– 1 –

N° 2260

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 décembre 2025.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

instaurant un référendum d’initiative citoyenne délibératif,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Marie POCHON, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET,

députées et députés.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

L’article 3 de la Constitution consacre une conception exigeante de la démocratie, fondée sur une double modalité d’exercice de la souveraineté nationale : la représentation et l’expression directe. Ces deux formes ne s’opposent pas ; elles se complètent et se renforcent mutuellement. Dans une démocratie représentative telle que la nôtre, la légitimité des représentants élus ne peut durablement s’exercer que si le peuple conserve, en parallèle, la possibilité de s’exprimer directement sur les choix collectifs qui engagent son avenir. Confier l’exercice de la souveraineté à des représentants ne saurait signifier y renoncer entièrement. Malgré tout, l’expression directe du peuple apparaît aujourd’hui comme une promesse constitutionnelle inachevée.

Il y a sept ans, la mobilisation des Gilets jaunes révélait avec une force inédite le gouffre se creusant entre les décideurs politiques et nombre de citoyens. Les deux millions de doléances écrites dans cette période révéleront l’envie d’être entendu, de pouvoir participer aux décisions qui engagent collectivement le pays, et de ne pas être cantonné au simple rôle de spectateur du débat démocratique. Dans les centaines de milliers d’écrits, d’espoirs et de colères, de préoccupations et de propositions ; dans les manifestations tout comme dans les milliers de réunions publiques organisées en mairies, une revendication trouva un élan particulier : celle d’une démocratie plus directe ; celle pour les citoyens de pouvoir, entre deux élections, faire entendre leur voix ; celle du RIC, le référendum d’initiative citoyenne. Cette aspiration n’était pas nouvelle : elle s’est ancrée dans les esprits, et elle refait surface dès que nos institutions montrent leurs limites.

« On ne veut pas participer, on veut décider »

Cette aspiration répond à d’immenses fractures que nous avons laissées se creuser : celle de la consultation “pour rien”, de l’avis demandé avant d’être ignoré, de l’écoute pensée par les agences de communication, des promesses non tenues. 

Selon la dernière enquête CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po) menée en 2025, seuls 26 % des Français déclarent avoir encore confiance dans la politique. La confiance dans l’Assemblée nationale atteint un niveau historiquement bas, avec 24 %, soit un retour à son niveau de décembre 2018, au plus fort des mobilisations sur les ronds‑points. 

Les doléances issues du Grand Débat, si elles sont en voie d’être publiées, n’ont jamais été restituées comme promis. La Convention citoyenne pour le climat devait être entendue « sans filtre », selon les termes mêmes du Président de la République. Elle n’a été suivie que partiellement, et les mesures les plus ambitieuses ont été écartées. Le sentiment d’avoir été utilisé plutôt qu’écouté a profondément entamé la confiance.

Vingt ans après le référendum de 2005, au plus fort d’une instabilité marquant une crise de régime inédite, l’année 2025 a débuté par la promesse, par le Chef de l’État, de consulter de nouveau les Françaises et les Français, potentiellement par voie référendaire. Force est de constater que le référendum n’a pas eu lieu, la défiance dans la représentation politique s’est affaissée, et plus de deux millions de Françaises et de Français ont signé, au plus fort de l’été, une pétition sur le site de l’Assemblée nationale demandant à revenir sur une loi qui venait d’être adoptée sans débat dans l’hémicycle. 

Nous considérons que les Françaises et les Français ne souhaitent plus simplement « participer » à telle ou telle innovation démocratique : les expériences passées n’ont fait que les abîmer. Ils et elles veulent pouvoir décider, directement. Il est temps de faire différemment. Parce qu’à faire toujours la même chose, on ne peut espérer d’autres résultats. En écoutant, en partant des gens, en redonnant la parole : que celle‑ci engage et oblige les décideurs ; qu’ils ne puissent l’ignorer encore.

Le référendum d’initiative citoyenne, une demande ancienne, une première réponse à la crise démocratique.

Aujourd’hui, le référendum d’initiative partagée (RIP), inscrit dans la Constitution depuis 2008, est inopérant. Il nécessite l’accord de plus d’un cinquième des parlementaires, et un soutien d’au moins 10 % du corps électoral, en un temps contraint, ce qui rend son activation quasiment impossible. Aucune initiative de ce type n’a pu aboutir en pratique. 

