N° 2000
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
portant création d’un Défenseur de la laïcité et définition de ce principe,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jérôme GUEDJ,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La Constitution du 4 octobre 1958 affirme dès son article premier que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Le principe de séparation des Églises et de l’État constitue une pierre angulaire de notre régime politique et de notre État de droit.
Inspiré par les philosophes du siècle des Lumières et établi par les révolutionnaires à partir de 1789, le principe de laïcité a été farouchement défendu par les pères fondateurs de la IIIe République. Jules Ferry, Georges Clemenceau, Aristide Briand, Jean Jaurès et Émile Combes ont attaché leurs noms à ce combat dont l’élément central demeure la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Cet équilibre législatif fragile a été complété par de nombreux textes, y compris au XXIe siècle, notamment la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires publics, adoptée à l’issue des travaux de la commission présidée par Bernard Stasi.
Si la Constitution proclame le caractère laïque de la République, elle ne définit pas précisément le contenu de ce principe fondamental. Cette lacune a conduit le Conseil constitutionnel à préciser progressivement les contours de la laïcité par sa jurisprudence. La décision n° 2012‑297 QPC du 21 février 2013 relative au régime des cultes en Alsace‑Moselle est particulièrement révélatrice de cette fonction protectrice de la laïcité. Le Conseil y affirme qu’ « il résulte [de la laïcité] la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle‑ci ne salarie aucun culte ».
Cette définition jurisprudentielle, bien qu’essentielle, demeure soumise aux évolutions de l’interprétation constitutionnelle et ne bénéficie pas de la stabilité que confère l’inscription directe dans le texte constitutionnel. La présente proposition vise donc à constitutionnaliser une définition claire et équilibrée de la laïcité, en s’inspirant directement de cette jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette constitutionnalisation permettra d’ancrer durablement dans notre norme suprême les piliers fondamentaux du principe de laïcité : la liberté de conscience et le respect de toutes les croyances, la garantie du libre exercice des cultes, la non‑reconnaissance et le non‑salariat des cultes par la République, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, et la neutralité religieuse des administrations publiques et des organismes de service public.
Au moment où nous célébrons le 120e anniversaire de la loi de 1905, force est de constater que le principe de laïcité ne fait plus autant consensus que par le passé. Comme le relève l’historien Patrick Weil, « la laïcité est perçue par trop d’élèves comme un catéchisme répétitif, vide de sens, voire comme un régime d’interdits discriminatoires ». Par ailleurs, pour assurer la liberté de conscience comme pour garantir le libre exercice des cultes, la puissance publique est de plus en plus confrontée à des difficultés d’interprétation et à des contestations du cadre laïque.
Face à ces fragilités et à ces tentatives assumées ou insidieuses de remise en cause, la création d’un Défenseur de la laïcité doit contribuer à la construction d’une véritable politique publique de promotion et de défense de la laïcité. Cette création vise à assurer la pleine effectivité de la laïcité tout en évitant son instrumentalisation et la stigmatisation de certains citoyens en raison de leurs convictions religieuses. L’inscription dans la Constitution d’une définition explicite de la laïcité, reprenant les principes dégagés par le Conseil constitutionnel, offre ainsi un cadre clair et pérenne tant pour les citoyens que pour cette nouvelle autorité.
Sur le modèle du Défenseur des droits institué par la révision constitutionnelle de 2008, la présente proposition vise à introduire dans la Constitution du 4 octobre 1958 un nouveau titre XI ter composé d’un nouvel article 71‑2 créant un Défenseur de la laïcité, nouvelle autorité administrative indépendante.
Le nouvel article 71‑2 de la Constitution constitutionnalise ainsi pour la première fois la définition du principe de laïcité en reprenant les termes de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2013. Il prévoit que :
Le Défenseur de la laïcité veille au respect du principe de laïcité qui s’entend de la liberté de conscience et du respect de toutes les croyances, de la garantie du libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées par la loi dans l’intérêt de l’ordre public, sans que la République n’en reconnaisse ni n’en salarie aucun, de l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et de la neutralité des administrations publiques et de tout organisme investi d’une mission de service public à cet égard, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.
Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée au regard du respect du principe de laïcité par un service public ou un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office.
La loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur de la laïcité. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions.
La personnalité choisie pour assurer ces fonctions devra rassembler largement en raison de son autorité morale et politique. Elle sera désignée selon la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution : le Président de la République ne pourra procéder à cette nomination si l’addition des votes négatifs dans les commissions concernées du Parlement atteint au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le Défenseur de la laïcité est nommé pour un mandat de six ans non renouvelable. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.
Le Défenseur de la laïcité rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement.
La loi organique qui devra compléter le présent texte constitutionnel pourra préciser les missions étendues du Défenseur de la laïcité, sur le modèle du Défenseur des droits :
– Sensibiliser et informer les citoyens, les agents publics et les acteurs privés sur les enjeux et l’application du principe de laïcité ;
– Recevoir et traiter les réclamations individuelles ou collectives relatives au respect de la laïcité ;
– Être saisi par les citoyens, les autorités publiques, les associations ou les entreprises confrontés à une situation particulière nécessitant un éclairage juridique ou pratique ;
– Formuler des recommandations aux pouvoirs publics et aux personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public ;
– Proposer des modifications législatives ou réglementaires pour garantir le respect effectif de la laïcité ;
– Conduire ou faire conduire des études et recherches sur l’application du principe de laïcité ;
– Promouvoir l’apprentissage et la compréhension de la laïcité dans les établissements scolaires et les formations professionnelles.
La loi organique pourra également prévoir qu’il dispose d’un pouvoir d’investigation lui permettant de procéder à des vérifications sur pièces et sur place, dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire. Il pourra également être entendu par les juridictions administratives et judiciaires en qualité d’ami de la cour (amicus curiae).
Le Défenseur de la laïcité pourra rendre compte de son action au Parlement par un rapport annuel public et pourra être auditionné à tout moment par les commissions parlementaires compétentes. Il informera également le Président de la République de ses activités et des difficultés constatées dans l’application du principe de laïcité.
Cette autorité pourra disposer d’une équipe dédiée, d’un budget propre et pourra s’appuyer sur un collège de sages à l’expérience reconnue.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle.
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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Après le titre XI bis de la Constitution, il est inséré un titre XI ter ainsi rédigé :
« TITRE XI TER
« LE DÉFENSEUR DE LA LAÏCITÉ
« Art. 71‑2. – Le Défenseur de la laïcité veille au respect du principe de laïcité qui s’entend de la liberté de conscience et du respect de toutes les croyances, de la garantie du libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées par la loi dans l’intérêt de l’ordre public, sans que la République n’en reconnaisse ni n’en salarie aucun, de l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et de la neutralité des administrations publiques et de tout organisme investi d’une mission de service public à cet égard, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.
« Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée au regard du respect du principe de laïcité par un service public ou un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office.
« La loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur de la laïcité. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions.
« Le Défenseur de la laïcité est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelables après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.
« Le Défenseur de la laïcité rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement. »