N° 2081

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2025.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à instaurer un référendum d’initiative citoyenne délibératif,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Marie POCHON, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Nicolas BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Boris TAVERNIER, M. Mickaël BOULOUX, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Yannick MONNET, Mme Mereana REID ARBELOT,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a six ans, la révolte des Gilets jaunes révélait avec une force inédite le gouffre se creusant entre les décideurs politiques et nombre de citoyens. Les deux millions de doléances écrites à cette occasion et à sa suite révéleront l’envie d’être entendu, de pouvoir participer aux décisions qui engagent collectivement le pays, et de ne pas être cantonné au simple rôle de spectateur du débat démocratique. Dans les centaines de milliers d’écrits, d’espoirs et de colères, de préoccupations et de propositions ; dans les manifestations tout comme dans les milliers de réunions publiques organisées en mairies, une revendication trouva un élan particulier : celle d’une démocratie plus directe ; celle pour les citoyens de pouvoir, entre deux élections, faire entendre leur voix ; celle du RIC, le Référendum d’Initiative Citoyenne. Cette aspiration n’était pas nouvelle, et elle n’a pas disparu en même temps que les gilets jaunes sur le pare‑chocs : elle s’est ancrée dans les esprits, et elle refait surface dès que les institutions montrent leurs limites.

« On ne veut pas participer, on veut décider »

Cette aspiration répond à une immense fracture : celle de la consultation « pour rien », de l’avis demandé avant d’être ignoré, de l’écoute pensée par les agences de communication, des promesses non tenues. 

Selon la dernière enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) menée en 2025, seuls 26 % des Français déclarent avoir confiance dans la politique. La confiance dans l’Assemblée nationale atteint un niveau historiquement bas, avec 24 %, soit un retour à son niveau de décembre 2018, au plus fort de la crise des Gilets jaunes. 

Les doléances issues du Grand Débat ont été publiées mais sans suite réelle. La Convention citoyenne pour le climat devait être entendue « sans filtre », selon les termes mêmes du président de la République. Elle n’a été suivie que partiellement, et les mesures les plus ambitieuses ont été écartées. Le sentiment d’avoir été utilisé plutôt qu’écouté a profondément entamé la confiance.

Au plus fort d’une instabilité marquant une crise de régime inédite, l’année 2025 a débuté par la promesse, par le chef de l’État, de consulter de nouveau les Françaises et les Français, potentiellement par voie référendaire. Vingt ans après le référendum de 2005, sept ans après l’acte I de la révolte des Gilets Jaunes et la collecte des cahiers de doléances. Dix mois plus tard, force est de constater que le référendum n’a pas eu lieu, la défiance dans la représentation politique s’est affaissée, et plus de deux millions de Françaises et de Français ont signé, au plus fort de l’été, une pétition sur le site de l’Assemblée nationale demandant à revenir sur une loi qui venait d’être adoptée sans débat dans l’hémicycle. 

En cette fin d’année 2025, nous considérons que les Françaises et les Français ne souhaitent plus simplement « participer » à telle ou telle innovation démocratique : les expériences passées n’ont fait que les abîmer. Ils et elles veulent pouvoir décider, directement. 

Il est temps de faire différemment. Parce qu’à faire toujours la même chose, on ne peut espérer d’autres résultats. En écoutant, en partant des gens, en redonnant la parole : que celle‑ci engage et oblige les décideurs ; qu’ils ne puissent l’ignorer encore. 

Le référendum d’initiative citoyenne, une demande ancienne, une première réponse à la crise démocratique

Parmi les revendications les plus partagées durant le mouvement des Gilets jaunes figurait la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Cette idée était déjà présente sur les ronds‑points, et elle s’est retrouvée dans de nombreuses doléances du Grand Débat, dans toutes les régions ; elle avait d’ailleurs émergé auparavant, notamment lors du mouvement « Nuit Debout ». 

Aujourd’hui, le référendum d’initiative partagée (RIP), inscrit dans la Constitution depuis 2008, est inopérant. Il nécessite l’accord de plus d’un cinquième des parlementaires, et un soutien d’au moins 10 % du corps électoral, en un temps contraint, ce qui rend son activation quasiment impossible. Aucune initiative de ce type n’a pu aboutir en pratique. 

