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N° 2017
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à pérenniser le dispositif des haltes soins addictions,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Sébastien DELOGU, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi, issue des travaux de l’enquête parlementaire Marseille en vrai, vise à prendre en charge le problème de santé publique majeur que constitue la consommation d’opiacés et d’alcaloïdes dans l’espace public. Afin d’apporter une réponse efficace, en termes de traitement et de prévention, celle‑ci propose de pérenniser les dispositifs de haltes soins addictions qui font toujours l’objet d’une expérimentation et qui ont déjà fait leurs preuves sur la réduction des risques pour les usagers de drogues.
Comme le demandent de nombreuses associations, la pérennisation des haltes soins addictions permettra aux deux salles de consommations supervisées existantes de bénéficier d’un cadre légal stable pour continuer à mener à bien leurs missions. En effet, sans modification de la loi actuelle, celles‑ci se verraient contraintes au 1er janvier 2026 de fermer et d’abandonner leurs 1 600 usagers. Enfin, fort des résultats positifs des expérimentations qui ont été menées, cette proposition de loi vise également à permettre l’implantation de nouvelles haltes soins addictions dans les autres villes de France où les besoins existent et, bien souvent, s’aggravent.
Ces dernières années, les statistiques autour de la consommation de drogue ont montré une augmentation importante du nombre d’usagers. L’observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), notamment, indique qu’en 2023, près d’un adulte sur dix (9,4 %) avait déjà expérimenté la cocaïne au cours de sa vie et que 2,7 % de la même population avait consommé dans l’année ([1]). À titre de comparaison, en 2017, seulement 5,6 % des adultes avaient déjà expérimenté au moins une fois la cocaïne au cours de leur vie et 1,6 % l’avaient consommé dans l’année. Dans le même temps, on constate une augmentation de 0,1 point de la consommation d’héroïne dans l’année entre 2017 et 2023 et une augmentation de 0,7 point du pourcentage d’adultes l’ayant déjà expérimenté au cours de cette même période.
Les drogues ont des conséquences sanitaires importantes sur leurs usagers. On constate notamment un risque de décès multiplié par 7 dans la population des consommateurs d’héroïne par rapport à la population nationale ([2]). En conséquence, l’augmentation de la consommation est perceptible d’un point de vue sanitaire, avec par exemple un triplement, entre 2010 et 2022, des passages aux urgences hospitalières pour cocaïne, passant de 8,6 à 21,2 pour 100 000 personnes ([3]). Enfin, au cours de la seule année 2019, 450 personnes au moins sont mortes en France à la suite d’une overdose d’opioïdes et 77 au moins après avoir fait une surdose de cocaïne ([4]).
Face à cette situation, les gouvernements ont déployé des politiques publiques de lutte contre les risques liés aux addictions.
En 1986, d’abord, la France donne accès à des seringues stériles sans prescription. À partir de 1993, ensuite, des traitements de substitution aux opiacés sont mis en circulation. Puis, la loi du 9 août 2004 vient consacrer une véritable politique publique visant à prévenir les dommages sanitaires (RdR). Elle intègre la diffusion de messages de prévention, la mise à disposition de matériel stérile et de traitements de substitution aux opiacés, de la médiation sociale ainsi que la création d’accueils dans des centres médico‑sociaux dédiés.
Dans cette même logique de prévention des risques, le parlement adopte le 26 janvier 2016 une loi d’expérimentation des salles de consommation à moindre risque qui, dans son article 43, prévoit à titre expérimental et pour une durée de 6 ans l’installation d’un régime dérogatoire au droit commun permettant la consommation de produits illicites dans des lieux supervisés ([5]). Le cahier des charges relatif à cette expérimentation est ensuite précisé par l’arrêté du 22 mars 2016, puis par l’arrêté modificatif du 15 juillet 2019 qui autorise l’accès des salles aux consommateurs non injecteurs.
En 2022, sur la base de résultats positifs, le législateur décide de prolonger l’expérimentation jusqu’au 31 décembre 2025.
La France devient donc le 10e pays du monde à ajouter la consommation supervisée à ses outils de réduction des risques et des dommages. À titre de comparaison, en 2023, il existait 151 salles de consommation supervisée dans le monde, réparties dans 16 pays différents.
