N° 2208

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à donner un cadre législatif aux enquêtes internes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christelle MINARD,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les enquêtes internes sont devenues, au fil des années, un instrument structurant pour les entreprises françaises, tant en matière de gouvernance que de conformité. Leur recours s’est considérablement accru, notamment sous l’impulsion de la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 dite « Sapin 2 » relative à la lutte contre la corruption, et de la loi n° 2022‑401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte. Désormais intégrées aux dispositifs de conformité, ces investigations, conduites directement par les entreprises ou confiées à leurs conseils, jouent un rôle croissant dans la prévention, la détection et le traitement des manquements aux règles internes comme aux normes légales.

Elles participent à l’effectivité des mécanismes d’éthique et de conformité et peuvent, le cas échéant, constituer un préalable déterminant à une réponse pénale négociée, notamment dans le cadre des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP). Pour autant, en dépit de leur essor et de leur impact sur la situation juridique des personnes concernées, les enquêtes internes demeurent dépourvues de tout cadre législatif spécifique.

Certes, la jurisprudence a consacré certains principes fondamentaux ‑ respect des droits de la défense, de la vie privée, du contradictoire ‑ mais l’ensemble demeure fragmentaire. Les recommandations de l’Agence française anticorruption (AFA), du Parquet national financier (PNF) ou encore du Conseil national des barreaux (CNB), bien qu’utiles, ne possèdent aucune valeur contraignante et divergent parfois dans leur approche.

Cette absence de cadre légal unifié crée une insécurité juridique, à la fois pour les entreprises qui organisent ces enquêtes et pour les salariés qui y participent ou y sont impliqués. Elle soulève de multiples interrogations : articulation avec l’enquête judiciaire, statut et rôle des avocats enquêteurs, garanties procédurales, protection des données personnelles, encadrement des auditions, respect des libertés fondamentales et des droits de la défense.

Dans un contexte marqué par une concurrence internationale exacerbée et par des tensions géopolitiques persistantes, alors que les États‑Unis ont entraîné le monde dans une ère de protectionnisme judiciaire, il devient essentiel de doter les entreprises françaises — en particulier celles des secteurs stratégiques tels que la défense, l’énergie ou les infrastructures — des outils juridiques leur permettant de se prémunir contre des influences extérieures.

Le développement et l’encadrement des enquêtes internes constituent, à cet égard, un rempart essentiel : elles permettent de sécuriser les informations sensibles tout en limitant leur exposition à des logiques étrangères souvent peu compatibles avec nos intérêts stratégiques. Un tel mouvement contribuerait non seulement à renforcer la compétitivité de nos entreprises, mais aussi à affirmer la souveraineté juridique de l’État.

Face à ces enjeux, la présente proposition de loi vise à apporter une première réponse législative. Elle ne tend nullement à créer un régime autonome ou parallèle à la procédure pénale, mais à consacrer des principes fondamentaux régissant la conduite des enquêtes internes : définition légale, respect des droits des personnes concernées, garanties procédurales minimales, rôle des avocats, confidentialité, articulation avec les poursuites judiciaires.

Cette initiative s’inscrit dans une démarche de responsabilisation des entreprises, de professionnalisation des pratiques, de sécurisation juridique des acteurs et de préservation de la souveraineté normative nationale. Elle entend ainsi favoriser l’émergence en France d’une culture forte, éthique et équilibrée de l’enquête interne, au service de la transparence, de la conformité et de la compétitivité de nos organisations.

La présente proposition de loi s’inspire des travaux conduits par la Commission « Enquêtes internes » du think tank Le Club des juristes, dont le rapport « Promouvoir les enquêtes internes en France : un levier de compétitivité et de souveraineté judiciaire » a été présenté le 17 juin 2025.

La présente proposition de loi s’inscrit surtout dans la continuité des réflexions engagées par le député Olivier Marleix, dont les travaux sur l’évaluation de la loi « Sapin 2 » et sur la lutte contre la corruption ont marqué un tournant. Convaincu que l’éthique publique et la lutte anticorruption sont essentielles au maintien de la confiance démocratique, il en faisait également un enjeu de souveraineté nationale.

