N° 2033
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Karim BENBRAHIM, Mme Estelle MERCIER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ,
député et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Nul ne devrait avoir à choisir entre travailler et se protéger. Pourtant, les violences sexistes et sexuelles au travail continuent de marquer le quotidien de trop nombreuses victimes, très majoritairement des femmes, qui ne trouvent pas l’écoute ou la protection dont elles ont besoin.
Ces violences ont des conséquences lourdes et durables pour elles. Elles constituent l’un des pans des violences subies du fait du genre et demeurent une réalité trop souvent invisibilisée. D’après l’enquête Genese (Genre et sécurité), conduite par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure en 2021, plus de 40 % des femmes déclarent avoir été confrontées à des violences sexistes et sexuelles au cours de leur carrière professionnelle. Ce chiffre, saisissant, illustre l’ampleur d’un phénomène qui traverse tous les secteurs d’activité et tous les statuts professionnels.
Le lieu de travail, parce qu’il met en jeu des liens de dépendance économique et professionnelle, peut amplifier les situations de vulnérabilité. Les violences sexistes et sexuelles dans le cadre professionnel s’inscrivent en effet dans des rapports de pouvoir qui peuvent être inégalitaires et dans des environnements où le fonctionnement hiérarchique, la peur de représailles ou la méfiance envers les dispositifs internes peuvent favoriser le silence et l’impunité.
Remarques sexistes, harcèlement, agressions verbales ou physiques, violences sexuelles, etc. : les formes que prennent ces comportements sont multiples. Et leurs conséquences sont profondes. Elles affectent directement la santé physique et mentale des victimes. Elles pèsent aussi sur les trajectoires professionnelles des victimes. Les études et témoignages montrent que ces violences subies peuvent entraîner un ralentissement de carrière, un changement forcé de poste, voire une sortie contrainte de l’emploi.
Les violences sexistes et sexuelles créent également un climat d’insécurité pour les personnes les plus exposées, avant tout les femmes. Près de 90 % d’entre elles affirment anticiper des comportements sexistes sur leur lieu de travail et adapter leur attitude pour tenter de les éviter. Outre un sentiment d’insécurité permanent, ces stratégies d’évitement, souvent invisibles, participent à entretenir les inégalités professionnelles et à freiner la progression de carrière de nombreuses femmes.
Certaines vont jusqu’à renoncer à certaines voies professionnelles. Ainsi, 15 % des femmes interrogées déclarent éviter délibérément les filières scientifiques et techniques en raison du risque perçu de violences sexistes ou sexuelles. Ce constat illustre combien les violences sexistes et sexuelles sont aussi un frein à la liberté des parcours et à la mixité professionnelle.
Trop souvent, ces violences sont banalisées ou tues, par peur des représailles, méfiance envers les procédures internes ou sentiment d’isolement. Le coût humain est considérable : perte de confiance, dégradation de la santé physique et mentale, décrochage professionnel. Le coût économique l’est également, pour les victimes comme pour la collectivité.
Face à ces réalités, les dispositifs existants se révèlent, dans les faits, largement insuffisants. Les actions de sensibilisation peinent à endiguer l’ampleur du phénomène. Les mécanismes de signalement sont souvent mal connus, inadaptés ou dépourvus de garanties de confidentialité et d’indépendance. Et les démarches engagées par les victimes peuvent paraître longues et complexes.
Cette proposition de loi vise donc à intervenir à différents niveaux afin d’impacter la formation et la prévention, la mise en place de procédures de traitement des cas de VSS sur le lieu de travail et l’accompagnement des victimes de violences sexistes et sexuelles. Elle vise à construire un environnement professionnel plus sûr et égalitaire.
Le premier article rend obligatoire la négociation sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le cadre du dialogue social, à deux niveaux : au sein des entreprises et au sein des branches professionnelles. Il s’agit de faire de cette question un sujet central au cœur du dialogue social afin d’identifier les actions de prévention à mettre en place, d’améliorer le traitement des situations, de libérer la parole des victimes et de les accompagner dans leur parcours post‑violence.
Le deuxième article prévoit la mise à disposition, par le Ministère du travail, dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, d’un protocole‑type fixant les étapes d’une procédure claire et protectrice de signalement et de traitement des faits de violences sexistes et sexuelles à mettre en place par l’employeur. Ce protocole doit permettre de poser un cadre clair et d’accompagner les victimes et les employeurs, notamment les petites structures, dans le traitement de situations face auxquelles elles ont aujourd’hui trop souvent du mal à répondre.
Le troisième article crée un droit à des congés rémunérés pour les personnes victimes de violences sexistes et sexuelles, qu’elles travaillent dans le secteur public ou privé. Ce congé doit leur permettre de réaliser les démarches nécessaires, sans perte de salaire ni impact sur leurs congés payés. Cela inclut notamment le dépôt de plainte, les soins médicaux, l’accompagnement psychologique ou encore les démarches juridiques. Ce droit vise à soutenir les victimes dans leur parcours, sans subir de pression professionnelle ou financière supplémentaire.
Le dernier article constitue le gage financier de cette proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
I. – Le 5° de l’article L. 222‑3 du code général de la fonction publique est complété par les mots : « et aux violences sexistes et sexuelles parmi lesquelles le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ».
II. – Le code du travail est ainsi modifié :
1° Au 2° de l’article L. 2241‑1, après le mot : « contre », sont insérés les mots : « les violences sexistes et sexuelles parmi lesquelles » ;
2° Au 2° de l’article L. 2242‑1, après le mot : « rémunération, », sont insérés les mots : « la lutte contre les violences sexistes et sexuelles parmi lesquelles le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, ».
Article 2
Après l’article L. 1142‑2‑1 du code du travail, il est inséré un article L. 1142‑2‑2 ainsi rédigé :
« Art. L. 1142‑2‑2. – Le ministère du travail met à disposition un protocole‑type, dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, prévoyant une procédure claire de signalement et de traitement des faits de violences sexistes et sexuelles, dans le cadre professionnel. »
Article 3
I. – Après l’article L. 622‑2 du code général de la fonction publique, il est inséré un article L. 622‑2‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 622‑2‑1. – Les agents publics bénéficient d’autorisations spéciales d’absence liées aux démarches judiciaires, médicales, psychologiques, administratives, sociales ou professionnelles, liées à une situation de violence sexiste ou sexuelle. Ces autorisations spéciales d’absence n’entrent pas en compte dans le calcul des congés annuels. »
II. – Le chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième du code du travail est complété par une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« Congés pour la protection de ses droits
« Art. L. 3142‑130‑1. – Toute personne victime de violence sexiste ou sexuelle, a droit à un congé, sur justificatif, pour effectuer des démarches judiciaires, médicales, psychologiques, administratives, sociales ou professionnelles liées à la situation de violence sexiste ou sexuelle. »
« Art. L. 3142‑130‑2. – La durée du congé ne peut être imputée sur la durée du congé payé annuel. Elle est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés ainsi que pour l’ensemble des autres droits résultant pour l’intéressé de son contrat de travail. »
« Art. L. 3142‑130‑3. – Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche détermine les modalités de mise en œuvre du droit à congé du salarié mentionné à l’article L. 3142‑130‑1, parmi lesquelles la durée du congé et les justificatifs à présenter. »
Article 4
I. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
IV. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.