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N° 2297

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre effective la liberté des funérailles,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. François PIQUEMAL, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La liberté des funérailles est garantie par la loi du 15 novembre 1887, qui permet aux citoyennes et citoyens de rester maîtresses et maîtres du devenir de leur corps. Cette liberté agit comme la garantie que les choix exercés de son vivant seront préservés au‑delà de la mort pour toutes et tous. Pourtant, si les humains naissent et demeurent libres et égaux en droits, ils ne meurent pas dans ces conditions.

Alors que les Français⸱es se sentent de plus en plus concerné⸱es par l’impact de leur vie sur le monde qui les entoure, 73 % souhaitent avoir accès à des méthodes de funérailles plus écologiques que la crémation, génératrice de gaz à effet de serre, ou l’inhumation au cimetière, qui questionne au regard de l’emprise foncière croissante qu’elle nécessite et de l’effet conjugué de la pollution et de l’artificialisation des sols qu’elle entraîne. Ces deux pratiques soulèvent également la place prépondérante du cercueil dans le droit funéraire, rendu obligatoire par le règlement. L’obligation du cercueil, lorsqu’elle a été étendue à l’échelle nationale en 1804, a permis à tous, même les « indigents », d’y avoir accès. La collectivité le prenait alors en charge pour ceux qui n’en avaient pas les moyens. Vecteur d’une forme d’égalité républicaine dans la mort, le cercueil représente cependant aujourd’hui pour beaucoup un obstacle à la liberté de culte garantie par la laïcité, ou dans le choix de nouvelles pratiques funéraires.

Loin d’être un objet neutre à visée purement fonctionnelle, le cercueil comporte une importante charge symbolique, religieuse, économique et historique qui rendent son obligation contraire à la liberté effective du choix funéraire. Matériellement, le cercueil constitue une barrière physique entre le corps et son environnement. Cette fonction protectrice perdure après l’enterrement, et altère considérablement les processus naturels de biodégradation des corps, ce qui renforce la saturation des cimetières. Avant que le cercueil ne soit rendu obligatoire en France au début du XIXe siècle, le linceul en fibre biodégradable était communément utilisé, comme partout en Europe, lors des enterrements. Aujourd’hui encore, de nombreux pays autorisent à se passer de cercueil et à lui préférer le linceul, comme au Royaume‑Uni, en Allemagne, en Belgique, ou même sur certaines parties du territoire comme à Mayotte où la France encadre déjà cette pratique. Alors que plusieurs courants cultuels préconisent l’utilisation du linceul dans leurs rites funéraires, cette liberté des funérailles est empêchée par une législation funéraire qui précède de cent ans l’établissement du principe de laïcité. Il est temps d’y remédier. La laïcité implique de laisser aux citoyens la liberté de choix quant aux modalités de leurs funérailles, et de généraliser cette liberté aux rites civils non‑religieux également.

La crémation a été la première étape de conquête de la liberté de choix quant aux modalités de funérailles. Fervemment défendue par la Société pour la propagation de la Crémation dont les 420 illustres membres fondateurs comptaient Léon Gambetta, Alfred Nobel ou Victor Schœlcher, la crémation a proposé une alternative républicaine à l’inhumation en terre consacrée. C’est grâce à ce combat que la loi fondamentale suivante a été garantie aux citoyens français : « Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut déterminer librement les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture » en 1887.

L’actualisation des travaux scientifiques sur le sujet permet aussi de soutenir cette proposition d’abroger l’obligation de mise en bière. Cette obligation légale précède en effet les premiers travaux d’hydrogéologie au sujet des flux issus de l’inhumation. En 1801, on pense que les épidémies se répandaient par les miasmes ; le métier à tisser, le stéthoscope et la photographie n’existent pas ; la pasteurisation non plus. Deux siècles de recherches et de découvertes en sciences naturelles ont bouleversé notre compréhension de la décomposition des corps et de ses effets sur l’environnement. L’obligation de profondeur minimum à 1 mètre 50 perd ainsi son sens lorsque l’on cesse de croire qu’il suffit d’enterrer plus profondément pour assurer l’assainissement. Nous savons aujourd’hui que les conditions anaérobiques, causées par l’obligation du cercueil et par cette profondeur limitent la destruction de certains pathogènes, les préservant même parfois durant des siècles.

