N° 2010

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer le scrutin proportionnel pour les élections législatives,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Erwan BALANANT, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Marie RÉCALDE, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Nicolas BONNET, M. Vincent CAURE, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Stella DUPONT, M. Jérôme GUEDJ, Mme Catherine HERVIEU, M. François HOLLANDE, M. Pascal LECAMP, M. Éric MARTINEAU, M. Emmanuel MAUREL, M. Ludovic MENDES, M. Frédéric PETIT, Mme Josy POUEYTO, Mme Sandra REGOL, M. Aurélien ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Thierry SOTHER, M. Nicolas TURQUOIS,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise que traverse le pays a de multiples dimensions mais sa dimension institutionnelle est centrale. Jusqu’ici la Cinquième République n’avait guère connu que des majorités claires – le plus souvent absolues – à l’Assemblée nationale. Mais depuis 2022, ce « fait majoritaire » a disparu. Et les difficultés actuelles pour gouverner le pays résultent pour une part non négligeable de la contradiction entre un mode de scrutin qui a été pensé pour dégager ces majorités claires et leur absence dans le paysage politique tel qu’il est.

Les résultats des dernières élections législatives ne sont pas très différents en apparence de ce qu’aurait donné un scrutin proportionnel mais le fonctionnement de l’Assemblée nationale reste surdéterminé par le mode de réélection des députés au scrutin majoritaire. Chaque député anticipe en effet que les prochaines élections législatives se joueront selon les mêmes règles et appelleront les mêmes stratégies d’affrontement dans une logique bloc contre bloc. Ce qui empêche de rechercher efficacement les compromis indispensables. C’est cette contradiction qu’il faut lever en changeant de mode de scrutin législatif.

Un mode de scrutin proportionnel permet tout d’abord d’assurer que chaque voix compte sur tout le territoire, redonnant ainsi du sens à la participation des citoyens aux élections. Ce qui contribuerait à faire reculer l’abstention qui s’est beaucoup développée ces dernières années. Il assure une représentation conforme au choix des électeurs au sein de l’Assemblée nationale, c’est un mode de scrutin qui permet donc la justice électorale. Le scrutin proportionnel permet également aux citoyens de voter enfin « pour » les options de leur choix et non plus simplement « contre » celles qu’ils et elles redoutent le plus : les électeurs votent selon leur conscience et chaque force politique concourt sous ses propres couleurs. Il permet ensuite que les contrats de gouvernement se construisent après les élections, au vu et au su de tous autour de mesures susceptibles de recueillir réellement l’assentiment de la majorité des citoyens. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui avec un système électoral qui donne les moyens d’imposer leurs choix à des forces qui restent en réalité minoritaires dans le pays. Le scrutin proportionnel contribue enfin à rééquilibrer les pouvoirs au sein de la Cinquième République sans avoir besoin de changer la Constitution. Il renforce en effet structurellement le rôle du Parlement. Dès lors que la probabilité que le parti du président obtienne seul une majorité absolue au Parlement devient faible, le Président de la République devra composer avec une Assemblée qui ne sera plus à sa main. Le scrutin proportionnel permet enfin de renforcer la parité au sein de l’Assemblée.

De nombreuses modalités sont envisageables pour instaurer un scrutin proportionnel. Les Français restent cependant attachés à un ancrage territorial fort de leurs parlementaires. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’associer des représentants élus au scrutin majoritaire dans des circonscriptions comme c’est le cas aujourd’hui en France et des députés élus sur des listes complémentaires nationales afin qu’au final l’Assemblée représente fidèlement les choix des électeurs et électrices. Des modes de scrutin de ce type existent depuis de longues années chez plusieurs de nos voisins. Concrètement, si un parti a reçu 20 % des suffrages au niveau national, il doit se voir allouer 20 % des sièges : si ses députés élus au scrutin majoritaire dans les circonscriptions représentent déjà 15 % des sièges, alors on puisera sur sa liste complémentaire autant de candidats que nécessaires pour atteindre 20 % des députés. Ce mode de scrutin présente l’avantage de combiner la continuité avec le système actuel et le passage à une véritable représentation proportionnelle.

Il est grand temps pour nous de rejoindre l’ensemble de nos voisins européens qui ont tous recours à un scrutin de ce type pour constituer leurs assemblées législatives. On pense souvent que la proportionnelle mène inévitablement à davantage d’instabilité gouvernementale que le scrutin majoritaire mais avec des modes de scrutin analogues à celui proposé ici l’Allemagne a eu 24 gouvernements et 10 chefs de gouvernements depuis 1958 et le Danemark 31 gouvernements et 12 chefs de gouvernement contre 47 gouvernements et 29 premiers ministres en France. Et la situation à laquelle nous sommes confrontés depuis trois ans suffit à prouver que le mode de scrutin actuel n’est plus en mesure d’engendrer la stabilité qu’il est censé garantir.

Nous sommes convaincus qu’il est possible de rassembler un consensus large autour d’une telle réforme. Elle ne permettra évidemment pas de résoudre à elle seule la crise actuelle, mais elle contribuera de manière substantielle à débloquer le pays.

L’article 1er définit les fondements du mode de scrutin. 347 sièges sont attribués dans des circonscriptions uninominales au scrutin majoritaire à deux tours. Ce mode de scrutin est familier des électeurs français. 230 sièges sont attribués sur une base compensatoire via une liste nationale unique. Chaque électeur dispose de deux voix et le vote sur la liste compensatoire est exprimé lors du premier tour. C’est ce second vote qui détermine la composition finale de l’Assemblée nationale.