Dans ses rapports comme dans sa proposition de loi déposée le 29 octobre 2024, il soulignait avec force la nécessité de protéger nos grandes entreprises face aux législations extraterritoriales, notamment américaines, dont il dénonçait l’usage stratégique. Cette proposition de loi reprend et prolonge cette vision : elle vise à doter les entreprises françaises d’un cadre clair et protecteur, garantissant à la fois l’intégrité des pratiques, la protection des droits fondamentaux et la préservation de nos intérêts économiques et stratégiques face aux influences extérieures.

L’article 1er de la proposition de loi introduit un nouvel article L. 4121‑6 dans le Code du travail, destiné à donner pour la première fois en droit français une définition légale de l’enquête interne.

La rédaction proposée définit l’enquête interne comme un processus formel, conduit au sein d’une organisation privée ou publique, ayant pour objet de vérifier la réalité de faits allégués ou de soupçons de violations de la loi ou des règles internes. Elle précise que cette enquête doit prendre en compte les éléments à charge et à décharge concernant les personnes physiques, dans le respect de leurs droits, et en utilisant des moyens proportionnés à l’objectif poursuivi.

Cette définition insiste également sur la finalité positive de l’enquête interne : elle constitue un outil d’intégrité et de conformité, permettant d’améliorer la gouvernance des organisations et de protéger leur réputation comme leurs membres.

Par son caractère performatif, cette consécration légale poursuit un double objectif :

– ériger l’enquête interne en outil central de conformité, garantissant une meilleure structuration des pratiques tout en protégeant les droits individuels ;

– favoriser son développement en France, en incitant les entreprises à coopérer davantage avec les autorités et en contribuant à la souveraineté économique et juridique nationale, notamment face aux législations extraterritoriales.

L’article 1er marque donc une étape fondatrice : il offre une base normative claire à l’enquête interne, qui deviendra un pilier reconnu du droit de la conformité en France.

L’article 2 de la présente proposition de loi vise à prévenir le risque de privatisation des enquêtes judiciaires en encadrant juridiquement le recours aux enquêtes internes lorsqu’elles interviennent dans un contexte où une procédure pénale est déjà ouverte.

À cet effet, il insère dans le code de procédure pénale un nouveau « Titre XXXIV » intitulé « De l’enquête interne », comprenant six articles (706‑183 à 706‑186). Inspiré de l’article 7 de la proposition de loi déposée par Olivier Marleix le 29 octobre 2024 et enrichi par les recommandations formulées par le rapport du Club des juristes, ce nouveau titre a pour objet de renforcer les droits des personnes physiques lorsqu’elles sont entendues dans le cadre d’une enquête interne menée parallèlement à une procédure judiciaire.

Ce dispositif permet de garantir la transparence et une meilleure coordination entre l’enquête interne et l’enquête judiciaire, tout en sécurisant cette dernière afin d’éviter tout détournement de procédure au détriment des salariés ou toute instrumentalisation de l’enquête interne contre les droits de la défense.

L’Article 706‑183 : définit le champ d’application ; les garanties prévues par ce titre s’appliquent uniquement lorsqu’une personne morale est mise en cause pour un ou plusieurs délits et diligente une enquête interne portant sur les mêmes faits.

L’Article 706‑184 : consacre les droits procéduraux des personnes auditionnées (notification préalable, droit de mettre fin à l’audition, assistance par un avocat ou un interprète, information sur la durée maximale).

L’Article 706‑185 : encadre la formalisation des auditions : un compte rendu doit être établi et signé par la personne auditionnée, qui peut y annexer ses observations écrites.

L’Article 706‑186 : impose d’informer les personnes soupçonnées de la clôture de l’enquête interne, afin de préserver leurs droits et d’éviter des situations de suspicion prolongée.