Dans le cadre de la loi du 26 janvier 2016, deux salles expérimentales proposant des services de prévention sanitaire voient le jour à Paris et Strasbourg. Elles accompagnent les usagers à l’injection et réduisent les risques liés, délivrent de la naloxone, surveillent la sortie des usagers de l’espace d’injection et orientent les consommateurs vers la prise en charge des addictions. Elles proposent également des consultations de service social et des consultations d’infirmiers.
En 2023, ces deux salles ont accueilli 1 600 personnes, soit 1 % des 342 000 usagers à risques de drogues estimés en France ([6]). Elles présentaient une file active similaire avec environ 800 usagers dans chaque salle. Pour autant, la salle de Paris compte à ce jour huit fois plus de consommation que celle de Strasbourg, soit 194 consommations par jour à Paris contre 25 à Strasbourg. Cette différence est en partie attribuable à leurs emplacements, en milieu hospitalier ou non.
Depuis son développement dans le monde et en France, plusieurs études ont permis d’analyser les effets des salles de consommation supervisée. Elles dressent toutes le même constat : les salles de consommation supervisée sont bénéfiques en termes de santé publique et de tranquillité publique.
Une étude de 2011 sur la salle de Vancouver a notamment montré une réduction de 35 % de la mortalité par surdose à moins de 500 mètres autour de la salle, alors qu’une baisse de 9,3 % était constatée dans le reste de la ville. De plus, 75 % des usagers de cette salle déclarent qu’elle a permis de changer leurs pratiques d’injection.
Par ailleurs, les bilans d’activité montrent une baisse de la fréquence des consommations et une diminution, jusqu’à 50 %, de la quantité de produits absorbés, démontrant ainsi une réduction des risques effective.
De plus, en France, une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a fait des projections sur une période de 10 ans à partir de l’ouverture des salles de consommation à moindre risque. Celles‑ci montrent que les salles de Paris et de Strasbourg permettraient d’éviter 6 % des infections au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et 11 % des infections au virus de l'hépatite C (VHC), 69 % des surdoses, 71 % des passages aux urgences ainsi que 77 % des abcès et endocardites associées ([7]).
Les salles de consommations permettent également de baisser les coûts liés au système de soin. En effet, la même projection quantifie des économies à hauteur de 6 millions d’euros en prenant en compte les coûts liés aux passages aux urgences hospitalières et aux infections aux VHC.
Au‑delà de leur impact sur la santé des usagers, les haltes soins addictions ont un effet positif sur la tranquillité des quartiers où elles sont installées. Le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pointe une diminution des nuisances dues à la consommation de stupéfiants dans l’espace public, notamment, une baisse des intrusions dans les espaces privés, des nuisances sonores, de la vue de personnes injectant et de la présence de déchets usagés comme les seringues à risques. À titre d’exemple, le nombre de seringues ramassées autour de la salle de consommation de Paris est passé de 150 à moins de 10 par jour. Ce même rapport indique une baisse de la consommation dans la rue au profit des salles, et donne l’exemple de la salle de Bruxelles, qui a établi que 80 % des usagers auraient consommé dans la rue si celle‑ci n’existait pas ([8]).
Enfin, les salles de consommation supervisée ont également pour effet de soulager l’action des forces de police en prenant en charge des personnes en très grande détresse.
Il existe donc un consensus clair autour de l’efficacité des haltes soins addictions dans le traitement et la prévention des addictions. Les acteurs professionnels et associatifs au plus près du terrain expriment en conséquence une forte demande pour l’installation de salles de consommation supervisée. A Marseille, par exemple, le collectif « je dis Oui ! » milite activement pour qu’une halte soins addictions soit ouverte après l’abandon du projet d’ouverture de salle au 110 boulevard de la Libération, dans le 4e arrondissement.
Enfin, les soignants voient également d’un bon œil les haltes soins addictions en place, comme le confirme le Conseil national de l’Ordre des médecins, qui affirme la nécessité de maintenir les deux salles existantes et d’envisager de nouvelles implantations en fonction des besoins géographiques.
En conséquence, il apparaît nécessaire d’intégrer des haltes soins addictions de façon pérenne dans l’arsenal des outils de prévention des risques en France. Les expérimentations ayant démontré leur efficacité, il est désormais urgent de généraliser le dispositif de salles de consommation supervisée sur l’ensemble du territoire, afin de réduire efficacement les risques liés à la consommation de drogues, et de connaître les évolutions de consommation.
L’article 1er de la présente loi codifie le dispositif des haltes soins addictions dans le code de la santé publique. Il pérennise, en conséquence, les haltes soins addictions déjà ouvertes et permet de nouvelles implantations.
