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N° 341

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 octobre 2017.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
sur les conditions d’accueil des réfugiés et de respect
de l’État de droit dans le département des AlpesMaritimes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

 

Éric COQUEREL, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 4 septembre 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné M. le préfet des Alpes‑Maritimes pour une « atteinte grave et manifestement illégale » portée à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile([1]). En l’espèce, trois personnes d’origine soudanaise avaient été interpellées le 22 août à la gare de Breil‑sur‑Roya alors qu’elles souhaitaient se rendre à Nice pour formaliser leur demande d’asile ; emmenées pour « vérification » au poste de police de Menton, elles avaient ensuite été directement remises aux autorités italiennes. Le cas n’est pas isolé : six mois plus tôt, le 31 mars 2017, le tribunal administratif de Nice avait déjà condamné M. le préfet des Alpes‑Maritimes pour des motifs identiques alors qu’une famille d’origine érythréenne avait été expulsée de manière expéditive. Ces deux condamnations, dans un intervalle aussi rapproché, soulèvent des interrogations sur les conditions d’accueil des réfugiés et le respect de l’État de droit dans le département des Alpes‑Maritimes.

Ainsi, en 2016, selon des informations rendues publiques par voie de presse, la préfecture des Alpes‑Maritimes aurait interpellé près de 35 000 personnes sur l’ensemble du département([2]). La grande majorité de ces interpellations a eu lieu à la frontière franco‑italienne. Selon la préfecture, neuf personnes interpellées sur dix auraient été renvoyées en Italie. En 2016, au moins 30 000 mesures de non admission auraient été prononcées en 2016 dans ce seul département, soit presque 70 % de l’ensemble des mesures de refus d’entrée prononcées sur l’ensemble du territoire([3]). Ces chiffres illustrent la situation exceptionnelle qui prévaut sur cette portion du territoire français.

Dans cette perspective, et alors que la justice française examinait le cas de M. Cédric Herrou, poursuivi pour aide à l’entrée et au séjour d’étrangers en situation irrégulière, l’organisation Amnesty International France a effectué une mission d’observation dans les Alpes‑Maritimes, entre le 19 janvier et le 26 janvier 2017, sur les « violations des droits humains des hommes, femmes et enfants, migrants ou réfugiés, qui franchissent la frontière francoitalienne pour rejoindre le territoire français »([4]).

Les conclusions en sont particulièrement alarmantes. Selon le rapport d’Amnesty International France, il est clair que « les modalités du contrôle des frontières mises en place par les autorités françaises empêchent ou dissuadent des personnes dentrer en France, sans quaucune considération ne soit réellement portée au respect de leurs droits et aux garanties légales encadrant ces procédures ». L’organisation pointe également que, dans la plupart des cas, « les personnes contrôlées à la frontière se retrouvent privées de toute possibilité de faire valoir leurs droits, notamment celui de solliciter lasile ». Selon la mission d’observation, ce sont précisément les « violations des droits humains commises par les autorités françaises qui ont conduit des citoyens à se mobiliser pour venir en aide aux personnes réfugiées et migrantes », lesdits citoyens faisant ensuite paradoxalement l’objet de poursuites.

Or le droit d’asile est un principe fondamental de la République française, fondée sur la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, ainsi que sur les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, mais aussi de résistance à l’oppression. Cela explique, par exemple, l’accueil des Arméniens fuyant le génocide turc, des citoyens d’Europe centrale victimes des persécutions liées à leur origine, des républicains espagnols après la guerre civile de 1936‑1939, des boat people d’Asie en 1979. Il est à l’honneur de la France de respecter la dignité humaine des réfugiés, de même que leur droit fondamental à une vie de famille.

C’est ainsi que le droit d’asile est garanti constitutionnellement : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit dasile sur les territoires de la République. »([5]) Il a été consacré par le Conseil constitutionnel : « Considérant que le respect du droit dasile, principe de valeur constitutionnelle, implique dune manière générale que létranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusquà ce quil ait été statué sur sa demande »([6]).