Ainsi, l’article 2 érige un véritable socle procédural garantissant la protection des droits fondamentaux dans le cadre des enquêtes internes conduites parallèlement à une procédure judiciaire. Ces ajustements répondent à un objectif clair : éviter que l’enquête interne ne se substitue à l’enquête judiciaire ou ne crée des droits procéduraux artificiels susceptibles de fragiliser la procédure pénale. En réaffirmant que l’enquête interne ne peut ni concurrencer ni remplacer l’enquête judiciaire, le dispositif protège à la fois les personnes concernées et l’intégrité du système judiciaire.

L’article 3 introduit un nouvel article 706‑187 dans le code du travail, destiné à protéger secret professionnel des avocats dans le cadre des enquêtes internes.

Alors que ce principe constitue une pierre angulaire de l’État de droit et un élément central de la relation de confiance entre l’avocat et son client, il importe que la loi affirme avec clarté que les communications, analyses et actes réalisés par l’avocat dans le cadre d’une enquête interne bénéficient de la protection absolue attachée au secret professionnel. Cette garantie essentielle assure que les enquêtes internes ne deviennent pas une source de fragilisation des droits de la défense ou d’exposition indue des informations sensibles.

Enfin, l’article 4 crée un gage financier.

 

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre II du livre Ier de la quatrième partie du code du travail est complété par un article L. 4121‑6 ainsi rédigé :

« Art. L. 41216.  Une enquête interne désigne un processus formel mené au sein d’une organisation privée ou publique, visant à vérifier si les faits allégués ou les soupçons de violations aux lois ou aux règles internes de l’organisation sont avérés.

« L’enquête interne doit prendre en considération les éléments probatoires relatifs aux personnes physiques, à charge comme à décharge, tout en respectant leurs droits et en mettant en œuvre des moyens proportionnels à l’objectif fixé.

« L’enquête interne favorise l’intégrité de l’organisation privée ou publique. Elle contribue à assurer sa conformité aux lois et règlements, et d’améliorer sa gouvernance tout en protégeant sa réputation et ses membres. »

Article 2

Le livre IV du code de procédure pénale est complété par un titre XXXIV ainsi rédigé :

« TITRE XXXIV

« DE L’ENQUÊTE INTERNE

« Art. 706183.  Lorsqu’une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits diligente une enquête interne portant sur les mêmes faits, les règles et obligations prévues au présent titre s’appliquent à ladite enquête.

« Art. 706184. – Toute personne convoquée dans le cadre d’une enquête interne ne peut être librement entendue que si cette convocation lui a été notifiée dans un délai raisonnable.

« À l’occasion de cette notification, la personne doit avoir été informée :

« 1° Du droit de mettre fin à l’audition lorsqu’elle le souhaite ;

« 2° Du droit de faire des déclarations, et de répondre aux questions qui lui sont posées ;

« 3° Du droit de se faire accompagner par un avocat choisi par elle ;

« 4° Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète.

« La notification doit également indiquer la durée maximale de l’audition.

« Art. 706185.  Toute audition donne lieu à la rédaction d’un compte‑rendu à l’issue de l’audition. La personne auditionnée a le droit de signer le compte‑rendu.

« La personne auditionnée peut formuler des observations écrites qui sont annexées au compte‑rendu d’audition.

« Art. 706186. – À l’issue de l’enquête interne, les personnes pour lesquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont participé aux faits concernés, sont informées de sa clôture.

Article 3

Le livre IV du code de procédure pénale est complété par un article 706‑187 ainsi rédigé :

« Art. 706187. – L’enquête interne conduite par un avocat se rattache à l’exercice du secret professionnel du conseil se rapportant à l’exercice des droits de la défense, tel que défini à l’article 66‑5 de la loi n° 71‑1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

« Les actes et documents issus d’une enquête interne conduite par un avocat ne peuvent en conséquence pas être communiqués aux autorités judiciaires qu’avec l’accord exprès de la personne morale qui l’a diligentée. »

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.