Le RIC tel que nous l’envisageons ne vise en aucun cas à contourner le Parlement, mais à le compléter. La démocratie directe vient ici en appui et non en concurrence, de la démocratie représentative. C’est pourquoi nous proposons l’instauration d’un RIC délibératif, c’est‑à‑dire précédé par des débats éclairés et une réflexion d’une assemblée citoyenne tirée au sort qui établira un rapport sur l’objet de la proposition initiale, ses enjeux et ses conséquences. Cette phase de délibération citoyenne, structurée, ouverte et informée nous paraît essentielle et s’appuie sur les travaux de chercheurs et chercheuses en science politique et en droit. 

Le RIC délibératif que nous proposons est à la fois national et local. Au niveau national, celui‑ci pourra porter sur une proposition de révision constitutionnelle ou une proposition de loi. Au niveau local, les citoyennes et citoyens d’une collectivité pourront faire une proposition ou suspendre une délibération ou un acte local. À l’échelle nationale, après qu’un pourcentage déterminé d’électeurs et électrices inscrits sur les listes électorales aura soutenu la pétition, un organe consultatif composé de citoyennes et citoyens tirés au sort sera saisi pour publier une information claire et suffisante sur l’objet, les enjeux et les conséquences de la proposition, sous le contrôle d’une autorité indépendante. Au niveau local, ce même type d’organe pourra être mis en place, mais ne sera pas obligatoire, compte tenu de la marge de manœuvre financière réduite des collectivités territoriales.

Nous proposons également l’instauration d’un référendum suspensif, permettant aux citoyens, dans un délai de trois mois suivant le vote du Parlement, de déposer une proposition de référendum pour empêcher la mise en application d’une loi. 

Dans les trois cas, le référendum est automatique et le résultat s’impose aux institutions.

L’objectif est de renforcer le lien entre les citoyens et les institutions, en créant un dispositif où les débats sont éclairés, où les textes sont travaillés et discutés avant une décision par référendum, permettant d’en évaluer les conséquences au préalable. Ces organes délibératifs devront être organisés par une autorité indépendante. Le rôle de la Commission nationale du débat public pourrait par exemple être renforcé, en dehors des projets environnementaux, et le Conseil économique social et environnemental pourrait également être un acteur clé pour garantir la transparence, la qualité et l’indépendance du processus. 

Dans les différentes formes du RIC, il existe également le RIC révocatoire. Toutefois, le présent texte ne proposera pas cette forme. Les auteurs considèrent toutefois qu’il est essentiel de faire du renforcement des conditions de sanction ou de destitution d’un mandat un texte distinct. 

De la même manière, l’examen de ce texte devra s’accompagner d’une proposition de loi organique, permettant la définition plus précise des différentes modalités décrites dans cette proposition de loi, qui en fixe le cadre. 

Dans une période politique où la défiance vis‑à‑vis des élus est au plus haut, où le taux d’abstention atteint des niveaux records, où le Parlement est marginalisé, redonner la parole aux citoyens est une nécessité démocratique. Le référendum d’initiative citoyenne, tel que nous le concevons, n’est pas un aboutissement, mais une première pierre dans une refonte plus large de notre régime démocratique. Loin de la verticalité, du mépris, du sentiment d’impuissance et de trahison - pour se rapprocher des solutions qui viennent « d’en bas », des citoyens eux‑mêmes. Il ne s’agit pas de tout attendre de ce mécanisme, mais de redonner confiance dans la capacité d’agir et de se faire entendre collectivement, dans la fabrique de la loi. 

Explication des articles 

L’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle propose de modifier l’article 89 de la Constitution, ajoutant la possibilité pour les citoyens de proposer une révision constitutionnelle, à condition qu’une pétition soit soutenue par un certain pourcentage d’électeurs inscrits sur les listes électorales, et qu’elle soit validée par le Conseil constitutionnel. Le processus inclut un recueil des soutiens sur douze mois, supervisé par une autorité indépendante, la constitution d’un organe citoyen consultatif, tiré au sort et chargé d’informer sur la proposition ayant recueilli le nombre de soutiens nécessaires, puis l’organisation d’un référendum national. 