Le droit d’asile découle également des engagements internationaux de la France, en particulier de la convention de Genève sur les réfugiés du 28 juillet 1951 et du droit de l’Union européenne, plus particulièrement du règlement du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, dit règlement « Dublin », de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, dite directive « qualification », et des deux directives du 26 juin 2013, portant respectivement sur les procédures et les normes d’accueil.

Enfin, aux termes de l’article L. 741‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, tel qu’il résulte de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile : « Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander lasile se présente en personne à lautorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de lÉtat responsable (…) ».

Si les graves exactions dénoncées par Amnesty International France et par différentes organisations d’aide et de soutien aux réfugiés, comme Roya citoyenne, les avocats du SAF, RESF ou Habitat & Citoyenneté, étaient avérées, il s’agirait d’un manquement manifeste à l’État de droit. Les deux récentes condamnations de la préfecture des Alpes‑Maritimes par le tribunal administratif de Nice accréditent encore davantage la nécessité de contrôler l’action des pouvoirs publics en la matière.

Pire encore, la situation des mineurs serait particulièrement inquiétante. Ainsi, le 13 décembre 2016, l’UNICEF dénonçait le « refoulement systématique » des mineurs non accompagnés à la frontière par les autorités françaises, situation qui les « expose à de nombreux dangers et des risques accrus de violence », au mépris des engagements internationaux ratifiés par la France, à commencer par la Convention relative aux droits de l’enfant. Et, au mois de février 2017, le rapport d’Amnistie International France notait : « Les enfants non accompagnés ne font pas l’objet de l’attention requise par leur situation de vulnérabilité et les exigences de la législation française relative à la protection de l’enfance ». Il était notamment indiqué : « Les enfants sont donc renvoyés au même titre que les adultes, de façon expéditive et sans possibilité d’exercer leurs droits ni même d’être accompagnés. »

Enfin, des témoignages recueillis sur le terrain font état de l’existence de centres de rétention clandestins, car non recensés, ce qui constituerait une autre atteinte manifeste à l’État de droit. Là encore, il convient de lever toute équivoque à cet égard.

Il est donc indispensable que le Parlement, auquel le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution donne pour mission de contrôler et d’évaluer l’action publique, procède à l’examen des conditions d’accueil des réfugiés dans le département des Alpes‑Maritimes, et, le cas échéant, adopte des mesures pour faire cesser d’éventuels manquements à l’État de droit.

Dans cette perspective, la présente résolution tend à instituer une commission d’enquête en application de l’article 51‑2 de la Constitution et des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, afin d’examiner les conditions d’accueil des réfugiés et de respect de l’État de droit dans le département des Alpes‑Maritimes.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

Une commission d’enquête, composée de trente députés, est instituée en application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale. Elle sera chargée d’examiner les conditions d’accueil des réfugiés et de respect de l’État de droit dans le département des Alpes‑Maritimes.


([1])  http : //www.lemonde.fr/immigration‑et‑diversite/article/2017/09/04/le‑prefet‑des‑alpes‑maritimes
‑a‑nouveau‑condamne‑pour‑atteinte‑au‑droit‑d‑asile‑de‑migrants_5180868_1654200.html

([2])  http : //france3‑regions.francetvinfo.fr/provence‑alpes‑cote‑d‑azur/alpes‑maritimes/environ‑
35‑000‑migrants‑interpelles‑frontiere‑2016‑1165509.html

([3])  http : //www.liberation.fr/france/2017/02/08/migrants‑rejetes‑vers‑l‑italie‑l‑etat‑francais‑s‑assoit
‑sur‑le‑droit_1546973

([4]) https : //www.amnesty.fr/refugiesetmigrants/actualites/frontierefrancoitaliennedescontrolesauxfrontieres

([5]) Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité

([6]) Conseil constitutionnel : Décision n° 93325 DC du 13 août 1993