N° 2020
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à planifier et faciliter l’hébergement des travailleurs saisonniers,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Pascale GOT, M. Joël AVIRAGNET, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Lionel CAUSSE, M. Pierrick COURBON, M. Inaki ECHANIZ, M. Philippe FAIT, M. Olivier FALORNI, M. Denis FÉGNÉ, Mme Océane GODARD, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Céline HERVIEU, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Marie RÉCALDE, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Chaque année, la France accueille plusieurs centaines de milliers de travailleurs saisonniers, indispensables à l’agriculture, à la viticulture, au tourisme, à l’hôtellerie‑restauration et aux stations balnéaires ou de montagne. Leurs contrats sont définis au 3° de l’article L. 1242‑2 du code du travail en ces termes : « Emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».
Essentiel à la vitalité économique et à l’attractivité des territoires, l’emploi saisonnier se heurte à une difficulté majeure : le logement. Près de 40 % des travailleurs saisonniers déclarent rencontrer des obstacles pour se loger durant leur période d’emploi, selon une enquête de l’INSEE en 2023. Faute de logements disponibles, nombre d’exploitations et d’entreprises peinent à recruter, conduisant parfois à une réduction des vendanges, des récoltes ou de l’offre touristique en haute saison. Cette pénurie pèse sur l’attractivité des métiers, fragilise les territoires ruraux et aggrave les tensions sur le marché local du logement, déjà affecté par la montée des meublés touristiques et des résidences secondaires. Elle constitue un frein structurel à la compétitivité des filières agricoles et touristiques. Face à ce constat, une action législative ciblée et pragmatique s’impose pour offrir des solutions d’hébergement dignes, abordables et adaptées aux besoins réels des saisonniers.
Cette question du logement des saisonniers a été abordée par la loi n° 2016‑1888 du 28 décembre 2016, dite “Loi Montagne II”. Elle a instauré, pour les communes touristiques classées, l’obligation de conclure avec l’État une convention triennale fixant un plan d’action pour le logement des travailleurs saisonniers. Cette loi a également facilité la mobilisation de logements vacants ou sociaux à titre temporaire, par le biais de dispositifs d’intermédiation locative ou de sous‑location meublée. Cependant, ces dispositions demeurent limitées aux territoires de montagne et aux communes touristiques, sans répondre aux besoins des autres territoires, notamment viticoles, agricoles ou ruraux, confrontés à des problématiques similaires. De récents rapports montrent que, près de dix ans après, des difficultés persistent et appellent une action plus large, adaptée à l’ensemble des territoires.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu en mai 2024 un avis intitulé » Se loger dans les territoires pour exercer une activité saisonnière ». Il y souligne que le logement constitue le principal frein à l’attractivité des emplois saisonniers, en raison de la concurrence avec les meublés touristiques, de la précarité des contrats et du manque de solutions abordables. Le CESE appelle à une stratégie nationale coordonnée, articulant État, régions et collectivités, pour mieux planifier et accompagner le logement saisonnier. Il met particulièrement en avant le rôle des intercommunalités, la nécessité d’assouplir le droit de l’urbanisme pour les hébergements temporaires et la création de dispositifs locaux mutualisés associant employeurs, élus et acteurs du logement.
En Gironde, l’étude conduite par l’agence a’urba en avril 2024 pose ces mêmes constats : absence de données partagées, projets éparpillés, coexistence difficile entre hébergements touristiques et saisonniers, et inégalités territoriales fortes. Elle plaide pour un ancrage intercommunal du sujet, la mobilisation du parc existant, et la création de solutions modulaires, réversibles et adaptées aux différents profils de saisonniers, qu’ils soient seuls, en famille ou en collectif. L’étude insiste également sur la nécessité d’élaborer un diagnostic précis des besoins, de développer des outils de suivi (baromètres, observatoires), et d’améliorer la coordination entre les acteurs publics et privés afin d’éviter les doublons et les zones grises.
Ces travaux ont été confortés, un an plus tard, par le rapport public thématique » Le logement des travailleurs saisonniers » publié en juillet 2025 par la Cour des comptes, qui dresse un constat sévère des difficultés persistantes rencontrées pour accéder à un hébergement décent et adapté. Il relève l’insuffisance de la connaissance statistique des besoins, la dispersion du pilotage institutionnel, et la complexité du droit de l’urbanisme, qui freine la mise en œuvre de solutions temporaires. La Cour souligne également la faible mutualisation des initiatives locales, souvent menées sans visibilité à long terme. Pour y remédier, elle préconise de reconnaître le logement saisonnier comme une composante de la compétence « habitat » des intercommunalités et de l’intégrer dans les programmes locaux de l’habitat (PLH), de simplifier les procédures d’urbanisme pour les hébergements démontables, d’autoriser leur implantation temporaire sous accord local et de faciliter leur inscription dans les documents d’urbanisme via les secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL). Elle appelle enfin à renforcer la coordination entre employeurs, élus et acteurs du logement afin de garantir un accueil digne et sécurisé des saisonniers.
Ces orientations convergentes du CESE, de la Cour des comptes et des agences d’urbanisme locales plaident pour une intégration du logement saisonnier dans les documents d’urbanisme intercommunaux, la simplification du cadre urbanistique pour les hébergements légers et démontables, et la coordination renforcée des acteurs locaux et des employeurs. La présente proposition de loi s’inscrit pleinement dans ce consensus, en donnant aux élus des outils concrets, souples et sécurisés pour agir efficacement sur leur territoire.
Elle repose sur trois mesures simples, concrètes et complémentaires, issues des réalités du terrain et des besoins exprimés par les élus locaux, les professionnels et les acteurs économiques.
L’article 1er vise à inscrire le logement des travailleurs saisonniers dans la planification locale de l’habitat. Il complète à cette fin le IV de l’article L.302‑1 du code de la construction et de l’habitation, afin que les programmes locaux de l’habitat (PLH) intègrent désormais les actions et opérations d’accueil et d’habitat destinées aux saisonniers. Cette intégration permettra aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), en lien étroit avec les employeurs du territoire et les filières concernées, d’objectiver les besoins, d’identifier les zones de tension et de prévoir des actions adaptées. Sans conférer à l’intercommunalité un rôle de chef de file en matière d’hébergement des travailleurs saisonniers et une responsabilité juridique et opérationnelle supplémentaire, cet article inscrit durablement le sujet dans les outils de planification existants, à l’instar du logement étudiant ou de l’habitat inclusif pour les personnes en situation de perte d’autonomie.
L’article permet également aux intercommunalités de valoriser les dispositifs locaux d’information et d’accompagnement, initiés par les employeurs, les représentants des filières concernées et tous les autres acteurs du territoire mettant en place des initiatives participant à un accueil adapté et digne des travailleurs saisonniers. En inscrivant le logement saisonnier dans les PLH, la proposition fait de l’intercommunalité l’échelle de référence, garantissant une approche cohérente et transversale entre habitat, emploi et mobilité. Les intercommunalités agiront en soutien des employeurs, et non à leur place. En effet, il relève avant tout de la responsabilité des acteurs économiques et organisations professionnelles locales (viticoles, agricoles, hôtelières, touristiques) d’anticiper leur activité, et en fonction de celle‑ci, d’évaluer les recrutements et logements nécessaires. Cette complémentarité garantit une responsabilité partagée et une action publique proportionnée.
L’article 2 crée un nouvel article L. 421‑5‑4 du code de l’urbanisme, et permet au maire d’autoriser l’implantation d’hébergements temporaires et démontables exclusivement pour loger des travailleurs saisonniers, préalablement aux modifications des documents d’urbanisme. Ce régime dérogatoire offre une solution immédiate pour loger les salariés, sans attendre les délais parfois très longs d’évolution de la planification locale. Le dispositif vise à libérer les initiatives tout en les encadrant strictement : autorisation délivrée par le maire, garant de l’équilibre local ; durée limitée, liée à la saison d’activité, mais renouvelable ; conditions minimales de surface, d’habitabilité, d’hygiène et de sécurité fixées par décret ; sanction en cas d’utilisation détournée de ces constructions et du maintien au‑delà du délai autorisé. Il couvre ainsi les situations concrètes rencontrées sur le terrain, et pallie l’offre parfois insuffisante de logement « en dur » en facilitant les constructions dites « légères ».
Afin de garantir un équilibre entre la souplesse accordée aux communes et la préservation des espaces agricoles et naturels, les implantations situées dans ces zones seront soumises à l’avis préalable de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Cette consultation permettra d’assurer la cohérence entre les besoins d’hébergement temporaire et les politiques locales de protection du foncier.
Les constructions pourront être maintenues d’une année sur l’autre, sous réserve d’un accord renouvelé du maire, supprimant ainsi la contrainte du démontage systématique. Ce régime concilie souplesse, sécurité juridique et réversibilité, au service des professionnels et des communes. L’objectif n’est pas de créer des « aires de saisonniers » pérennes, mais de sécuriser des solutions temporaires, strictement limitées dans le temps et réversibles. Ces hébergements doivent avant tout permettre à des travailleurs exerçant des activités souvent pénibles et exigeantes – dans les champs, les vignes, les hôtels ou les restaurants – de disposer d’un cadre de vie respectueux de leur santé, de leur sécurité et de leur dignité. De plus, des conditions décentes d’hébergement des salariés saisonniers participent du bien‑vivre ensemble avec la population locale.
Afin de faciliter la pérennisation de logements conformes aux exigences réglementaires de sécurité, de salubrité et d’hygiène pour l’habitat léger transitoire, en cas de besoins récurrents, les implantations devront être inscrites dans la planification locale d’urbanisme. Pour ceux situés en zones naturelles et agricoles, l’article 3 complète l’article L.151‑13 du code de l’urbanisme en créant un 4° spécifiquement dédié à l’hébergement des travailleurs saisonniers dans les STECAL.
Comme l’a relevé la Cour des comptes en 2025, le recours à ces STECAL reste aujourd’hui très limité, alors qu’il constitue un outil juridique adapté pour concilier l’accueil de travailleurs saisonniers et la préservation du foncier agricole. Le rapport souligne que certaines préfectures l’ont déjà mobilisé pour autoriser des hébergements temporaires en zones agricoles, mais que cette pratique demeure marginale faute d’assise législative explicite et de cadre incitatif clair. En inscrivant expressément cette possibilité dans la loi, la proposition de loi sécurise et encourage le recours à cet outil d’urbanisme fin, concerté et encadré, soumis à l’avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF).
Cette clarification est particulièrement nécessaire dans les territoires agricoles, viticoles et touristiques, où les besoins d’hébergement saisonnier sont récurrents et massifs. En 2021, les juridictions financières estimaient le nombre total de travailleurs saisonniers à environ 1,5 million de personnes par an, dont la moitié dans l’agriculture. Les STECAL offrent un cadre de planification durable, proportionné et respectueux des équilibres fonciers : ils permettent aux communes et intercommunalités d’anticiper l’accueil des travailleurs saisonniers dans des conditions adaptées, tout en protégeant les espaces agricoles et naturels. Ce dispositif complète ainsi le régime ponctuel prévu à l’article 2, en offrant une solution pérenne et maîtrisée aux besoins récurrents d’hébergement saisonnier dans les zones A et N.
En agissant simultanément sur l’identification précise des besoins (article 1er), un renforcement des pouvoirs du maire pour une réponse rapide aux besoins de logements (article 2) et une inscription pérenne dans la planification urbaine (article 3), cette proposition de loi constitue un levier pragmatique et équilibré pour répondre aux besoins des vendanges, des récoltes et des saisons touristiques. Par exemple, dans les territoires où la viticulture et l’œnotourisme sont au cœur de l’économie, elle apportera des solutions concrètes et immédiatement mobilisables, permettant aux châteaux viticoles et exploitations agricoles de loger leurs saisonniers sur place, de manière légale, stable et adaptée aux réalités de terrain.
Garantir un logement digne à ceux qui font vivre nos territoires est un enjeu de justice et de compétitivité. En apportant des réponses souples et sécurisées aux besoins d’hébergement saisonnier, cette proposition de loi constitue un outil au service de l’agriculture, du tourisme, de l’emploi local, de la cohésion territoriale et de l’attractivité des métiers saisonniers.
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proposition de loi
Article 1er
Après le huitième alinéa du IV de l’article L. 302‑1 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – les actions et opérations d’accueil et d’habitat destinées aux travailleurs titulaires de contrats de travail à caractère saisonnier au sens du 3° de l’article L. 1242‑2 du code du travail. Les établissements publics de coopération intercommunale peuvent, dans ce cadre, valoriser les dispositifs d’information et d’accompagnement des travailleurs saisonniers présents sur le territoire ; ».
Article 2
Après l’article L. 421‑5‑3 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 421‑5‑4 ainsi rédigé :
« Art. L. 421‑5‑4. – I. – Par dérogation aux articles L. 421‑1 à L.421‑5, sont dispensées de toute formalité au titre du présent code, pour la durée de l’opération et dans la limite de l’échéance fixée par l’autorisation mentionnée au II du présent article, les constructions temporaires et démontables à usage exclusif de l’hébergement des travailleurs titulaires d’un contrat au sens du 3° de l’article L. 1242‑2 du code du travail.
« Les constructions doivent respecter des conditions minimales de surface, d’habitabilité, d’hygiène et de sécurité fixées par décret.
« Ces implantations peuvent être autorisées sur l’ensemble du territoire communal, y compris dans les zones agricoles ou naturelles mentionnées aux articles L. 151‑11 et L. 151‑12. Dans ces zones, le projet est soumis pour avis à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l’article L. 112‑1‑1 du code rural et de la pêche maritime.
« II. – Les constructions mentionnées au I sont soumises à l’autorisation du maire de la commune d’implantation, après délibération du conseil municipal, délivrée au plus tard deux mois avant la date de début d’implantation. Cette autorisation précise la nature et l’usage du projet, ainsi que les dates de début et de fin d’implantation. Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditions, au plus tard un mois avant l’expiration de sa durée de validité. À l’expiration de la période autorisée, le maître d’ouvrage est tenu de remettre les lieux dans leur état initial, sauf à respecter les dispositions prévues par le présent code.
« III. – Est puni d’une contravention de cinquième classe le fait d’affecter à un autre usage ou de maintenir les constructions en dehors des conditions prévues au présent article. »
Article 3
Après le 3° de l’article L. 151‑13 du code de l’urbanisme, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° Des constructions ou installations destinées exclusivement à l’hébergement des travailleurs titulaires d’un contrat au sens du 3° de l’article L. 1242‑2 du code du travail. »