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N° 716

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création dune commission denquête sur lalimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans lémergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Sucreries, desserts, céréales, boissons sucrées, viandes transformées (nuggets, jambon sous vide, etc.), pâtes et soupes instantanées, plats surgelés plein d’additifs… La hausse du pouvoir d’achat des ménages, l’évolution contrastée des prix des différents produits et la baisse du temps consacré à la cuisine ont contribué et contribuent à la modification des pratiques alimentaires. Depuis 1960, les ménages consacrent à l’alimentation une part de plus en plus réduite de leurs dépenses de consommation : 20 % en 2014 (232 milliards d’euros, soit 3 600 euros par habitant et par an), contre 35 % en 1960 où l’alimentation constituait le principal poste de dépense des ménages. D’après l’INSEE, la composition du panier alimentaire s’est modifiée conjointement au modèle agricole, au profit des produits transformés et des plats préparés. Les scandales sanitaires, récurrents depuis 1996, ont aussi affecté la consommation : grippe aviaire, lasagnes au bœuf‑cheval (!), œufs contaminés au Fipronil, lait infantile infecté par la salmonelle, etc.

Ainsi, depuis 1960, la consommation de plats préparés s’accroît de 4,4 % par an en volume par habitant. Les changements de modes de vie s’accompagnent d’une réduction du temps de préparation des repas à domicile (‑ 25 % entre 1986 et 2010). Cela favorise la consommation de produits faciles d’emploi, principalement issus de l’industrie agroalimentaire. Les données recueillies en 2014‑2015 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ([1]) mettent ainsi en évidence une part plus élevée d’aliments transformés dans l’alimentation des Français qu’auparavant. L’étude montre également que les produits agro‑alimentaires industriels représentent la majorité des aliments transformés consommés par les Français (deux tiers chez les enfants et la moitié chez les adultes). La recherche de « praticité », ou le manque de temps, se font au détriment de produits bruts et non transformés : inexistante en 1960, la consommation de légumes coupés ou emballés s’est fortement développée depuis les années 1990, alors que celle de légumes non transformés reste stable. Il suffit de regarder les rayons de supermarchés remplis de légumes et fruits prédécoupés, emballés dans du plastique, alors que la nature les a pourvus d’une peau pour les protéger naturellement.

Depuis les années 1980, les citoyens reçoivent des recommandations sur la façon de s’alimenter, par le biais de nombreux discours nutritionnels institutionnels. Ceux‑ci préconisent une réduction des matières grasses, des produits sucrés et des protéines animales, ou encore une ration énergétique réduite. Des campagnes de prévention sont organisées. Des mesures fiscales spécifiques comme la taxe sur les sodas ont été votées à l’Assemblée nationale. Des projets d’étiquetage également, tels que permis par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 qui a inscrit dans le droit la possibilité de recommander un système d’étiquetage nutritionnel pour faciliter le choix d’achat du consommateur, au regard de la composition nutritionnelle des produits. Le nutri‑score adopté en début d’année 2017, malgré les vives oppositions de l’industrie agroalimentaire, reste pour autant facultatif en raison du règlement européen de 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Les effets sur la consommation des ménages restent difficiles à constater. Quelques mois après le lancement de la campagne « Manger au moins 5 fruits et légumes par jour » (2007), une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) montrait que 93 % des Français avaient eu connaissance de ce message, mais que seuls 3 % d’entre eux déclaraient avoir changé d’alimentation volontairement sur cette période.

Ces pratiques ont des conséquences en termes de santé. En France, selon les données de la sécurité sociale, on comptait, en 2010, 539 083 décès, dont environ 36 % pouvaient être attribués directement ou indirectement à une mauvaise alimentation (24 % pour les maladies cardiovasculaires, 10 % pour le cancer et 2 % pour le diabète). Un tiers des décès est donc lié directement ou indirectement à une mauvaise pratique alimentaire, en termes d’équilibre nutritionnel ou d’excédent calorique. En 2014, la France a atteint le chiffre de 50 % de sa population adulte en surpoids, et 17 % des enfants le sont également. En raison de l’augmentation de la prévalence de ces maladies chroniques, les années moyennes de vie passées en bonne santé tendent à diminuer (entre 62 et 64 ans en 2009 pour les Français) tandis que l’espérance de vie théorique moyenne continue d’augmenter d’environ trois mois tous les ans (entre 79 et 85 ans en 2009). Nous vivons donc de plus en plus longtemps, mais de plus en plus longtemps en mauvaise santé. Selon la Haute Autorité de santé, en 2012, plus de 15 millions de Français souffraient d’une maladie chronique, ces derniers représentant près des deux tiers des dépenses de santé. Les effets d’une alimentation de qualité dégradée ont ainsi un coût colossal : environ 20,4 milliards d’euros.