Enfin, l’obligation du cercueil est une des dernières barrières juridiques à la recherche de nouvelles pratiques funéraires qui permettraient de faire évoluer le droit funéraire, la gestion des cimetières, et de mieux respecter la volonté des citoyen.ne.s. C’est le cas par exemple de la réduction des corps par biodégradation (appelée humusation, terramation, ou Natural Organic Reduction). Cette pratique est déjà autorisée dans plusieurs pays où ces pratiques sont encadrées par les pouvoirs publics, comme en Allemagne ou dans quatorze États américains. 46 % des Français⸱es seraient prêt⸱es à y recourir d’après un sondage de l’association Humo Sapiens et OpinionWay.

Différents projets de recherche sur le sujet sont en cours, de nouvelles perspectives de mise en œuvre pourraient être ouvertes en France, encadrées par les collectivités territoriales volontaires. Ces recherches pourraient concerner également l’aquamation, impliquant la dissolution progressive du corps dans l’eau, déjà autorisée au Canada et en Australie.

La présente proposition de loi vise donc à mettre en accord le cadre légal des funérailles avec notre époque. Elle rendra effective la liberté des funérailles en garantissant des funérailles laïques, écologiques et accessibles, tout en ouvrant la voie à la transition funéraire souhaitée par les Français⸱es.

L’article 1er inscrit la liberté de choix du mode de funérailles comme partie intégrante de la liberté des funérailles.

L’article 2 lève l’obligation du cercueil dans les funérailles et détermine le cadre de l’inhumation sans cercueil.

L’article 3 autorise les collectivités à expérimenter de nouvelles méthodes funéraires.

 


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proposition de loi

Article 1er

À la fin du premier alinéa de l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, insérer les mots : « , ainsi que le mode et les conditions de réduction du corps dans les réserves déterminées par la loi ».

Article 2

Après l’article L. 2223‑2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2223‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 222321. – Le choix de l’enveloppe mortuaire est libre.

« L’enveloppe mortuaire ne peut avoir pour effet de contaminer les sols, et doit respecter les règles environnementales applicables.

« Par dérogation au premier alinéa, la commune peut, après avis auprès d’un expert, imposer la mise en bière pour des raisons sanitaires ou d’hygiène publique.

« Les restrictions quant à la profondeur des fosses et la distance entre les fosses sont établies au regard de critères de décence dans le cas général, et sanitaires lorsqu’il y a lieu. Ces restrictions peuvent être adaptées suivant les besoins spécifiques des modes et conditions de réduction du corps adoptés.

« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »

Article 3

I. – À titre expérimental, pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la loi, les communes volontaires peuvent par dérogation aux dispositions du chapitre III du titre II du livre II de la partie II du code général des collectivités territoriales, organiser de nouvelles méthodes d’inhumation et de décomposition des corps dans les limites déterminées par l’article 16‑1‑1 du code civil ainsi que dans le respect des volontés exprimées par le défunt.

Ces méthodes incluent :

1° La pratique de la terramation, consistant en la réduction organique du corps dans un environnement fermé dont la température, l’aération, l’humidité et les apports végétaux sont strictement maîtrisés, via un processus lent de compostage permettant la décomposition naturelle du corps et sa transformation progressive en matériau organique assimilable par les sols ;

2° La pratique de l’humusation, consistant en la réduction organique du corps dans un environnement aéré et tempéré composé de matières organiques structurantes en milieu ouvert ou semi‑ouvert, via un processus lent de compostage de longue durée permettant la décomposition lente et naturelle du corps et sa transformation en humus assimilable par les sols ;

3° La pratique de l’aquamation, consistant en la décomposition du corps dans une enceinte close contenant une solution d’eau et de substances alcalines chauffée et mise en mouvement, aboutissant à la dissolution des tissus et à la récupération d’un résidu osseux inorganique.

II. – La demande d’expérimentation est transmise au représentant de l’État dans le département concerné au plus tard deux ans avant la fin de l’expérimentation. Ces expérimentations sont menées en partenariat avec un organisme de recherche scientifique publique dans le cadre de projets conventionnés.

III. – Chaque commune participant à l’expérimentation adresse au représentant de l’État dans le département concerné le bilan de l’expérimentation qui lui a été confiée, au plus tard un an avant la fin de l’expérimentation.

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois avant le terme de l’expérimentation permise par la présente loi, un rapport portant sur les expérimentations mises en œuvre en application du présent article, les conditions de sa pérennisation, ainsi que de sa généralisation à l’ensemble des communes.

IV. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article.

Article 4

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.