– 1 –

N° 2282

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer un contrôleur général des lieux de placement,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Marianne MAXIMI, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Dominique VOYNET, M. Denis FÉGNÉ, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Hendrik DAVI, Mme Karine LEBON, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Marie-Charlotte GARIN,

députées et députés.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 9 décembre 2025, de nouveaux faits de maltraitance sur un enfant placé ont été révélés. Eliott (dont le prénom a été modifié), 8 ans, a été filmé dans son foyer par les professionnels pourtant censés le protéger, en train d’être tondu, torse nu, en guise de « punition ».

Cette violence n’est ni un fait divers, ni un cas isolé. Depuis des années, il ne se passe pas une journée sans que la presse se fasse le relais des alertes sur l’état de la protection de l’enfance en France. Éducateurs, assistantes sociales, avocats, magistrats, associations d’employeurs, parents, tous les acteurs du secteur ne cessent de rendre publics des faits de violences, de maltraitance, d’absence de prise en charge digne, qui n’entraînent pas les réactions politiques qu’ils devraient engendrer.

Rien qu’en 2025, l’actualité de la protection de l’enfance est glaçante. Le 29 janvier 2025, la Défenseure des droits publie un nouveau rapport où elle dénonce de graves atteintes à l’intérêt supérieur et aux droits des enfants. En mai 2025, Ayden, 7 ans, est battue à mort et torturée par sa famille d’accueil. En août 2025, Ben, 16 ans, meurt noyé, sous la surveillance des personnels de son foyer lors d’une sortie. C’est le cinquième enfant placé qui meurt en l’espace de deux mois pendant l’été, comme Athéna, 2 ans, morte noyée dans la piscine de sa famille d’accueil. En octobre 2025 se tient le procès en appel dit de Châteauroux, procès d’un réseau d’accueil illégal d’enfants de l’Aide sociale à l’enfance, installé entre l’Indre, la Creuse, et la Haute‑Vienne, auquel aucun représentant de l’État ne s’est rendu.

La liste des morts, des blessés, des traumatisés, des violentés par des lieux de placement maltraitants est trop longue pour être dressée de manière exhaustive. Cependant, elle révèle une défaillance structurelle de la protection de l’enfance : la quasiabsence de contrôle par les pouvoirs publics des lieux de placement.

Le code de l’action sociale et des familles prévoit pourtant que ces lieux sont contrôlés par le président du conseil départemental. Or, dans un rapport en 2020, la Cour des comptes soulignait que la capacité des départements à contrôler et évaluer efficacement les opérateurs de leur territoire est globalement insuffisante. En effet, les départements ne disposent bien souvent pas des moyens nécessaires pour réaliser ce contrôle. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) indique que 62,4 équivalents temps plein (ETP) sont dédiés à des missions d’inspection‑contrôle, soit moins d’un ETP par département. Par ailleurs, ces 62,4 ETP ne sont pas dédiés uniquement à la protection de l’enfance, mais à l’ensemble des établissements sociaux et médico‑sociaux. Chaque contrôleur devrait ainsi contrôler 746 structures par an, ce qui est tout simplement impossible. La Cour des comptes dans son rapport de 2020 relève que plusieurs départements ne disposent tout simplement d’aucun effectif dédié au contrôle et que la remontée des incidents est pratiquement nulle.

La Cour des comptes questionne également la qualité du contrôle quand celuici est effectué. Elle pointe par exemple le fait que le contrôle des départements se borne souvent à un contrôle a priori, et à vérifier que les structures respectent bien les règles de tarification. Le contrôle de la qualité de l’accueil est pratiquement inexistant.

La Cour des comptes tout comme l’IGAS soulignent que plusieurs lieux de placement ont continué d’exister en dehors de tout cadre légal, sans habilitation préalable du président du conseil départemental. La Cour pointe des délivrances d’autorisation en dehors de toute légalité, face à l’ampleur des besoins. La Cour ajoute même qu’il arrive que les services départementaux privilégient la recherche de places adaptées aux besoins des enfants sur le contrôle effectif des structures concernées.

Le contrôle est en réalité presque inexistant : en 2024, la Haute autorité de santé a évalué seulement un quart des établissements sociaux et médicaux, qui comprennent les lieux de placement. L’Inspection générale des affaires sociales indiquait en 2020 réaliser un ou deux contrôles seulement par an. Concernant les assistants familiaux, la Défenseure des droits a pointé dans sa décision‑cadre sur la protection de l’enfance que 68 % d’entre eux déclaraient, en 2021, n’avoir jamais été contrôlés, au cours de leur carrière, par le service qui les a agrééśs. En 2022, 40 % des Préfets n’avaient pas reçu de plan de contrôle de la part des départements. De l’aveu même de l’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel lors de son audition par la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, à ce rythme, les établissements qui redouteraient un contrôle peuvent estimer que cela n’arrivera pas avant le siècle prochain.

