N° 2286

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre effectifs les droits des personnes LGBTQIA+, à lutter contre les violences faites aux enfants intersexes et à faciliter la reconnaissance du genre à l’état civil,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Emmanuel GRÉGOIRE,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis janvier 2025, dans le Loiret, huit guet‑apens homophobes ont été perpétrés. À chaque fois, le modus operandi est le même : un rendez‑vous planifié avec un homme sur une application de rencontre LGBT+, mais, au moment de se rencontrer, l’apparition d’inconnus cagoulés, gantés et armés de couteaux frappant, insultant et dépouillant leur victime.

Ces actes ne sont pas isolés. Sur la période 2016‑2023, les infractions anti‑LGBT+ ont progressé de 15 % en moyenne annuelle. En 2024, les services de police et de gendarmerie ont enregistré 4 800 infractions anti‑LGBT+ sur l’ensemble du territoire. Ces crimes et délits touchent des personnes particulièrement jeunes, puisque près de 48 % des victimes enregistrées ont moins de trente ans. Harcèlement, insultes, licenciements mais aussi violences physiques ou sexuelles pouvant aller jusqu’au viol et au meurtre, les actes LGBTphobes sont variés, et s’accompagnent souvent de difficultés à porter plainte, à obtenir justice ou à accéder à des dispositifs d’écoute ou d’entraide. Ce climat hostile favorise aussi une violence symbolique, avec un mal‑être profond et, dans certains cas, des issues tragiques.

Les rapports d’associations pointent régulièrement la dégradation des conditions de vie et le climat délétère pour les personnes LGBT+, avec des cas d’infractions recouvrant toutes les strates de leur vie quotidienne : école, lieux publics, travail, sphère religieuse, famille, réseaux sociaux… Sur les espaces numériques justement, la libération de la parole LGBTphobe est très présente, prolongeant le harcèlement vécu dans le monde réel par le relais de messages et de discours discriminants. Làbas comme ailleurs, la notion de «  wokisme  » est devenue l’étendard de ceux qui souhaitent censurer toute voix combattant les discriminations et rejettent la visibilité des personnes LGBT+.

Puisqu’elle représente 21 % des cas, la transphobie continue d’être un sujet majeur, n’en déplaise aux tentatives d’invisibilisation du sujet, malheureusement trop récurrentes. La libération de la parole transphobe, très violente, que l’on observe depuis plusieurs années, tient des discours à la volonté toujours plus affichée de contrôler les corps et de ne pas respecter l’intégrité et la dignité des personnes, en particulier des enfants.

C’est également dans l’accès à la santé des personnes LGBT+ que les inégalités persistent. Si l’homosexualité et la transidentité ne sont plus considérées comme des pathologies en France, la volonté de faire entrer les corps dans les normes culturelles persiste. Dès la naissance, nombre d’enfants intersexes subissent des interventions chirurgicales dites «  de normalisation  » visant à conformer leurs organes génitaux à des normes binaires. Ces opérations, souvent irréversibles, sont pratiquées sans consentement éclairé et peuvent entraîner des douleurs chroniques, des traumatismes psychologiques et une atteinte durable à l’intégrité corporelle. Malgré les recommandations de plusieurs instances internationales, dont le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, la France n’a pas encore interdit ces pratiques. Elle doit le faire au plus vite.

Ailleurs en Europe et dans le monde, la situation des personnes LGBT+ n’encourage pas à l’optimisme. Dès son arrivée au pouvoir en Italie, Giorgia Meloni s’est attaquée aux droits des familles homoparentales. En Hongrie, Viktor Orban a fait voter une loi qui interdit la représentation de l’homosexualité ou la transidentité auprès des mineurs, assimilant les identités LGBTQ+ à des contenus pornographiques et restreint leur visibilité dans l’espace public, les médias et l’école. Aux États‑Unis, les attaques contre les personnes LGBT+, notamment trans, se multiplient depuis le retour de Donald Trump au pouvoir.

En France, la situation politique et son impact possible sur les droits des personnes LGBT+ est préoccupante. L’extrême‑droite est aux portes du pouvoir, et, avec elle, l’ensemble des idéaux réactionnaires qui fondent son discours politique. Parmi eux, la réduction des droits des personnes LGBT+ se matérialise concrètement dans leur agenda politique. En prétextant défendre les enfants d’une « propagande LGBTQ+ », l’extrême‑droite se fait en réalité l’écho d’une offensive organisée contre les droits de toutes les personnes ne rentrant pas dans l’hétéronormativité (à titre d’exemple : la proposition de loi n° 2504, déposée le 11 avril 2024 à l’Assemblée nationale).

La protection des droits LGBT+ est donc un devoir de justice urgent face à la menace de l’extrême droite, et une condition essentielle à l’égalité universelle.

Ces dernières années, des avancées des droits des personnes LGBT+ ont été permises : les personnes de même sexe peuvent se marier depuis la loi du 17 mai 2013, et adopter dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels depuis les lois du 17 mai 2013 et du 21 février 2022. La loi du 2 août 2021, quant à elle, a créé une procédure de reconnaissance conjointe anticipée pour les couples de femmes ayant recours à la procréation médicalement assistée.

Pourtant, des difficultés subsistent. La présente proposition de loi permettrait d’en supprimer certaines.

L’article 1er rétablit l’égalité des droits de tous les individus : une personne peut modifier la mention relative à son sexe et ses prénoms à l’état civil par une simple déclaration de modification à l’officier d’état civil, et sans qu’aucun témoignage ou production de document ne soit nécessaire. Si la modification de sexe est acquise à l’étranger, elle peut être inscrite sur le registre de l’état civil.

L’article 2 permet que la modification de la mention du sexe ou de changement de prénom acquise à l’étranger soit reproduite de façon conforme sur le titre de séjour.

L’article 3 permet à toute personne étrangère l’obtention de la reconnaissance du sexe par lequel elle se définit lors de sa demande d’asile.

L’article 4 protège les enfants intersexes en introduisant une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende pour le fait de prescrire un traitement ou de pratiquer un acte médical visant à conformer les caractéristiques sexuelles atypiques d’un mineur sans son consentement.

L’article 5 précise l’application de la loi pénale française lorsque le délit décrit à l’article 4 de la présente loi est commis à l’étranger.

L’article 6 permet à une association d’exercer les droits reconnus à la partie civile sans accord obligatoire de la victime ou de son représentant légal, dans le cas du délit décrit à l’article 4 de la présente loi.

L’article 7 permet l’application de la présente loi en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

L’article 8 modifie l’article 47 du code civil en revenant sur les dispositions introduites par le législateur à l’article 7 de la loi n° 2021‑1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

L’article 9 demande au Gouvernement la remise d’un rapport au Parlement sur l’opportunité de créer un nouveau critère discriminatoire visant à mieux réprimer les infractions commises à raison des caractéristiques sexuelles d’une personne.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre II du titre II du livre Ier du code civil est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article 60 est supprimé ;

2° La section 2 bis est ainsi modifiée :

a) Le premier alinéa de l’article 61‑7 est ainsi rédigé :

« Mention des décisions de modification du sexe et, le cas échéant, du prénom, est portée en marge des actes de l’état civil de l’intéressé. » ;

b) Sont ajoutés des articles 61‑9 et 61‑10 ainsi rédigés :

« Art. 619. – Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à modifier la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil.

« La demande est remise à l’officier d’état civil du lieu de résidence ou du lieu où l’acte de naissance a été dressé. La décision de modification de la mention relative au sexe est inscrite sur le registre de l’état civil.

« S’il s’agit d’un mineur, la demande est remise par son représentant légal. Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

« Le changement de prénom est de plein droit lors de la modification de la mention relative au sexe à l’état civil. La décision de changement du prénom est inscrite sur le registre de l’état civil.

« Si une personne demande à modifier la mention relative à son sexe à l’état civil alors que celle‑ci a déjà fait l’objet d’une modification, l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République. Il en informe le demandeur. Si le procureur de la République s’oppose à ce changement, le demandeur, ou son représentant légal, peut saisir le juge aux affaires familiales.

« Art. 6110. – La décision de modification de sexe régulièrement acquise à l’étranger est portée en marge des actes de l’état civil sur instructions du procureur de la République. »

Article 2

Le titre III du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° Le chapitre Ier est complété par une section 3 ainsi rédigée :

« Section 3

« Changement du prénom et de la mention du sexe

« Art. L. 4316. – Tout étranger détenteur d’un titre de séjour en cours de validité peut demander qu’une décision de modification de prénoms ou de la mention relative au sexe régulièrement acquise à l’étranger donne lieu à la délivrance d’un nouveau titre de séjour.