Face à cet échec, l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne apparaît comme la réponse la plus pertinente.

Le RIC délibératif que nous proposons est à la fois national et local. Au niveau national, celui‑ci pourra porter sur une proposition de loi citoyenne. À l’échelle nationale, après qu’un pourcentage déterminé d’électeurs et électrices inscrits sur les listes électorales aura soutenu la pétition, un organe consultatif composé de citoyennes et citoyens tirés au sort sera saisi pour publier une information claire et suffisante sur l’objet, les enjeux et les conséquences de la proposition, sous le contrôle d’une autorité indépendante. L’objectif est de renforcer le lien entre les citoyens et les institutions, en créant un dispositif où les débats sont éclairés, où les textes sont discutés avant une décision par référendum, permettant d’en évaluer les conséquences au préalable. Le rôle de la Commission nationale du débat public pourrait par exemple être renforcé, en dehors des projets environnementaux, et le Conseil économique social et environnemental pourrait également être un acteur clé pour garantir la transparence, la qualité et l’indépendance du processus. Au niveau local, les citoyennes et citoyens d’une collectivité pourront faire une proposition de délibération ou d’acte. Un même type d’organe consultatif pourra être mis en place, mais ne sera pas obligatoire, compte tenu de la marge de manœuvre financière réduite des collectivités territoriales.

Dans les deux cas, le référendum est automatique et le résultat s’impose aux institutions.

S’il existe plusieurs formes de RIC, RIC constitutionnel, RIC abrogatoire, ou encore RIC révocatoire, le présent texte vise à l’instauration d’un RIC portant sur une loi ordinaire et des actes des collectivités territoriales. Les auteurs considèrent toutefois essentiel, à la suite de cet examen, d’ouvrir le débat sur les autres formes de RIC.

Le RIC tel que nous l’envisageons ne vise en aucun cas à contourner le Parlement, mais à le compléter. La démocratie directe vient ici en appui, et non en concurrence, de la démocratie représentative. C’est pourquoi nous proposons l’instauration d’un RIC délibératif, c’est‑à‑dire précédé par des débats éclairés et une réflexion d’une assemblée citoyenne tirée au sort qui établira un rapport sur l’objet de la proposition initiale, ses enjeux et ses conséquences. Cette phase de délibération citoyenne, structurée, ouverte et informée nous paraît essentielle et s’appuie sur les travaux de chercheurs et chercheuses en science politique et en droit.

Dans une période politique où la défiance vis‑à‑vis des élus est au plus haut, où le taux d’abstention atteint des niveaux records, redonner la parole aux citoyens apparaît comme une nécessité. Le référendum d’initiative citoyenne, tel que conçu par le présent texte, ne constitue pas un aboutissement, mais une première pierre dans une refonte plus large de notre régime démocratique. Il s’agit de redonner confiance dans la capacité des citoyens et des citoyennes à agir collectivement et à se faire entendre dans la fabrique de la loi et des décisions les concernant. 

Dans cette perspective, l’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle modifie l’article 11 de la Constitution afin de permettre aux citoyens de soumettre à référendum une proposition de loi citoyenne portant sur un objet unique et conforme à la Constitution. Cette initiative sera encadrée par un recueil de signatures dont le seuil sera fixé par une loi organique, sur une période de douze mois. Préalablement à cette période, le Conseil constitutionnel sera saisi afin de contrôler la constitutionnalité de la proposition. Une fois le nombre de soutiens requis atteint, un organe consultatif citoyen sera chargé de produire et de diffuser une information claire, complète et accessible sur l’objet, les enjeux et les conséquences de la proposition. Il appartiendra ensuite au Président de la République d’organiser le référendum.

Une loi organique viendra compléter ces dispositions afin de préciser notamment le seuil de soutiens requis, les missions confiées au Conseil constitutionnel et les modalités de fonctionnement de l’organe consultatif citoyen.