Le législateur ne peut continuer de fermer les yeux sur l’ampleur du désastre en cours dans des lieux où les enfants sont pourtant vulnérables et sont censés être protégés par l’État.

C’est pourquoi la présente proposition de loi propose d’instaurer un Contrôleur général des lieux de placement, sur le modèle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ce Contrôleur aura pour mandat de contrôler :

– Les habilitations du lieu de placement ;

– Les conditions d’accueil, d’hébergement, et d’accompagnement des enfants ;

– Le respect des droits fondamentaux des enfants, notamment le droit à la santé, à l’éducation et aux loisirs, d’être protégé contre tous les formes de violences et toutes les formes d’exploitation, de s’exprimer et d’être entendu sur les questions qui le concerne ;

– Le respect des normes et pratiques professionnelles relatives à l’accueil d’enfants confiés ;

– Ce Contrôleur général pourra se saisir d’office, tout comme être saisi par tout enfant, famille, professionnel, association, autorité administrative ou judiciaire, membres du Gouvernement ou parlementaires.

À l’image du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Contrôleur général des lieux de placement pourra visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des enfants placés sont accueillis ou hébergés.

La création d’un tel Contrôleur général des lieux de placement est un premier pas nécessaire pour commencer à construire une culture du contrôle des lieux de placement, et assurer que les droits des enfants placés sont respectés en France. Elle est cohérente avec la volonté affichée des Gouvernements successifs, ainsi que de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, de renforcer les contrôles. Elle est une première reconnaissance des souffrances endurées par les enfants placés et témoigne de notre volonté politique de les protéger concrètement.

L’article premier crée le Contrôleur général des lieux de placement et précise ses pouvoirs et prérogatives.

L’article 2 précise qu’un décret précisera dans les deux mois suivants la promulgation de la loi ses conditions d’application.

L’article 3 gage la proposition de loi.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’action sociale et des familles est complété par une section 7 ainsi rédigée :

« Section 7

« Contrôleur général des lieux de placement des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance

« Art. L. 31328. – Le contrôleur général des lieux de placement, autorité administrative indépendante, est chargé, sans préjudice des prérogatives que la loi attribue aux autorités judiciaires ou juridictionnelles, de contrôler les lieux où sont accueillis ou hébergés des enfants placés confiés au service de l’aide sociale à l’enfance, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux.

« Il contrôle de manière non exclusive :

« 1° Les habilitations du lieu de placement ;

« 2° Les conditions d’accueil, d’hébergement, et d’accompagnement des enfants ;

« 3° Le respect des droits fondamentaux des enfants, notamment le droit à la santé, à l’éducation et aux loisirs, d’être protégé contre tous les formes de violences et toutes les formes d’exploitation, de s’exprimer et d’être entendu sur les questions qui le concernent ;

« 4° Le respect des normes et pratiques professionnelles relatives à l’accueil d’enfants confiés.

« Art. L. 31329. – Le contrôleur général des lieux de placement est nommé en raison de ses compétences et connaissances professionnelles par décret du Président de la République pour une durée de six ans. Son mandat n’est pas renouvelable.

« Il ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions qu’il émet ou des actes qu’il accomplit dans l’exercice de ses fonctions.

« Il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l’expiration de son mandat qu’en cas de démission ou d’empêchement.

« Le contrôleur général des lieux de placement exerce ses fonctions à temps plein. Ses fonctions sont incompatibles avec tout mandat électif.

« Art. L. 31330. – Le contrôleur général des lieux de placement est assisté de contrôleurs qu’il recrute en raison de leur compétence dans les domaines se rapportant à sa mission.

« Les fonctions de contrôleur sont incompatibles avec l’exercice d’activités en relation avec les lieux de placement.

« Dans l’exercice de leurs missions, les contrôleurs sont placés sous la seule autorité du contrôleur général des lieux de placement.

« Art. L. 31331. – Le contrôleur général des lieux de placement, ses collaborateurs et les contrôleurs qui l’assistent sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions, sous réserve des éléments nécessaires à l’établissement des rapports, recommandations et avis.

« Ils veillent à ce qu’aucune mention permettant l’identification des personnes concernées par le contrôle ne soit faite dans les documents publiés sous l’autorité du contrôleur général des lieux de placement ou dans ses interventions orales.

« Art. L. 31332. – Toute personne physique, majeure ou mineure, ainsi que toute personne morale peuvent porter à la connaissance du contrôleur général des lieux de placement des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence.