2° À la fin du troisième alinéa de l’article L. 436‑1, les mots : « et L. 426‑9 » sont remplacés par les mots : « , L. 426‑9 et L. 431‑6 ».

Article 3

Le livre V du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° La section 1 du chapitre Ier du titre II est complétée par un article L. 521‑7‑1 ainsi rédigé :

« Art. 52171. – L’étranger peut remettre à l’autorité administrative compétente qui enregistre sa demande une déclaration sur l’honneur que le sexe mentionné sur ses documents d’état civil ne correspond pas à celui dans lequel il se présente.

« L’étranger peut remettre à l’autorité administrative compétente toute décision de modification de la mention relative au sexe ou de prénom régulièrement acquise à l’étranger.

« L’attestation de demande d’asile remise à l’étranger en vertu de l’article L. 521‑6 porte mention relative au sexe conforme à la déclaration mentionnée au premier alinéa ou à la décision mentionnée au deuxième alinéa. » ;

2° L’article L. 531‑5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le demandeur peut présenter tout document relatif à un changement de la mention relative au sexe ou de prénom à l’état civil. Si le document est établi postérieurement à la demande d’enregistrement, une nouvelle attestation de demande d’asile est remise à l’étranger. »

Article 4

Le chapitre II du titre II du Livre II du code pénal est ainsi modifié :

1° Après l’article 222‑13, il est inséré un article 222‑13‑1 ainsi rédigé :

« Art. 222131. – Le fait de prescrire un traitement ou de pratiquer un acte médical visant à conformer les caractéristiques sexuelles atypiques d’un mineur sans son consentement est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

« L’infraction prévue au premier alinéa n’est pas constituée lorsque l’intéressé a personnellement sollicité une telle intervention dans les conditions prévues par l’article L. 2131‑6 du code de la santé publique. » ;

2° Après l’article 222‑48‑5, il est inséré un article 222‑48‑6 ainsi rédigé :

« Art. 222486.  Les personnes physiques coupables du délit prévu à l’article 222‑13‑1 encourent une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité de nature médicale ou para‑médicale pour une durée ne pouvant excéder cinq ans. »

Article 5

Après l’article 222‑16‑3 du code pénal, il est inséré un article 222‑16‑4 ainsi rédigé :

« Art. 222164.  Par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113‑6, la loi française est applicable en toutes circonstances lorsque le délit prévu à l’article 222‑13‑1 est commis à l’étranger par un Français.

« Dans les cas où le délit prévu au même article 222‑13‑1 est commis à l’étranger, la loi française est applicable aux actes de complicité commis sur le territoire de la République par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l’article 113‑5.

« Les dispositions de la seconde phrase de l’article 113‑8 ne sont pas applicables aux deux premiers alinéas du présent article. »

Article 6

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après le troisième alinéa de l’article 2‑6, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au troisième alinéa du présent article, l’association peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit mentionné à l’article 222‑13‑1 du code pénal sans que l’accord de la victime ou, le cas échéant, de son représentant légal ne soit exigé. » ;

2° Au troisième alinéa de l’article 8, après la référence : « 222‑12 », est insérée la référence : « 222‑13‑1 ».

Article 7

I. – À la fin de l’article 711‑1 du code pénal, les mots : « n° 2025-1057 du 6 novembre 2025 modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna » sont remplacés par les mots : « n°     du      visant à rendre effectifs les droits des personnes LGBTQIA+, à lutter contre les violences faites aux enfants intersexes et à faciliter la reconnaissance du genre à l’état civil, en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. ».

II. – Au début du premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, les mots : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2025-1057 du 6 novembre 2025 modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, » sont remplacés par les mots : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n°     du      visant à rendre effectifs les droits des personnes LGBTQIA+, à lutter contre les violences faites aux enfants intersexes et à faciliter la reconnaissance du genre à l’état civil, ».

Article 8

La seconde phrase de l’article 47 du code civil est supprimée.

Article 9

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement évaluant l’opportunité de créer un nouveau critère discriminatoire visant à mieux réprimer les infractions commises à raison des caractéristiques sexuelles d’une personne.