépenses des locataires commerciaux de 10 à 15 %. Cet article vise donc à supprimer cette répercussion subie par le locataire commercial, le plus souvent artisan ou gérant de petites entreprises.

L’article 3 favorise l’installation de commerces de proximité via la modification du Plan Local d’Urbanisme pour préserver leurs existences mais également en donnant la possibilité aux maires des communes de contrôler davantage l’installation de grandes surfaces commerciales de plus de 400 mètres carrés. Nombreux sont les élus qui souhaitent être directement en mesure de redynamiser les centres villes, galeries commerçantes mais également de lutter contre l’économie souterraine dont certains commerces en sont parfois la vitrine. Ce dispositif est complémentaire du dispositif du périmètre de sauvegarde. 

L’article 4 offre aux maires la possibilité d’engager une procédure visant à contraindre les propriétaires et bailleurs à remettre leurs locaux commerciaux sur le marché locatif lorsque le taux de vacance commerciale de la commune dépasse les 20 % en permettant à la commune de mettre en œuvre une préemption forcée à défaut. Ce dispositif permet de lutter activement contre la désertification commerciale. 

L’article 5 gage la présente proposition de loi. 

 


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proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 145‑33 du code de commerce, il est inséré un article L. 145‑33‑1 ainsi rédigé : 

« Art. L. 145331. – I. – Sur le territoire des communes ayant institué la taxe annuelle sur les friches commerciales prévue à l’article 1530 du code général des impôts, ces communes peuvent, par une délibération prise dans les conditions prévues au I de l’article 1639 A bis du même code et afin de maintenir et de soutenir un tissu de commerces de proximité essentiels à la vitalité du territoire et aux besoins de ses habitants, instaurer le dispositif d’encadrement des loyers commerciaux régi par le présent article.

« II. – Chaque année, le représentant de l’État dans le département fixe un loyer de référence et un loyer de référence minoré, représentant 25 % de moins que le loyer de référence. Le loyer de référence et le loyer de référence minoré doivent être définis en tenant compte des critères suivants : 

« 1° La catégorie du local commercial ;

« 2° Le prix au mètre carré de la surface exploitable pour l’activité commerciale ;

« 3° Le secteur géographique d’implantation du commerce. 

« Le loyer de référence se base sur la moyenne des loyers constatés à l’échelle de la commune ou, à défaut de référentiel suffisant, à l’échelle de son établissement public de coopération intercommunal d’appartenance, par un observatoire local des loyers commerciaux. Le représentant de l’État dans le département peut agréer un ou plusieurs organismes pour exercer cette mission dans le département. La collecte des données nécessaires pour chaque commune est réalisée par l’observatoire local précité. Il peut à cet effet requérir des collectivités territoriales compétentes, la liste des adresses des biens susceptibles d’être concernés par la taxe annuelle sur les friches commerciales précitée. 

« III. – Le loyer de référence correspondant au local commercial doit être inscrit dans le contrat de bail. En cas d’absence de cette mention dans le contrat, le commerçant locataire peut mettre en demeure le bailleur de porter cette information au bail, dans un délai de deux semaines à compter de la prise d’effet du contrat. Faute de réponse du bailleur ou en cas de refus dans le mois qui suit cette mise en demeure, le locataire peut saisir le tribunal judiciaire pour demander, dans un délai de deux mois, la diminution du loyer et la restitution des trop‑perçus.

« IV. – Le loyer du local commercial mis en location est fixé entre le bailleur et le locataire lors de la conclusion du contrat de bail, dans la limite du loyer de référence défini au II du présent article. Le locataire peut demander la diminution de son loyer si le loyer de base prévu dans le bail est supérieur au loyer de référence en vigueur à la date de signature de ce contrat. Faute de réponse du bailleur ou en cas de refus, la procédure prévue au III du présent article est également applicable. 

« V. – Par dérogation aux dispositions prévues au IV, le loyer de référence minoré est applicable pour favoriser l’installation de commerces essentiels d’une surface de moins de 400 mètres carré, tels que déterminés par le représentant de l’État dans le département par arrêté après avis de la commune concernée, en tenant compte des besoins du territoire pour sa vitalité et son animation conformément à l’article L. 750‑1 du présent code. Il est également applicable sans condition de surface pour les locaux situés dans une zone de forte vacance commerciale, se caractérisant par un taux de vacance commerciale, tel que défini par l’institut national de la statistique et des études économiques, supérieur à 20 % du total des locaux commerciaux dans le secteur d’activité concerné. 

« VI. – Les dispositions du présent article sont précisées par décret. »

Article 2

Avant le dernier alinéa de l’article L. 145‑40‑2 du code de commerce, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La taxe foncière, mentionnée à l’article 1380 du code général des impôts, est à la charge exclusive du bailleur et automatiquement acquittée par lui. »

Article 3

Après l’article L. 151‑9 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 151‑9‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 15191. – Afin de maintenir et de soutenir un tissu de commerces de proximité essentiels à la vitalité du territoire et aux besoins de ses habitants, le règlement du plan local d’urbanisme peut délimiter des linéaires commerciaux au sein desquels, lorsque le taux de vacance commerciale tel que défini par l’institut national de la statistique et des études économiques est supérieur à 20 % du total des locaux commerciaux au sein du secteur délimité, l’autorité compétente en matière d’autorisations d’urbanisme ou le cas échéant d’autorisation d’exploitation commerciale peut refuser une telle autorisation lorsque le projet contrevient aux objectifs précités.

« Dans les mêmes conditions et à peine de nullité de l’acte, le maire de la commune peut subordonner toute opération de cession d’un commerce essentiel d’une surface de moins de 400 mètres carré au sein de ces secteurs au maintien d’une activité commerciale ou artisanale essentielle. »

Article 4

L’article L. 214‑1 du code de l’urbanisme est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’un local commercial est demeuré vacant depuis plus de douze mois sans qu’une raison de force majeure ou une procédure judiciaire, administrative ou collective ne puisse être opposée, dans les secteurs de forte vacance commerciale, définis conformément à l’article L. 145‑33‑1 du code de commerce, le maire de la commune peut mettre en demeure le bailleur de remettre le local commercial à bail. À défaut de réponse du bailleur ou en cas de refus dans le délai de deux mois qui suit cette mise en demeure, lorsque la commune dispose d’un projet de commerce répondant aux objectifs prévus par l’article L. 145‑33‑1 précité, la commune peut engager de plein droit la procédure de préemption prévue au présent article et aux suivants du même code. Par dérogation à cet article, le refus implicite ou explicite du propriétaire vaut déclaration d’intention d’aliéner. Le prix d’acquisition est celui qui résulte de l’évaluation réalisée par un professionnel relevant de la loi n° 70‑9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce. Les dispositions du présent alinéa sont précisées par décret. »

Article 5

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.