« Le contrôleur général des lieux de placement peut être saisi par tout enfant, famille, professionnel, association, autorité administrative ou judiciaire.

« Il peut également être saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les membres du Parlement, les représentants au Parlement européen élus en France et le Défenseur des droits.

« Il peut aussi se saisir de sa propre initiative.

« Art. L. 31333. – Le contrôleur général des lieux de placement peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des enfants placés sont accueillis ou hébergés.

« Ce contrôle s’étend aux lieux d’attente, de mise à l’abri, de transit ou de transport, dès lors que des mineurs placés y sont pris en charge.

« Art. L. 31334. – Les autorités et personnes physiques responsables des lieux de placements ne peuvent s’opposer aux vérifications sur place ou aux visites.

« Le contrôleur général des lieux de placement obtient des autorités responsables du lieu ou de toute personne susceptible de l’éclairer toute information ou pièce utile à l’exercice de sa mission, dans les délais qu’il fixe.

« Lors des vérifications sur place et des visites, il peut s’entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours lui paraît nécessaire et recueillir toute information qui lui paraît utile.

« Le caractère secret des informations et pièces dont le contrôleur général des lieux de placement demande communication ne peut lui être opposé.

« Le contrôleur général des lieux de placement peut déléguer aux contrôleurs les pouvoirs mentionnés aux quatre premiers alinéas du présent article.

« Les informations couvertes par le secret médical peuvent être communiquées, avec l’accord de la personne concernée, aux contrôleurs ayant la qualité de médecin. Toutefois, les informations couvertes par le secret médical peuvent leur être communiquées sans le consentement de la personne concernée lorsqu’elles sont relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commises sur un mineur ou qu’elles permettent de le présumer. »

« Art. L. 31335. – À l’issue de chaque visite, le contrôleur général des lieux de placement fait connaître aux ministres intéressés ses observations concernant en particulier l’état, l’organisation ou le fonctionnement du lieu visité, ainsi que la condition des enfants placés, en tenant compte de l’évolution de la situation depuis sa visite. À l’exception des cas où le contrôleur général des lieux de placement les en dispense, les ministres formulent des observations en réponse dans le délai qu’il leur impartit et qui ne peut être inférieur à un mois. Ces observations en réponse sont alors annexées au rapport de visite établi par le contrôleur général.

« S’il constate une violation grave des droits fondamentaux d’un enfant, le contrôleur général des lieux de placement communique sans délai aux autorités compétentes ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l’issue de ce délai, constate s’il a été mis fin à la violation signalée. S’il l’estime nécessaire, il rend alors immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues.

« Si le contrôleur général a connaissance de faits laissant présumer l’existence d’une infraction pénale, il les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale.

« Le contrôleur général porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires.

« Le procureur de la République et les autorités ou les personnes investies du pouvoir disciplinaire informent le contrôleur général des lieux de placement des suites données à ses démarches.

« Lorsque ses demandes d’informations, de pièces ou d’observations ne sont pas suivies d’effet, le contrôleur général des lieux de placement peut mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu’il fixe.

« Art. L. 31336. – Dans son domaine de compétences, le contrôleur général des lieux de placement émet des avis, formule des recommandations aux autorités publiques et propose au Gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables.

« Après en avoir informé les autorités responsables, il rend publics ces avis, recommandations ou propositions, ainsi que les observations de ces autorités.

« Art. L. 31337. – Le contrôleur général des lieux de placement peut adresser aux autorités responsables des avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de placement.

« Art. L. 31338. – Est puni de 15 000 € d’amende le fait d’entraver la mission du contrôleur général des lieux de placement :

« 1° Soit en s’opposant au déroulement des vérifications sur place ;

« 2° Soit en refusant de lui communiquer les informations ou les pièces nécessaires aux vérifications, en dissimulant ou faisant disparaître lesdites informations ou pièces ou en altérant leur contenu ;

« 3° Soit en prenant des mesures destinées à faire obstacle, par menace ou voie de fait, aux relations que toute personne peut avoir avec le contrôleur général des lieux de placement en application de la présente loi ;

« 4° Soit en prononçant une sanction à l’encontre d’une personne du seul fait des liens qu’elle a établis avec le contrôleur général des lieux de placement ou des informations ou des pièces se rapportant à l’exercice de sa fonction que cette personne lui a donné́. »

Article 2

Les conditions d’application de la présente loi, notamment celles dans lesquelles les contrôleurs mentionnés à l’article 4 sont appelés à participer à la mission du contrôleur général des lieux de placement, sont précisées par décret en Conseil d’État au plus tard deux mois après la promulgation de la présente loi.

Article 3

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés.