N° 2211

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la lutte contre le trafic de tabac illicite et ses réseaux organisés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane MAZARS, Mme Brigitte KLINKERT, M. Vincent LEDOUX, M. Jean-René CAZENEUVE, M. Bertrand SORRE, M. Christophe MARION, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, Mme Anne-Sophie RONCERET,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le trafic de tabac illicite est devenu l’un des vecteurs majeurs de l’économie parallèle et un relais puissant de la criminalité organisée. Ce qui relevait naguère d’une simple fraude douanière s’est transformé, en quelques années, en une activité structurée, industrialisée, et parfois violente.

Les filières qui l’organisent empruntent les mêmes ressorts que celles du narcotrafic : production clandestine à grande échelle, réseaux transnationaux, blanchiment d’argent, usage de véhicules ouvreurs, recours à des nourrices, exploitation de mineurs ou de personnes en situation irrégulière. Entre 2022 et 2025, sept usines clandestines de fabrication de cigarettes ont été démantelées en France, certaines capables de produire jusqu’à deux millions de cigarettes par jour.

Selon le rapport TaFE (Tabac échappant à la fiscalité nationale), publié en octobre 2025 par la Direction générale des douanes et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), le tabac illicite représentait en 2023 entre 12,3 % et 22,4 % de la consommation nationale, soit près de 8 000 tonnes de tabac échappant au circuit légal. Le manque à gagner fiscal est estimé, en moyenne, à 4,3 milliards d’euros par an.

Ce phénomène, qui recouvre à la fois la contrebande organisée, les circuits postaux, les plateformes numériques et les achats transfrontaliers, compromet directement l’équilibre budgétaire de l’État, l’efficacité de notre politique de santé publique et la pérennité du réseau légal de distribution. Il s’appuie aussi sur les écarts de fiscalité intraeuropéens, qui favorisent les achats massifs à l’étranger.

À ce titre, la présente proposition de loi s’inscrit dans une approche cohérente : en ciblant les trafics organisés et les leviers d’action immédiats, elle complète utilement les efforts engagés pour renforcer les contrôles transfrontaliers et encourager une convergence progressive des prix du tabac à l’échelle européenne.

Le risque sanitaire est également avéré. Les produits issus de la contrebande échappent à tout contrôle. Ils peuvent contenir des taux anormalement élevés de goudrons, de nicotine, de métaux lourds, voire des résidus organiques, des plastiques ou des solvants industriels. Leur diffusion incontrôlée, y compris auprès de mineurs, constitue une menace directe pour la santé publique.

Le cadre juridique actuel n’est pas à la hauteur. Les peines encourues pour trafic de tabac, y compris en bande organisée, restent très inférieures à celles prévues pour les stupéfiants, générant un effet d’aubaine manifeste pour les organisations criminelles.

Dans le même temps, les forces de sécurité et les parquets ne disposent pas des outils adaptés pour intervenir rapidement, notamment en cas de revente de rue ou de détention de volumes importants non justifiés.

Ce constat est partagé par de nombreux élus locaux, services douaniers et représentants des forces de l’ordre, confrontés au quotidien à la banalisation de ces trafics, y compris dans des territoires jusqu’ici épargnés.

La présente proposition de loi vise trois objectifs clairs :

1. Aligner les sanctions pénales applicables au trafic de tabac en bande organisée sur celles prévues pour les stupéfiants, afin de briser l’effet d’aubaine juridique et de rétablir une cohérence de l’arsenal répressif ;

2. Responsabiliser les plateformes numériques, en imposant des obligations de retrait rapide des contenus illicites relatifs à la vente de tabac, dans le respect du droit européen (DSA, pour Digital Services Act) ;

3. Créer une amende forfaitaire délictuelle pour détention illégale de tabac, afin de doter les forces de proximité d’un outil simple, dissuasif et opérationnel.

Cette démarche s’inscrit dans le prolongement des plans gouvernementaux de lutte contre les addictions et de préservation du monopole légal de distribution confié aux buralistes.

Elle s’inscrit dans une logique de responsabilité collective, sans faire porter le poids du trafic à ceux qui en subissent déjà les conséquences sur le terrain : habitants, élus locaux, petits commerçants, forces de sécurité ou réseaux de santé publique.

Elle s’attache à répondre à une réalité documentée, en agissant avec fermeté, équilibre et pragmatisme contre ceux qui organisent, banalisent et tirent profit d’un trafic qui mine l’autorité de l’État, affaiblit nos territoires et compromet la justice fiscale, la sécurité sanitaire et l’ordre public économique.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article 1791 du code général des impôts est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque les faits mentionnés au présent article sont commis en bande organisée, au sens de l’article 132‑71 du code pénal, ou au moyen de manœuvres destinées à en dissimuler le caractère frauduleux, ils sont punis des peines prévues aux articles 222‑34 à 222‑39 du même code.

« Les peines complémentaires prévues à l’article 222‑44 dudit code sont également applicables.

« Dans tous les cas, l’article 132‑23 du même code est applicable. »

Article 2

Après le premier alinéa de l’article L. 3512‑1 du code de la santé publique, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« La mise sur le marché, à titre onéreux ou gratuit, de produits du tabac manufacturé contrefaits ou introduits en contrebande constitue une menace grave pour la santé publique et l’ordre public économique.

« Elle peut donner lieu à l’application des peines prévues à l’article L. 3515‑6‑12 du même code lorsque les faits sont commis en bande organisée ou présentent une particulière gravité. »

Article 3

Le fait de publier, proposer, faciliter ou organiser la vente, la promotion ou la mise en relation pour la cession de produits du tabac illicites via tout service de communication au public en ligne est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Les personnes morales exploitant de tels services sont tenues de retirer, dans un délai de vingt‑quatre heures, toute offre manifestement illicite signalée par l’autorité judiciaire ou administrative, conformément à l’article L. 34‑1 du code des postes et communications électroniques et au règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 sur les services numériques.

Article 4

Après l’article 1791 du code général des impôts, il est inséré un article 1791‑1 ainsi rédigé :

« Art. 17911.  Est puni d’une amende forfaitaire délictuelle de 500 euros, dans les conditions prévues à l’article 495‑17 du code de procédure pénale, le fait, pour toute personne physique, de détenir plus de 200 cigarettes ou plus de 250 grammes de tabac manufacturé sans pouvoir justifier de leur provenance légale.

« Le seuil de détention et la liste des documents justificatifs sont fixés par décret en Conseil d’État.

« En cas de détention en vue de la revente ou de revente avérée, les faits sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, en application de l’article 321‑1 du code pénal.

« Les produits saisis peuvent être confisqués conformément à l’article 222‑44 du même code. »

Article 5

Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation portant sur :

– la réalité du trafic illicite de tabac en France ;

– l’impact de l’alignement des sanctions sur les flux criminels ;

– l’efficacité des dispositifs de modération et de retrait des ventes en ligne ;

– les effets économiques de la loi sur le réseau légal des buralistes, notamment en zones rurales ;

– les perspectives d’évolution du droit européen en matière de fiscalité du tabac.

Article 6

La présente loi entre en vigueur trois mois après sa promulgation. Un décret en Conseil d’État précise, en tant que de besoin, ses modalités d’application.