N° 2179
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
relative à l’extension de la fiducie aux transmissions de patrimoine,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Sébastien HUYGHE, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Denis MASSÉGLIA, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Vincent LEDOUX, Mme Annie VIDAL,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La fiducie a été introduite en droit français par la loi n° 2007‑211 du 19 février 2007. Elle est définie à l’article 2011 du code civil comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». Toutefois, dans son état actuel, la fiducie demeure réservée à des usages essentiellement professionnels ou de sûreté, et ne peut être mobilisée à des fins patrimoniales ou familiales.
La possibilité d’utiliser la fiducie dans le cadre des transmissions de patrimoine est aujourd’hui réclamée par la pratique pour satisfaire trois besoins majeurs de notre temps que sont la protection des personnes vulnérables, la pérennité des entreprises et le développement de la philanthropie.
La fiducie constitue en effet un instrument juridique de gestion et de transmission des biens particulièrement adapté aux évolutions de la société française. Elle est de nature à offrir aux familles, aux entrepreneurs et aux donateurs un cadre contractuel souple, sécurisé et respectueux de la volonté des parties.
S’agissant des personnes vulnérables, la fiducie permettrait de sécuriser la gestion d’un patrimoine revenant à un donataire, un légataire ou un héritier qui, lui‑même ou son représentant, n’a pas les compétences requises pour en assurer la bonne administration. Les familles confrontées à la dépendance d’un proche ou à la fragilité d’un enfant y trouveraient un outil de protection souple, leur évitant de recourir à des dispositifs judiciaires lourds. Cette attente est particulièrement forte chez ceux qui, familiers du trust anglo‑saxon ou de mécanismes similaires prévus par leur droit national, souhaitent disposer d’un équivalent dans l’ordre juridique français.
Le vieillissement de la population et la perte d’autonomie renforcent ce besoin. En 2023, plus de 100 000 mesures de protection juridique pour des personnes majeures ont été ouvertes, soit près de 40 000 de plus qu’il y a quinze ans. Cette hausse témoigne d’un enjeu social majeur, auquel la fiducie pourrait apporter une réponse contractuelle simple et protectrice.
La fiducie répond également aux préoccupations des dirigeants d’entreprise soucieux d’assurer la continuité de leur activité. La transmission d’entreprise demeure en effet l’un des points faibles de l’économie française. Selon la BPI, 65 % des dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) familiales souhaitent transmettre leur société à un membre de leur famille, mais près de la moitié des dirigeants de plus de 60 ans n’ont pas encore formalisé de plan de succession.
Or, plus de 600 000 entreprises devront trouver un repreneur dans les dix prochaines années. En cas de décès ou d’incapacité soudaine du dirigeant, la fiducie permettrait de confier temporairement à un fiduciaire la gestion ou la cession de l’entreprise, conformément aux instructions fixées par le constituant, évitant ainsi la désorganisation ou la perte de valeur d’entreprises souvent essentielles à la vitalité économique de nos territoires.
Enfin, la fiducie offre des perspectives prometteuses pour la philanthropie. En permettant aux donateurs et testateurs de transmettre des actifs à un fiduciaire chargé d’en assurer la gestion au profit d’organismes sans but lucratif, selon des critères précis définis à l’avance, elle garantirait une meilleure transparence et un contrôle effectif du respect de la volonté des disposants.
Un tel dispositif renforcerait la confiance des donateurs et encouragerait de nouveaux flux patrimoniaux vers les causes d’intérêt général. Dans un pays où la générosité privée mobilise chaque année plusieurs milliards d’euros et constitue un pilier de la cohésion sociale, cette évolution contribuerait à consolider le rôle des acteurs associatifs et fondations dans la réponse aux grands défis contemporains.
À l’heure où la société appelle à une meilleure protection des personnes vulnérables, à la continuité des entreprises et à une philanthropie durable, il devient nécessaire de doter notre droit d’outils juridiques souples et sécurisés, adaptés à ces finalités.
Par ailleurs, cette fiducie patrimoniale serait d’une parfaite neutralité au regard de l’impôt et ne serait donc en aucun cas un instrument d’optimisation fiscale
Tel est le sens de cette proposition de loi.
L’article 1er de cette proposition de loi vise à amender le droit des majeurs protégés et des mineurs pour permettre d’utiliser la fiducie dans le cadre de la gestion du patrimoine des personnes vulnérables.
L’article 2 vise à amender le droit des libéralités pour permettre la fiducie‑libéralité.
L’article 3 porte sur le droit commun de la fiducie.
Enfin, l’article 4 vise à adapter notre droit fiscal à ces nouvelles formes de transmission en modifiant ou complétant certaines dispositions du code général des impôts.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Le code civil est ainsi modifié :
1° La section 3 du chapitre II du titre IX est ainsi modifiée :
a) Avant le dernier alinéa de l’article 387‑1, il est inséré un 9° ainsi rédigé :
« 9° Transférer dans un patrimoine fiduciaire les biens ou droits du mineur. » ;
b) Le 4° de l’article 387‑2 est abrogé ;
2° L’article 408‑1 est abrogé ;
3° Le chapitre II du titre XI est ainsi modifié :
a) La section 1 est ainsi modifiée :
– l’article 425 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dès l’ouverture de la mesure, la personne chargée de la protection recherche si la constitution d’une fiducie permettrait une limitation ultérieure de la mesure à la mission de protection de la personne. » ;
– il est ajouté un article 427‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 427‑1. – Lorsqu’une fiducie est constituée par une personne protégée, la désignation prévue à l’article 2017 est obligatoire.
« Les tiers peuvent informer le juge des tutelles des actes ou omissions du fiduciaire qui leur paraissent de nature à porter préjudice aux intérêts de la personne protégée. S’ils ont connaissance d’actes ou omissions du fiduciaire qui, à l’occasion de la mission de celui‑ci, compromettent manifestement l’intérêt de la personne protégée, ils en avisent la personne en charge de la mesure de protection juridique, la personne désignée en application du même article 2017 et le juge des tutelles.
« Ce dernier peut décider de mettre fin à la fiducie à la demande de tout intéressé lorsqu’elle est de nature à porter atteinte aux intérêts de la personne protégée. » ;
a) Au premier alinéa de l’article 428, après le mot : « intéressé, » sont insérés les mots : « par une fiducie, » ;
b) À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 437, après le mot : « mission », sont insérés les mots : « de conclure un contrat de fiducie adapté à la situation patrimoniale de la personne protégée ou » ;
4° Au deuxième alinéa de l’article 468, les mots : « conclure un contrat de fiducie ni » sont supprimés ;
5° Le second alinéa de l’article 490 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Celle‑ci est également requise pour le transfert dans un patrimoine fiduciaire des biens ou droits de la personne protégée, à moins que le mandat ne l’ait prévu expressément. » ;
6° La section 6 est ainsi modifiée :
a) À l’article 494‑2, après le mot : « future », sont insérés les mots : « ou d’une fiducie » ;
b) Au troisième alinéa de l’article 494‑6, après le mot : « gratuit », sont insérés les mots : « ou transférer dans un patrimoine fiduciaire les biens ou droits de la personne protégée » ;
7° Le 5° de l’article 509 est abrogé.
Article 2
Après le chapitre VI du titre II du livre III du code civil, est inséré un chapitre VI bis ainsi rédigé :
« Chapitre VI bis
« Des fiducies‑libéralités
« Art. 1062. – La fiducie‑libéralité est une fiducie dont le bénéficiaire est désigné par le constituant dans une intention libérale.
« Le contrat de fiducie est, sous réserve des dispositions du présent chapitre, soumis aux règles du titre quatorze du présent livre.
« La libéralité consentie au bénéficiaire est, sous la même réserve, soumise aux règles régissant les donations et les testaments. »
« Art. 1062‑1. – Le contrat de fiducie peut porter sur des biens à venir : sur tout ou partie des biens et droits que le constituant laissera à sa mort.
« Il est alors librement révocable par le constituant ».
« Art. 1062‑2. – Le constituant peut désigner le bénéficiaire de la libéralité dans le contrat de fiducie ou dans un avenant à ce contrat.
« L’article 931 est applicable au contrat ou à l’avenant qui contient cette désignation.
« Le constituant peut aussi désigner le bénéficiaire de la libéralité par testament. »
« Art. 1062‑3. – La libéralité se forme par l’acceptation du bénéficiaire.
« Le bénéficiaire désigné dans le contrat de fiducie ou dans un avenant à ce contrat peut accepter la libéralité après le décès du constituant.
« L’article 932 est applicable à l’acceptation du bénéficiaire désigné dans le contrat de fiducie ou dans un avenant à ce contrat.
« Art. 1062‑4. – Le contrat de fiducie détermine la mission du fiduciaire et précise ainsi l’étendue et les modalités de la libéralité.
« La transmission dont est tenu le fiduciaire peut porter sur le capital ou les revenus des biens et droits qui forment l’objet de la fiducie.
« Elle peut être immédiate, à terme unique ou à termes successifs.
« Elle peut être différée à la mort du constituant lors même que la fiducie porte sur des biens présents. »
« Art. 1062‑5. – Lorsque la fiducie porte sur des biens présents dont la transmission est différée, le constituant peut, jusqu’à l’échéance du terme, en être le bénéficiaire. En ce cas, les dispositions des articles 944 à 946 ne s’appliquent pas à la donation faite au tiers bénéficiaire. »
« Art. 1062‑6. – Par dérogation à l’article 2029 du présent code, la fiducie‑libéralité ne prend pas fin par la mort du constituant. »
« Art. 1062‑7. – La fiducie‑libéralité ne peut préjudicier à la réserve de l’héritier du constituant.
« Si le bénéficiaire est un tiers, l’héritier demande la réduction de la fiducie‑libéralité à la quotité disponible dans les conditions prévues aux articles 918 et suivants du présent code. Il exerce son action contre le bénéficiaire, le fiduciaire dûment appelé en la cause.
« Si l’héritier est le bénéficiaire, et sauf si la fiducie‑libéralité est expressément justifiée dans l’acte par un intérêt sérieux et légitime au regard de sa personne ou de la composition du patrimoine fiduciaire, il peut demander le cantonnement de la fiducie‑libéralité à la quotité disponible afin de recouvrer la libre disposition de sa réserve. Il exerce son action contre le fiduciaire. »
« Art. 1062‑8. – Pour l’application de l’article 922 du présent code, les biens et droits qui n’ont pas été transmis au bénéficiaire sont comptés pour leur valeur à la date de l’ouverture de la succession.
« Ceux qui l’ont été sont comptés pour leur valeur à cette même date mais d’après leur état à la date de leur transmission. S’ils ont été aliénés, ils le sont pour leur valeur à l’époque de leur aliénation ou la valeur à la date de l’ouverture de la succession des biens ou droits qui y ont été subrogés. »
Article 3
Le titre XIV du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 2013 est ainsi rédigé :
« Si les biens ou droits transférés dans le patrimoine fiduciaire dépendent du patrimoine d’une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier, le contrat de fiducie est établi, à peine de nullité, par acte authentique ».
2° Le troisième alinéa de l’article 2017 est ainsi rédigé :
« Lorsqu’il fait l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier, la désignation du tiers prévu au premier à l’alinéa a lieu dès la conclusion du contrat ou dès l’ouverture de la mesure de protection ».
Article 4
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le chapitre premier du titre IV de la première partie du livre premier est ainsi modifié :
a) Le VI de la section II est ainsi modifié :
– au deuxième, troisième et à la première phrase du huitième alinéa de l’article 750 ter, après la référence : « article 792‑0 bis », sont insérés les mots : ou une fiducie au sens de l’article 2011 du code civil ;
– au premier alinéa de l’article 752, après la référence : « article 792‑0 bis », sont insérés les mots : ou une fiducie au sens de l’article 2011 du code civil ;
b) Le a du 2 du C est ainsi modifié :
– l’article 787 B est complété par un j ainsi rédigé :
« j) Pour l’application du présent article, le constituant d’un contrat de fiducie est réputé détenir directement les parts ou actions mises en fiducie sous réserve qu’il conserve effectivement des droits politiques équivalents à ceux qu’il détenait avant la mise en fiducie.
« Les engagements de conservation visés au présent article seront réputés maintenus en cas de transfert des parts ou actions dans un patrimoine fiduciaire sous réserve de la poursuite des obligations prises du chef de son auteur par le fiduciaire et le cas échéant par les bénéficiaires après la transmission. »
– il est ajouté un article L. 787 D ainsi rédigé :
« Art. 787 D. – La transmission à titre gratuit entre vifs ou à cause de mort de tout ou partie du patrimoine fiduciaire ou des droits du constituant représentatifs du patrimoine fiduciaire ainsi que des produits qui y sont capitalisés est, pour leur valeur vénale nette à la date de la transmission, soumise aux droits de mutation à titre gratuit en fonction du lien de parenté existant entre le constituant et le bénéficiaire.
« L’impôt est exigible au décès du constituant, à moins qu’il ne le devienne antérieurement conformément aux dispositions de la présente section. »
c) L’article 969 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le transfert mentionné à l’article précédent a lieu dans le cadre d’une fiducie‑libéralité et que les droits sur les revenus des actifs précités sont attribués à une autre personne que le constituant, les actifs précités sont compris dans le patrimoine de cette autre personne. »
2° À la fin du dernier alinéa de l’article 1729, les mots : « ou en cas d’application de l’article 792 bis » sont supprimés.