N° 2278
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à reconnaître la lutte contre la précarité matérielle et à l’inscrire dans le code de l’action sociale et des familles,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Boris TAVERNIER, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Lisa BELLUCO, M. Arnaud BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, Mme Catherine HERVIEU, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Dominique VOYNET, Mme Béatrice BELLAY, M. Julien BRUGEROLLES, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Karine LEBON, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Sandrine RUNEL, M. Thierry SOTHER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Avoir des difficultés à remplacer des vêtements hors d’usage, ne pas pouvoir payer un abonnement internet ou téléphonique, renoncer à racheter du shampoing ou des protections périodiques, ne pas disposer d’équipements de cuisine adéquats, etc. Loin d’être circonscrite au simple indice de seuil monétaire, la pauvreté prend des formes variées et concrètes dans la vie des personnes, et s’impose alors comme un état de précarité matérielle et sociale durable.
La précarité matérielle décrit la privation persistante d’accès à des biens de consommation d’usage ordinaire. Cette situation ne saurait se réduire à un simple manque matériel : elle entraîne un décalage par rapport à la norme de consommation, source de stigmatisation et d’exclusion sociale. Il devient alors impossible pour le ménage en situation de précarité matérielle de penser ou de s’investir dans d’autres aspects de sa vie privée, sociale, citoyenne et professionnelle. La précarité matérielle accentue le sentiment de solitude et aggrave les inégalités.
Pourtant, le droit à un niveau de vie suffisant – qui comprend l’accès aux biens essentiels – est affirmé par de nombreux textes fondateurs, engageant moralement et juridiquement la France. L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme proclame que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien‑être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». De même, l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels consacre le droit de toute personne à un niveau de vie adéquat, incluant « une nourriture, un vêtement et un logement suffisants », et impose aux États de prendre les mesures appropriées pour réaliser ce droit. Au niveau européen, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et le Socle européen des droits sociaux réaffirment l’engagement de combattre l’exclusion sociale et la pauvreté en affirmant notamment le principe qu’une vie digne doit être assurée par un accès effectif aux biens et services essentiels. L’ensemble de ces références établit un impératif clair : aucune personne ne doit être empêchée, faute de ressources, de subvenir à ses besoins élémentaires. Reconnaître et inscrire la lutte contre la précarité matérielle dans la loi prolonge ces engagements.
Sur le plan national, la France a déjà reconnu la gravité de certaines formes de précarité. Ainsi, la précarité alimentaire fait l’objet d’une définition légale depuis 2018. L’article L.266‑1 du code de l'action sociale et des familles (CASF) dispose en effet que « la lutte contre la précarité alimentaire vise à favoriser l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale », dans le respect de la dignité des personnes. Or, la précarité matérielle constitue, à l’instar de la précarité alimentaire, un aspect fondamental de la pauvreté auquel les politiques publiques de lutte contre l’exclusion doivent s’attaquer. Pourtant, aucune mention équivalente n’existe aujourd’hui dans la loi. Ainsi, cette proposition de loi, composée d’un article unique, entend inscrire dans le code de l’action sociale des familles la définition de la précarité matérielle.
L’absence de définition légale nuit à la lisibilité et à la coordination de l’action publique : les dispositifs d’aide et d’insertion sociale peinent à identifier et à prendre en compte les personnes en situation de privations matérielles, alors même que ces privations peuvent constituer un frein majeur à la réinsertion et à l’autonomie.
Définir clairement la précarité matérielle dans le CASF permettrait de doter la puissance publique d’un outil juridique supplémentaire pour mobiliser tous les acteurs autour d’un objectif commun : faire reculer, dans notre pays, la privation matérielle indigne et assurer à chacun l’accès au minimum vital hors alimentation. Cela viendrait consolider le cadre législatif français et renforcerait la légitimité des initiatives naissantes de lutte contre la précarité matérielle.
Depuis la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) de 2022 qui impose aux producteurs, importateurs et distributeurs, de privilégier le don à la destruction, les invendus de catégories comme les produits d’hygiène et de puériculture doivent être orientés vers des associations de lutte contre la précarité qui se sont organisées pour les redistribuer. Parallèlement au secteur associatif, l’État et les collectivités territoriales s’emparent de l’enjeu de la précarité matérielle via par exemple la distribution gratuite de fournitures scolaires aux enfants ou de protections périodiques dans les lycées ou les campus universitaires. Ces initiatives démontrent qu’un tissu de solidarité matérielle existe et ne demande qu’à être légitimé et renforcé. Ceci est l’ambition de la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article unique
Le titre VI du livre II du code de l’action sociale et des familles est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« Chapitre VII
« Lutte contre la précarité matérielle
« Art L. 267‑1. – La lutte contre la précarité matérielle vise à assurer l’accès aux biens de première nécessité entendus comme l’ensemble des biens indispensables à la satisfaction des besoins élémentaires des personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale. La nature et l’étendue de ces besoins élémentaires est appréciée en considération de la situation spécifique de ces personnes.
« La lutte contre la précarité matérielle s’inscrit dans le principe du respect de dignité des personnes. Elle participe à la reconnaissance et au développement des capacités des personnes à agir pour elles‑mêmes et dans leur environnement.
« La lutte contre la précarité matérielle mobilise l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales, les acteurs économiques, les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, les associations dans le cadre de leur objet ou projet associatif, en y associant les personnes concernées. »