L’article 2 prévoit, selon une logique similaire, l’instauration d’un référendum local d’initiative citoyenne par la création d’un nouvel article 72‑1‑1 de la Constitution. Lorsqu’une pétition locale atteindra un seuil de soutiens déterminé par la loi organique, la proposition citoyenne sera soumise, après un contrôle de constitutionnalité et de légalité assuré par le Conseil d’État, à un référendum local. Afin de respecter de ne pas leur imposer une charge excessive aux collectivités territoriales, la mise en place d’un organe consultatif citoyen est rendue facultative. Le référendum devra être organisé dans l’année suivant le recueil des soutiens nécessaires ou, le cas échéant, de l’issue du processus consultatif.

Là encore, une loi organique précisera les seuils requis, les missions confiées au Conseil d’État et les modalités d’organisation de l’organe consultatif citoyen.

Enfin, l’article 3 prévoit que la présente proposition de loi constitutionnelle entrera en vigueur dans les conditions fixées par les lois organiques nécessaires à leur application.

 


– 1 –

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié : 

1° Avant le dernier alinéa, sont insérés six alinéas ainsi rédigés :

« Un référendum portant sur une proposition de loi citoyenne à objet unique est organisé à l’issue d’un processus consultatif lorsqu’une pétition le proposant est soutenue par un pourcentage déterminé des électeurs inscrits sur les listes électorales.

« Avant la période de recueil des signatures en soutien à l’initiative, la proposition de loi citoyenne est soumise au Conseil constitutionnel qui se prononce sur sa conformité à la Constitution et apprécie l’unicité de son objet. 

« La décision du Conseil constitutionnel ouvre une période de recueil des signatures en soutien à la proposition de loi citoyenne d’une durée de douze mois.

« Toute proposition de loi citoyenne ayant atteint, à l’expiration du délai fixé au neuvième alinéa, le seuil mentionné au septième alinéa est adressée à un organe consultatif composé de cent cinquante électeurs inscrits sur les listes électorales et tirés au sort selon une procédure permettant une représentation équilibrée de la population. Cet organe publie une information claire et suffisante sur l’objet, les enjeux et les conséquences de la proposition de loi citoyenne. Les conditions de réunion et les modalités de fonctionnement de cet organe sont définies par une loi organique.

« Le Président de la République soumet la proposition de loi citoyenne au référendum dans un délai compris entre trois mois et un an à compter de la fin du processus consultatif mentionné au dixième alinéa. 

« La proposition de loi citoyenne est adoptée lorsque la majorité absolue des suffrages exprimés y est favorable. »

2° Le dernier alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « projet ou » sont remplacés par le mot : « projet, » ;

b) Après la première occurrence du mot : « loi, », sont insérés les mots : « ou de la proposition de loi citoyenne ».

Article 2

Après l’article 72‑1 de la Constitution, il est inséré un article 72‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. 7211. – Dans les conditions prévues par la loi organique, une proposition de délibération ou d’acte à objet unique déposée par un citoyen et relevant de la compétence d’une collectivité territoriale est, lorsqu’elle est soutenue par un pourcentage déterminé des électeurs inscrits sur les listes électorales de ladite collectivité, soumise par la voie du référendum, à la décision des électeurs de la même collectivité. Une procédure consultative dont l’objet est d’informer les électeurs sur l’objet, les enjeux et les conséquences de la proposition citoyenne peut être organisée au sein d’un organe consultatif.

« Avant l’ouverture de la période de recueil des signatures en soutien à la proposition de délibération ou d’acte, celle‑ci est soumise au Conseil d’État qui apprécie sa constitutionnalité, sa légalité et l’unicité de son objet.

« La déclaration par le Conseil d’État de la constitutionnalité, de légalité et de la recevabilité de l’initiative ouvre une période de recueil des signatures en soutien à la proposition citoyenne d’une durée de six mois.

« Toute proposition citoyenne ayant atteint le seuil mentionné au premier alinéa est soumise par référendum à la décision des électeurs de la collectivité territoriale concernée dans un délai d’un an à compter de l’expiration du délai mentionné au troisième alinéa.

« La proposition citoyenne est adoptée lorsque la majorité absolue des suffrages exprimés y est favorable. »

Article 3

Les articles 11 et 72‑1‑1 de la Constitution, dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur dans les conditions fixées par les lois organiques nécessaires à leur application.