L’article 2 propose de modifier l’article 11 de la Constitution en ajoutant la possibilité pour les citoyens de proposer une loi sur un objet unique, à condition qu’une pétition soit soutenue par un certain pourcentage d’électeurs inscrits sur les listes électorales, et qu’elle soit validée par le Conseil constitutionnel. Le processus inclut un recueil des soutiens sur douze mois, supervisé par une autorité indépendante, la constitution d’un organe citoyen consultatif, tiré au sort et chargé d’informer sur la proposition ayant recueilli le nombre de soutiens nécessaires, puis l’organisation d’un référendum national. L’article prévoit également l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne suspensif permettant de suspendre la promulgation d’une loi votée par le Parlement en cas de proposition de référendum citoyen soutenu par un certain pourcentage d’électeurs. 

L’article 3 propose l’instauration d’un référendum local d’initiative citoyenne, en créant un nouvel article 72‑1‑1. Les étapes sont similaires à l’article précédent : une pétition locale est déposée, un contrôle de recevabilité est effectué par le Conseil d’État, le recueil des soutiens nécessaires est ouvert avant la constitution, facultative, d’un organe consultatif citoyen local, tiré au sort, et l’organisation d’un référendum local dans un délai d’un an après la récolte des soutiens nécessaires. 

L’article 4 prévoit que la proposition de loi constitutionnelle entrera en vigueur au plus tard deux ans après son adoption, et au plus tôt un mois après l’adoption de la loi organique précisant ses modalités. 

 


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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

I. – L’article 89 de la Constitution est ainsi modifié :

1° À la fin du premier alinéa, les mots : « et aux membres du Parlement. » sont remplacés par les mots : « , aux membres du Parlement et à toute personne inscrite sur les listes électorales dans les conditions prévues au présent article. »

2° Après le troisième alinéa, sont insérés sept alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, la proposition de révision n’est pas examinée par les assemblées lorsqu’une personne inscrite sur les listes électorales en est à l’initiative et qu’elle est soutenue par un pourcentage déterminé des électeurs inscrits sur les listes électorales, à l’issue d’un processus consultatif.

« La proposition de révision constitutionnelle proposée par une pétition fait l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, lequel s’assure que son objet n’est pas contraire aux principes d’égalité et de dignité humaine et qu’il est conforme au dernier alinéa du présent article.

« Une autorité indépendante assure la publication et le recueil des soutiens apportés à une pétition. La durée de la période de recueil des soutiens est de douze mois.

« La proposition de loi est adressée à un organe consultatif composé de cent cinquante électeurs inscrits sur les listes électorales, tirés au sort selon une procédure assurant une représentation équilibrée de la population française.

« Cet organe publie une information claire et suffisante sur l’objet, les enjeux et les conséquences de la proposition de loi.

« Le Président de la République soumet la proposition de révision au référendum dans un délai compris entre trois mois et un an à compter de la fin du processus consultatif mentionné au septième alinéa du présent article.

« La proposition de révision est définitive lorsque la majorité absolue des suffrages exprimés y est favorable et que le nombre de suffrages exprimés en sa faveur est au minimum égal à 35 % du total des inscrits sur les listes électorales. »

II. – Les modalités d’application du I du présent article sont fixées par une loi organique, notamment en ce qui concerne : 

1° Le pourcentage mentionné au quatrième alinéa ;

2° Les conditions de recueil et de contrôle des signatures ;

3° L’autorité administrative compétente mentionnée au sixième alinéa ;

4° Les conditions de réunion de l’organe consultatif et ses modalités d’accompagnement ;

5° Les délais dans lesquels doit se dérouler chaque étape de la procédure conduisant au référendum.

Article 2

I. – La Constitution est ainsi modifiée : 

1° Au premier alinéa de l’article 10 de la Constitution, les mots : « quinze jours » sont remplacés par les mots : « un mois ». 

2° L’article 11 est complété par douze alinéas ainsi rédigés :

« Un référendum portant sur une proposition de loi à objet unique est organisé lorsqu’une pétition le proposant est soutenue par un pourcentage déterminé des électeurs inscrits sur les listes électorales, à l’issue d’un processus consultatif.

« La proposition de loi fait l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, lequel s’assure que son objet n’est pas contraire à la Constitution et qu’elle porte sur un objet unique. 

« Une autorité indépendante assure la publication et le recueil des soutiens apportés à une pétition. La durée de la période de recueil des soutiens est de douze mois.

« La proposition de loi est adressée à un organe consultatif composé de cent cinquante électeurs inscrits sur les listes électorales, tirés au sort selon une procédure assurant une représentation équilibrée de la population française.

« Cet organe publie une information claire et suffisante sur l’objet, les enjeux et les conséquences de la proposition de loi.

« Le Président de la République soumet la proposition au référendum dans un délai compris entre trois mois et un an à compter de la fin du processus consultatif mentionné au neuvième alinéa du présent article. Le référendum ne peut être organisé dans l’année qui précède le renouvellement de l’Assemblée nationale.

« La proposition est adoptée lorsque la majorité absolue des suffrages exprimés y est favorable.

« Avant l’expiration du délai mentionné au premier alinéa de l’article 10, la promulgation d’une loi définitivement adoptée est suspendue lorsqu’une pétition proposant son abrogation est soutenue par au moins un centième des électeurs inscrits sur les listes électorales. 

« Ne peuvent faire l’objet de la pétition mentionnée à l’alinéa précédent les lois autorisant la ratification ou l’approbation d’engagements internationaux, les lois de transposition d’actes législatifs de l’Union européenne, les lois adoptées pour faire face à une situation d’urgence, les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

« La pétition fait l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, lequel s’assure l’abrogation proposée n’est pas contraire la Constitution et ne porte pas sur l’abrogation des textes mentionnés à l’alinéa précédent. 

« Le Président de la République soumet la proposition au référendum dans un délai de trois mois à compter du recueil des signatures nécessaires. 

« La proposition d’abrogation est adoptée lorsque la majorité absolue des suffrages exprimés y est favorable. »

II. – Les modalités d’application du I du présent article sont fixées par une loi organique, notamment en ce qui concerne : 

1° Le pourcentage mentionné au quatrième alinéa ;

2° Les conditions de recueil et de contrôle des signatures ;

3° L’autorité administrative compétente mentionnée au sixième alinéa ;

4° Les conditions de réunion de l’organe consultatif et ses modalités d’accompagnement ;

5° Les délais dans lesquels doit se dérouler chaque étape de la procédure conduisant au référendum.

Article 3

I. – Après l’article 72‑1 de la Constitution, il est inséré un article 72‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. 7211. – Un référendum portant sur une proposition de délibération ou d’un acte relevant de la compétence des collectivités territoriales et portant sur un objet unique est organisé lorsqu’une pétition le proposant est soutenue par un pourcentage déterminé des électeurs inscrits sur les listes électorales de la collectivité concernée, le cas échéant à l’issue d’un processus consultatif.

« La proposition de délibération fait l’objet d’un contrôle par le Conseil d’État, lequel s’assure que son objet n’est pas contraire à la Constitution et qu’elle porte sur les objets visés au premier alinéa.

« Une autorité indépendante désignée par une loi organique assure la publication et le recueil des soutiens apportés à une pétition. La durée de la période de recueil des soutiens est de six mois.

« La proposition est soumise au vote des électeurs du territoire concerné par référendum au plus tard un an après le recueil des soutiens nécessaires.

« La proposition est adoptée lorsque la majorité absolue des suffrages exprimés y est favorable. »

II. – Une loi organique précise les modalités d’application du I du présent article, notamment en ce qui concerne : 

1° Le pourcentage mentionné au deuxième alinéa ;

2° Les modalités du processus consultatif mentionné au même deuxième alinéa ;

3° L’autorité administrative compétente mentionnée au quatrième alinéa ; 

4° Les conditions de réunion de l’organe consultatif et ses modalités d’accompagnement ;

5° Les délais dans lesquels doit se dérouler chaque étape de la procédure conduisant au référendum.

Article 4

La présente loi entre en vigueur au plus tard deux ans après son adoption et, au plus tôt, le premier jour du mois suivant l’adoption de la loi organique mentionnée aux articles 1, 2 et 3.