Le seuil retenu pour l’attribution de sièges compensatoires est fixé à 4 % des suffrages exprimés à l’échelle nationale. Ce seuil, utilisés par plusieurs démocraties européennes – Suède, Autriche, Norvège – permet de concilier pluralisme politique et efficacité parlementaire.

Afin de ne pas pénaliser les partis disposant d’un fort ancrage territorial, mais d’une base nationale limitée, un parti qui n’atteint pas le seuil de 4 % au niveau national, mais remporte au moins trois sièges au scrutin majoritaire, pourra être intégré à la répartition proportionnelle.

L’article 2 encadre les candidatures dans un système mixte et précise les formalités propres à la liste nationale. Il autorise la double candidature (circonscription et liste) et fait prévaloir le siège obtenu au scrutin majoritaire en cas de double élection. Il est également posé que nul ne peut figurer sur plus d’une liste compensatoire.

La modification apportée à l’article L. 157 précise la terminologie des déclarations de candidatures pour le scrutin uninominal. Le nouvel article L. 157‑1 fixe le formalisme de la déclaration de candidature au scrutin de liste nationale : dépôt centralisé, mentions obligatoires (identité, signatures, attestation d’unicité de candidature), et parité par alternance stricte femme‑homme. Cette exigence prolonge les mécanismes existants (européennes, régionales).

L’article 3 refonde la première fraction du financement public des partis basé désormais à la fois sur les suffrages exprimés dans les votes dans les circonscriptions et sur les suffrages exprimés dans le vote sur la liste nationale. Cet adossement met en cohérence le mode de scrutin et le régime financier.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre II du titre II du livre Ier du code électoral est ainsi modifié :

1° À la fin de l’article L. 123, les mots : « au scrutin uninominal majoritaire à deux tours » sont remplacés par les mots : «  à la représentation proportionnelle  » ;

2° L’article L. 124 est ainsi rédigé :

«  Art. L. 124. – Chaque électeur dispose de deux voix :

« – une première voix pour élire un candidat au scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans chaque circonscription ;

« – une seconde voix pour élire des candidats au scrutin de liste sans panachage ni vote préférentiel.

« Le scrutin de liste a lieu concomitamment au premier tour de l’élection au scrutin majoritaire.  » ;

3° Au début du premier alinéa de l’article L. 126, sont insérés les mots : «  Au scrutin uninominal majoritaire  » ;

4° Il est ajouté un article L. 126‑1 ainsi rédigé :

«  Art. L. 1261. – Les sièges à pourvoir au scrutin de liste nationale sont répartis de façon complémentaire proportionnellement aux voix obtenues par ces dernières en tenant compte des députés élus au scrutin majoritaire dont la candidature est rattachée à une liste.

« Seules les listes ayant obtenu au moins 4 % des suffrages exprimés ou dont au moins trois candidats ont été élus au scrutin majoritaire sont éligibles à l’obtention de sièges au scrutin de liste.

« L’élection dans les circonscriptions est ouverte aux candidats qui ne sont pas présents sur une liste.

« Les sièges sont répartis conformément aux règles de la répartition proportionnelle aux candidats présents sur les listes, suivant la règle de la plus forte moyenne. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui‑ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué à la liste dont la moyenne d’âge est la moins élevée.

« Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation sur chaque liste.  »

Article 2

Le chapitre V du titre II du livre Ier du code électoral est ainsi modifié :

1° L’article L. 156 est ainsi modifié :

a) Avant le premier alinéa, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :

«  Un candidat peut se présenter au scrutin majoritaire et au scrutin de liste.

« Un candidat au scrutin uninominal majoritaire indique s’il s’affilie à une liste lors du dépôt de sa candidature.

« S’il est élu par les deux moyens, l’élection au scrutin majoritaire l’emporte. Le siège acquis au scrutin de liste échoit au suivant dans l’ordre de présentation.

« Nul ne peut être candidat sur plus d’une liste.  » ;

b) Le premier alinéa est complété par les mots : «  au scrutin uninominal majoritaire  » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 157, après le mot : « candidatures  », sont insérés les mots : «  au scrutin uninominal majoritaire  » ;

3° Après le même article L. 157, il est inséré un article L. 157‑1 ainsi rédigé :

«  Art. L. 1571. – I. – La déclaration de candidature résulte du dépôt au ministère de l’Intérieur d’une liste comprenant un nombre de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir. La liste est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.

« La déclaration de candidature est faite collectivement pour chaque liste par le candidat tête de liste ou par un mandataire désigné par lui. Elle est accompagnée de la copie d’un justificatif d’identité de chacun des candidats.

« Elle comporte la signature de chaque candidat et indique expressément :

« 1° Le titre de la liste  ;

« 2° Les nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, nationalité, domicile et profession de chacun des candidats.

« À la suite de sa signature, chaque candidat appose la mention manuscrite suivante : “La présente signature marque mon consentement à me porter candidat à l’élection à l’Assemblée nationale sur la liste menée par (indication des noms et prénoms du candidat tête de liste).” »

Article 3

L’article 9 de la loi n° 88‑227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) Le taux : « 1 % » est remplacé par le taux : « 4 % » ;

b) Le mot : « cinquante » est remplacé par le mot : « vingt » ;

c) Sont ajoutés les mots : « ou dont la liste nationale a atteint au moins 4 % des suffrages exprimés » ;

2° À la première phrase du quatrième alinéa, après le mot : «  élections  » sont insérés les mots : «  au scrutin de liste et par ses candidats au scrutin uninominal majoritaire par chacun des partis et groupements en cause ».