De nombreuses études scientifiques pointent du doigt les problèmes de qualité nutritionnelle de cette alimentation industrielle communément appelée « malbouffe ». Entre 2008 et 2012, trente entreprises de l’industrie agroalimentaire ont adopté des chartes d’engagements promettant d’améliorer la situation nutritionnelle des populations les plus exposées aux excès et déficits nutritionnels. Sodium, sucres, lipides, acides gras saturés… L’alimentation d’origine industrielle reste jugée trop grasse, trop sucrée, trop salée, trop calorique. C’est ce qu’une étude de l’Observatoire de la qualité de l’alimentation (Oqali) établit en 2012. Ainsi, l’industrie agroalimentaire ne respecte pas les préconisations sanitaires du Plan national nutrition santé (PNNS 2). Par ailleurs, le poids et le niveau d’activité physique des Français restent inadaptés. Les taux d’obésité et de surpoids en France sont parmi les plus bas de l’OCDE, mais ils ont augmenté de façon régulière. En 2014, environ une personne sur huit est obèse en France, et 40 % de la population est en surpoids. De plus, le pourcentage d’individus présentant un comportement sédentaire est inquiétant. Deux tiers des adolescents de 15 à 17 ans et plus de 80 % des adultes de 18 à 79 ans sont concernés. En sept ans, le temps quotidien passé devant un écran, hors temps de travail, a augmenté de 20 minutes en moyenne chez les enfants et d’1h 20 chez les adultes.

Lorsque les aliments ultra‑transformés constituent la base de nos régimes alimentaires, nous créons un terrain favorable au développement des maladies chroniques (au sens que lui donne l’Organisation mondiale de la santé). Par exemple, la science montre clairement que l’adhésion massive à des régimes à base d’aliments ultra‑transformés (comme le régime omnivore de type occidental, dit « Western Diet ») observée dans certaines grandes villes augmente les risques d’obésité, de diabète de type 2 (le diabète non insulinodépendant), de maladies cardiovasculaires et de cancers (parmi les enjeux majeurs de santé publique), mais aussi de mortalité. Une étude scientifique, appelée NutriNet‑Santé ([2]), établit un lien entre consommation de plats préparés par l’industrie et risque de cancer. Bien que ses auteurs soulignent la nécessité d’études plus approfondies, leur conclusion est implacable : « la consommation d’aliments ultra transformés a été associée avec un risque global plus élevé de cancer » (accru de 6 à 18 %) « et de cancer du sein » (accru de 2 à 22 %). Sans compter les maladies graves qui affectent les agriculteurs, au cœur du modèle agricole productiviste, base de l’alimentation industrielle.

Au‑delà des impacts sanitaires et de l’émergence de pathologies chroniques, l’alimentation industrielle de notre société a des impacts sociaux et environnementaux non négligeables. Les multinationales de l’agro‑alimentaire ont à cœur la recherche de bénéfices plus que l’équilibre alimentaire et la bonne santé des individus. Le grand déménagement du monde orchestré par la mondialisation alimentaire et ses corollaires que sont la production de masse, la pression sur les prix et les marges et les délocalisations fragilisent l’autosuffisance alimentaire des nations autant qu’elles accroissent les émissions de gaz à effet de serre. Si le contenu des aliments ultra transformés est décrié, la lumière doit aussi être faite sur les impacts de leurs conditions de production et de transport, sur un volet autant social qu’environnemental. La transition vers un modèle agricole soutenable intégrant une rémunération décente des agriculteurs est indissociable de cette problématique.

L’ouverture d’une telle commission d’enquête vise un état des lieux des différentes connaissances scientifiques relatives à l’alimentation industrielle et ses impacts. L’urgence écologique implique une modification globale et profonde de nos modes de production et de consommation. Cette commission d’enquête aura donc pour objectif d’établir une liste de propositions pour refondre le système agro‑alimentaire et nos pratiques, en vue d’une transition écologique plus que jamais nécessaire.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres, chargée d’étudier la qualité nutritionnelle, le rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, et les impacts sociaux et environnementaux de la provenance de l’alimentation industrielle.


([1]) Étude INCA 3 lancée en février par l’ANSES dont les résultats ont été publiés en juillet 2017.

([2]) Étude réalisée auprès d’environ 105 000 Français, et publiée jeudi 15 février 2018.