L’article 2 gage la proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
I. – Le 2° de l’article L. 251‑2 du code l’action sociale et des familles est ainsi rédigé :
« 2° Les frais définis aux 4°, 5° et 12° de l’article L. 160‑8 ».
II. – Après l’article L. 3411‑9 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3411‑9‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3411‑9‑1. – I. – Les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue mentionnés à l’article L. 3411‑9 du code de la santé publique et les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie mentionnés à l’article L. 3411‑6 du même code, désignés par arrêté du ministre chargé de la santé après avis du directeur général de l’agence régionale de santé et en concertation avec le maire de la commune concernée et, à Paris, Lyon et Marseille, en concertation avec le maire d’arrondissement ou de secteur concerné, ouvrent une halte soins addictions, qui est un espace de réduction des risques par usage supervisé et d’accès aux soins, dans le respect d’un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé.
« Les haltes soins addictions sont installées sur des espaces situés dans les locaux du centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue et du centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie ou dans des locaux distincts. Elles peuvent également être situées dans des structures mobiles.
« II. – Ces espaces sont destinés à accueillir des personnes majeures usagers de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants qui souhaitent bénéficier de conseils en réduction de risques dans le cadre d’usages supervisés mentionnés à l’article L. 3411‑8 du même code. Dans ces espaces, ces usagers sont uniquement autorisés à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer sur place dans le respect des conditions fixées dans le cahier des charges mentionné au I du présent article et sous la supervision d’une équipe pluridisciplinaire comprenant des professionnels de santé et du secteur médico‑social, également chargée de faciliter leur accès aux soins.
« La personne qui détient pour son seul usage personnel et consomme des stupéfiants à l’intérieur d’une halte soins addictions créée en application du présent article ne peut être poursuivie pour usage illicite et détention illicite de stupéfiants.
« Le professionnel intervenant à l’intérieur de la halte soins addictions et qui agit conformément à sa mission de supervision ne peut être poursuivi pour complicité d’usage illicite de stupéfiants et pour facilitation de l’usage illicite de stupéfiants. »
III. – Le chapitre préliminaire du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Après le 11° de l’article L. 160‑8, il est inséré un 12° ainsi rédigé :
« 12° La couverture des frais relatifs à l’activité des centres mentionnés à l’article L. 3411‑9‑1 du code de la santé publique. » ;
2° Après le 32° de l’article L. 160‑14, il est inséré un 33° ainsi rédigé :
« 33° Pour les frais occasionnés par une prise en charge dans les centres mentionnés à l’article L. 3411‑9‑1 du code de la santé publique. »
IV. – L’article 43 de la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé est abrogé.
Article 2
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les alcools prévue au chapitre III du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
[1] Observatoire français des drogues et des tendances addictives, Tendances, Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2023, Juin 2024, Hors-série International, Drogues et addictions, chiffres clés, S. Spilka, O. Le Nézet, E. Janssen, A. Brissot, A. Philippon, V. Eroukmanoff
[2] Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Premiers résultats de l’enquête “cohorte de mortalité d’usagers de stupéfiants”, Anne-Claire Brisacier, Note 2015-06, Saint-Denis, le 20 novembre 2015
[3] Santé publique France, Cocaïne, consommation et passage aux urgences en hausse, 27 mars 2023 https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2023/cocaine-consommation-et-passages-aux-urgences-en-hausse
[4] Surdoses aux opiacés : la France dans l’urgence, LIbération, 31 août 2021
[5] Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
[6] Les haltes soins addictions : Un dispositif expérimenté depuis 2016 pour réduire les risques et nuisances associés à la consommation de stupéfiants dans l’espace public, Rapport IGA-IGAS, Jérôme Léonnet, Dr. Christophe Schmit, Emilie Seffray, Octobre 2024
[7] Salles de consommation à moindre risque en France : rapport scientifique, COSINUS, COhorte pour l’évaluation des facteurs Structurels et INdividuels de l’USage de drogues, Institut de Santé Publique de l’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale, mai 2021,
[8] Les haltes soins addictions : Un dispositif expérimenté depuis 2016 pour réduire les risques et nuisances associés à la consommation de stupéfiants dans l’espace public, Rapport IGA-IGAS, Jérôme Léonnet, Dr. Christophe Schmit, Emilie Seffray, Octobre 2024