N° 2287

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sandrine RUNEL,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le dernier rapport de la Fondation pour le logement des défavorisés sur l’état du mal‑logement en France de 2025 fait état de plus de 4,2 millions de personnes mal logées, dont 1,1 million est privé de logement personnel. Parmi ceux‑ci, la Fondation estime à 350 000 le nombre de personnes sans domicile fixe, qu’elles vivent à la rue, en abri de fortune, à l’hôtel, en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ou en hébergement généraliste.

Ces chiffres records se traduisent concrètement par des situations de détresse sociale que nous constatons chaque jour dans nos territoires : enfants vivant dans l’incertitude quotidienne de l’accès à une place d’hébergement, personnes sans abri, familles trouvant refuge dans des voitures, les urgences hospitalières ou des halls d’immeubles, recrudescence de la précarité alimentaire, difficulté des associations à faire face à ces situations…

La période actuelle est particulièrement préoccupante car elle conjugue plusieurs facteurs de fragilisation de personnes d’ores et déjà en situation de vulnérabilité : hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, arrivées soutenues de personnes fuyant leur pays d’origine pour trouver refuge en France, saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence, sans oublier les crises sociale et climatique.

Notre pays connaît par ailleurs une grave crise du logement, avec un nombre de ménages en attente d’un logement social plus élevé que jamais (2,77 millions fin 2024), comme celui des personnes sans abri évoqué plus haut, alors qu’on observe une chute libre de la construction de logements neufs et un blocage du marché locatif. Parallèlement, le marché locatif est pris en tenaille entre un accès plus difficile de l’accès à la propriété et une saturation du parc social. Selon un rapport du site Bien’ici, qui recense les annonces des principales agences immobilières françaises, l’offre de biens à louer a été divisée par deux entre 2019 et 2023. La situation continue de se dégrader, avec une baisse de 14 % du nombre d’annonces entre 2023 et 2025. Au deuxième trimestre 2025, le stock de logements à louer est au plus bas sur les 5 dernières années.

La situation du logement est donc extrêmement tendue et les professionnels du secteur craignent une explosion en l’absence de mesures fortes de l’exécutif. Or, au terme des travaux du Conseil national de la refondation, le gouvernement a dévoilé en juin 2023 des mesures très insuffisantes unanimement critiquées, par les acteurs du bâtiment comme ceux du logement et de la solidarité.

La déception est d’autant plus grande que le mal logement constitue l’une des manifestations les plus graves de la pauvreté dans notre pays. Des mesures fortes sont nécessaires pour répondre à l’accroissement de la précarité dans notre pays : adopter une loi de programmation et de planification des places d’hébergement à la hauteur des besoins, lever les freins financiers à la production de logement abordable et de logement social, déployer un plan d’urgence pour la prise en charge des enfants et des familles sans solution en associant la communauté éducative, ouvrir des centres de premier accueil répartis sur l’ensemble du territoire pour les personnes venant chercher refuge en France, ouvrir des États généraux de l’aide alimentaire en partant de diagnostics territoriaux.

Solidarités nationale et territoriale, accès au « logement d’abord » chaque fois que c’est possible, accueil dans de bonnes conditions des personnes réfugiées, réponse à l’augmentation continue des besoins observés pour l’aide alimentaire dans un contexte de hausse du coût des denrées alimentaires et de l’énergie : face à la démobilisation de l’État, des solutions alternatives mais nécessairement provisoires et insuffisantes se mettent souvent en place à l’initiative des collectivités locales.

Des milliers d’acteurs associatifs, d’élus locaux, de volontaires se mobilisent ainsi pour aller chaque jour à la rencontre des personnes sans abri. Les maires et présidents d’exécutifs territoriaux ne cessent de le répéter : des solutions existent pour enrayer la spirale négative de la précarité et de l’exclusion, et sans mettre en concurrence les différents publics concernés, comme c’est si souvent le cas.

Depuis 2018, la Ville de Paris a ainsi lancé la Nuit de la Solidarité, une opération de décompte de nuit des personnes sans‑abri, qui se tient chaque hiver et mobilise plus de 2 000 bénévoles et professionnels du social et environ 120 associations. L’objectif est de compter à un instant T le nombre de personnes en situation de rue, n’ayant donc pas d’endroit où dormir pour la nuit ou étant installées dans des lieux impropres au sommeil : voiture, tente, hall d’immeubles…

Cette opération permet également de mieux appréhender le profil des personnes décomptées et leurs besoins, le but étant in fine de faire progresser les dispositifs et les politiques publiques d’accueil, d’hébergement et d’insertion. Son succès est reconnu au‑delà du territoire parisien et de nombreuses communes s’en sont saisies et organisent à leur tour une opération similaire, telles que Bordeaux, Rennes, Montpellier, Marseille, Strasbourg, Nantes et de nombreuses villes de la métropole du Grand Paris. Les Nuits de la Solidarité ont également essaimé dans les territoires d’outre‑mer, avec des éditions notamment dans des communes à la Réunion et en Martinique.

Comme parlementaires, nous soutenons ces initiatives locales et en appelons à l’État pour les mettre en place à l’échelle nationale : mobilisation des services de l’État, reconnaissance à leur juste valeur des professionnels engagés au quotidien, maintien des emplois indispensables à l’accompagnement social de toutes et tous.

La première étape nécessaire à l’élaboration d’une réelle politique de mise à l’abri des personnes, à la prévention des situations de grande exclusion et à l’insertion durable des publics concernés consiste à recenser précisément les besoins dans toutes nos communes.

L’article 1er de la proposition de loi propose donc de généraliser à l’ensemble du territoire national le décompte annuel du nombre de personnes contraintes de dormir à la rue, sur le modèle de la Nuit de la Solidarité, afin d’établir un diagnostic objectif des besoins d’hébergement et plus globalement des services permettant de répondre aux besoins fondamentaux de toutes les personnes en situation de grande exclusion. Cette obligation s’appliquerait aux communes de plus de 100 000 habitants.

L’article 2 dispose qu’à la suite du décompte, ce diagnostic fera l’objet d’un rapport transmis à la représentation nationale, comprenant les éléments du diagnostic et une liste de recommandations.

 


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proposition de loi

Article 1er

Chaque commune collecte et transmet annuellement au représentant de l’État dans le département les données relatives au nombre de personnes sans abri sur son territoire.

Les communes de plus de 100 000 habitants procèdent une fois par an, de nuit et dans des conditions précisées par décret, pris après avis du conseil mentionné à l’article L. 143‑1 du code de l’action sociale et des familles, au décompte des personnes sans abri sur leur territoire, auquel participent des travailleurs sociaux et des bénévoles. Ce décompte contribue à l’élaboration par les services départementaux de l’État d’un diagnostic territorial permettant d’évaluer les moyens à mettre en œuvre en matière d’hébergement d’urgence et d’accompagnement social.

Les services de l’État chargés de la politique de prévention et de lutte contre le sans‑abrisme centralisent les données mentionnées au premier alinéa et coordonnent les décomptes mentionnés au deuxième alinéa.

Article 2

Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation à la suite d’un diagnostic établi au niveau national chaque année, issu des décomptes mentionnés à l’article 1er, présentant les éléments de ce diagnostic et établissant une liste de recommandations de mesures à prendre, en termes de planification du développement de l’offre d’hébergement ou de logement adapté pour répondre aux défis constatés. Ce rapport précise le nombre de femmes et d’enfants sans abri dans chaque commune et au niveau national. Le conseil mentionné à l’article L. 143‑1 du code de l’action sociale et des familles émet un avis sur les recommandations, qui est annexé au rapport.