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N° 2024

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

relative à la souveraineté industrielle de la France et à la protection du secteur stratégique de l’acier,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Julien GOKEL, M. Boris VALLAUD, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, Mme Martine FROGER, M. Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. François HOLLANDE, M. Sacha HOULIÉ, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)],

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi entend doter l’État d’outils puissants lui permettant de jouer pleinement son rôle d’État stratège en renforçant le poids des contreparties aux aides qu’il octroie et en lui permettant d’intervenir directement dans la vie économique lorsque la gestion de certaines entreprises stratégiques porte atteinte aux intérêts de la Nation.

Cette proposition prend tout son sens dans un contexte où la souveraineté industrielle de la France est menacée par la remise en cause de la pérennité de sa filière sidérurgique, intimement liée à l’avenir du site d’ArcelorMittal de Dunkerque. Ce site, qui est l’un des plus grands complexes sidérurgiques d’Europe, est au cœur de la stratégie de décarbonation de notre industrie, du fait de son importance dans l’empreinte carbone nationale et des projets de conversion de ses hauts‑fourneaux.

Le 7 octobre 2025, la Commission européenne a annoncé la mise en œuvre du « plan acier », répondant à une forte attente des industriels du secteur. Ce plan, couplé à la future entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) en 2026, envoie des indicateurs positifs pour enclencher les investissements nécessaires à la décarbonation de la production.

Pourtant, la transition industrielle capitale du site se heurte à l’absence d’engagements fermes du groupe ArcelorMittal concernant les investissements nécessaires à sa modernisation et à sa décarbonation. Cet attentisme fait peser un triple risque : sur les 3 000 emplois directs et les 10 000 emplois indirects dans le Dunkerquois, mais également les sites de Desvres, Montataire, Florange, Gandrange, Mouzon, Basse‑Indre, Fos‑sur‑Mer ou Saint‑Chély d’Apcher ; et enfin, sur nos objectifs nationaux et européens de réduction des gaz à effet de serre. Le risque d’un décrochage du site, voire d’une mise en sommeil partielle, affecterait en définitive l’économie locale, notre souveraineté industrielle et la transition écologique de notre appareil productif. Cette situation, alors même que les pouvoirs publics tiennent leurs engagements financiers et stratégiques, appelle donc des mesures d’urgence pour garantir la responsabilité des acteurs industriels.

L’article 1er, vient conditionner les aides de l’État au respect d’obligations traduisant tout à la fois les priorités de politiques publiques comme les orientations que l’État souhaite donner à certains secteurs stratégiques. Afin de donner une matérialité à ces obligations et d’assurer leur respect par les entreprises concernées, ces aides donneraient lieu, au‑delà d’un certain seuil, au nantissement de parts sociales ou d’actions du bénéficiaire au bénéfice de l’État, en garantie du respect de ces obligations. Ce faisant, en cas de violation de ces obligations, l’État deviendrait actionnaire de ces sociétés à concurrence du montant des aides octroyées. Il disposerait par ailleurs de droits de vote doubles lui permettant de peser sur les décisions de l’entreprise.

Un tel outil aurait par exemple permis à l’État, durant la pandémie de Covid‑19, d’orienter certaines entreprises aidées vers l’investissement ou un meilleur partage de la valeur plutôt que vers la distribution de superprofits. Cet outil est par construction d’abord un outil de dissuasion mais pour les entreprises pour lesquelles ces aides sont substantielles, il peut représenter une incitation puissante à mettre en œuvre une feuille de route traduisant nos priorités en matière de transition écologique, de modernisation de l’appareil productif, de souveraineté et d’emploi.

Cette proposition de loi permettrait ainsi à l’État de s’assurer qu’une entreprise respecte les engagements qu’elle a pris en contrepartie du soutien public et de se prémunir contre toute défaillance ou renoncement industriel alors que la puissance publique, elle, a tenu sa part.

Alors que l’article 1er portera d’abord sur le soutien futur de l’État aux entreprises et ne pourra servir que pour les entreprises aidées par la puissance publique, l’article 2 est un outil d’urgence pour faire face aux menaces qui pourraient peser spécifiquement sur le maintien d’une activité industrielle essentielle à la souveraineté nationale. Inspiré d’une part du régime de la réquisition en matière de défense nationale et de la loi britannique pour protéger la société British Steele, cet article 2 donne la possibilité au Premier ministre de placer un établissement industriel et ainsi les actions de son propriétaire sur ce site, sous la tutelle de l’État. Un administrateur provisoire serait chargé de prescrire au propriétaire les mesures propres à assurer la poursuite de l’activité du site, sa viabilité et sa compétitivité. Il pourra à ce titre procéder aux réquisitions nécessaires en l’absence de coopération de la société. Durant toute la durée de la réquisition, les contrats de travail des personnels de l’entreprise concernée sont maintenus, les organes représentatifs des salariés restent en place et exercent la plénitude de leurs droits jusqu’à leur renouvellement.

L’apport d’un tel outil, activable par décret, est d’abord d’être agile et réactif, sans engager l’État à la manière d’une nationalisation mais sans exclure non plus cette possibilité in fine. La période ouverte par cette procédure, qui ne peut excéder deux ans, doit permettre d’amener l’entreprise à remettre l’établissement industriel sur la bonne voie ou, à défaut, d’engager un tour de table de financeurs pour une reprise de l’entreprise ou en vue d’une nationalisation à terme, en plaçant l’État en position de force.

Dans le cas par exemple d’ArcelorMittal Dunkerque, l’État pourrait ainsi contraindre la société à réaliser les investissements en matière de modernisation du site ou d’électrification des hauts‑fourneaux qu’elle n’a, à l’heure actuelle, toujours pas engagés mais qui pourtant sont la condition de la viabilité et de la compétitivité du site et donc du maintien de son activité. A minima, cet outil empêcherait la société de procéder à toute opération qui pourrait affaiblir le site, comme la cession d’actifs ou la réduction d’activité.

Enfin, l’article 3, complétant la boîte à outils proposée par la présente proposition de loi, affirme l’importance vitale pour la souveraineté nationale de l’acier, tant pour la réindustrialisation de notre pays que pour sa transition énergétique et l’atteinte des objectifs de réarmement traduits dans la loi de programmation militaire. Ainsi, cet article précise que les stocks d’acier, les activités de production et les matériaux et minerais nécessaires à cet effet remplissent les conditions prévues à l’article 2 qui peut pleinement s’appliquer à celles‑ci. Pour ce qui est spécifiquement de l’armement et en particulier de la production de pièces d’artillerie et d’obus, il place ces activités dans le champ des procédures de réquisition qui peuvent être prises en application du code de la défense pour la préservation des intérêts de la Nation. Il s’agit de garantir à notre pays que l’ensemble de ces enjeux et objectifs permettent le maintien de nos capacités de production en acier et la possibilité de l’intervention rapide de la puissance publique en cas de nécessité.

L’article 4 constitue un gage technique de recevabilité financière du fait des charges qui pourraient être induites par la mise en œuvre de ces outils.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Toute subvention ou aide publiques, prêt exceptionnel ou abandon de créance de l’État au bénéfice des entreprises, dont le montant dépasse un seuil fixé par décret, donne lieu en contrepartie au nantissement d’actions ou de parts sociales de la société bénéficiaire à concurrence de la valeur de ces concours au bénéfice de l’État dans les conditions définies au présent article.

II. – Le nantissement est mis en œuvre en garantie du respect d’obligations assignées par l’État à la société bénéficiaire et traduites au sein d’une convention d’engagement dont la durée d’application est comprise entre trois et dix ans selon la nature et le montant des concours apportés à la société bénéficiaire. Toute convention d’engagement contient un pacte commissoire.

Ces obligations peuvent être de toute nature afin d’assurer la viabilité économique, la compétitivité et la poursuite de l’activité de la société ainsi que pour concourir à la transition écologique et à la préservation de l’emploi et des compétences. Elles sont définies de manière précise, mesurable et non équivoque. La convention peut également interdire certaines opérations capitalistiques.

La convention, valant acte de nantissement, est notifiée au greffe du tribunal de commerce pour publication au registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes.

À l’expiration de la convention et sous réserve des dispositions du III, il est procédé à la radiation du nantissement dans les mêmes conditions.

III. – En cas de violation d’une ou plusieurs des obligations contenues dans la convention prévue au II, l’État notifie le greffe du tribunal de commerce du transfert de la propriété des actions ou parts sociales à son bénéfice, en application du pacte commissoire. Par dérogation à l’article 2348 du code civil, aucune indemnité n’est due au constituant en cas d’appréciation de la valeur des actions ou parts sociales nanties lorsqu’elle excède le montant des concours perçus.

IV. – Les actions transférées à l’État en application du III lui confèrent un droit de vote double de celui conféré aux autres actions, eu égard à la quotité de capital social qu'elles représentent. En cas d'augmentation du capital par incorporation de réserves, bénéfices ou primes d'émission, le droit de vote double est conféré, dès leur émission, aux actions nominatives attribuées gratuitement à l’État à raison des actions anciennes pour lesquelles il bénéficie de ce droit en application du présent IV.

V. – Les dispositions du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État.

Article 2

I. – Lorsqu’un établissement industriel revêt, du fait de la nature, la portée, la spécificité ou la singularité de son activité une importance particulière pour la souveraineté industrielle de la France et qu’il existe une menace actuelle ou prévisible sur la poursuite de son activité et le maintien de ses capacités et de ses compétences, le Premier ministre peut ordonner, par décret en conseil des ministres, le placement sous administration provisoire de l’établissement industriel, pour une durée qui ne peut excéder deux ans.

II. – Un administrateur provisoire, désigné par le Premier ministre, ou l’autorité administrative qu’il habilite à cet effet, prescrit les mesures propres à assurer la continuité de l’activité de l’établissement précité et la préservation de ses actifs et de ses capacités, y compris en prescrivant les investissements nécessaires à cet effet. Il peut interdire toute cession d’actifs ou autre opération capitalistique qui porterait atteinte à ces objectifs. Toute opération réalisée en violation d’une telle interdiction est frappée de nullité.

En l’absence de diligences suffisantes du propriétaire de l’établissement industriel, l’administrateur provisoire peut requérir toute personne physique ou morale, exercer toute fonction et prendre toute décision de gestion administrative ou financière nécessaire à la mise en œuvre de ces prescriptions.

III. – Le refus de déférer dans un délai raisonnable à compter de leur notification aux prescriptions de l’administrateur provisoire légalement ordonnées en application du présent article est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500 000 euros pour une personne physique ou de 3 000 000 euros pour une personne morale. 

IV. – Les dispositions du présent article sont précisées par décret.

Article 3

I. – Les activités concourant à la production et à la mise en forme de l’acier, ainsi que les matériaux et minerais nécessaires à ces activités, revêtent un intérêt particulier pour la souveraineté industrielle de la France au sens de l’article 2 de la présente loi.

II. – Ces activités, lorsqu’elles sont essentielles à la production de pièces d’artillerie ou de munitions peuvent en outre être requises dans l’intérêt de la défense nationale dans les conditions prévues au livre II de la partie II du code de la défense. Il en va de même des stocks d’acier ainsi constitués.

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, M. Belkhir BELHADDAD, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, Mme Martine FROGER, M. Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. François HOLLANDE, M. Sacha HOULIÉ, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM.