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N° 972

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mai 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

appelant à une interdiction universelle de la gestation pour autrui,

présentée par Mesdames et Messieurs

Xavier BRETON, Julien AUBERT, Nathalie BASSIRE, Thibault BAZIN, Valérie BOYER, Fabrice BRUN, Jacques CATTIN, Dino CINIERI, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Éric DIARD, PierreHenri DUMONT, Fabien DI FILIPPO, Virginie DUBYMULLER, JeanPierre DOOR, Daniel FASQUELLE, Laurent FURST, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, JeanCarles GRELIER, Patrick HETZEL, Valérie LACROUTE, Marc LE FUR, Constance LE GRIP, Véronique LOUWAGIE, Gilles LURTON, Olivier MARLEIX, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Bernard PERRUT, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Martial SADDIER, JeanMarie SERMIER, Isabelle VALENTIN, Charles de la VERPILLIÈRE, Arnaud VIALA, Michel VIALAY,

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Contraire au principe d’indisponibilité et d’inviolabilité du corps humain, la gestation pour autrui (GPA) est, aujourd’hui, interdite en France et dans la majorité des États de l’Union européenne. Le code civil dispose dans son article 16‑7 que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». L’article 227‑13 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende « la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant », ainsi que leur tentative. L’article 227‑12 du code pénal réprime la provocation à l’abandon, l’entremise en vue d’adoption et, depuis la loi bioéthique n° 94‑653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, « le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ».

La GPA conduit à une exploitation inacceptable de la femme et à une réification de l’enfant. Pourtant régulièrement des coups de butoir des juridictions françaises viennent affaiblir cette interdiction.

Dans deux arrêts du 28 septembre 2015, la Cour d’appel de Rennes a refusé de reconnaître la validité d’actes de naissance établis à l’étranger en 2010 à la suite d’une gestation pour autrui (GPA). Elle a ainsi confirmé l’annulation de l’acte de naissance d’une fille née en Inde d’une part, et le refus de transcrire l’acte de naissance de deux jumeaux nés aux États‑Unis d’autre part. Cependant le motif invoqué n’est plus la fraude à la loi liée à la convention de GPA, comme il était habituellement jugé dans le passé, mais la non‑conformité des actes de naissance à la réalité : la mère d’intention, conjointe du « père biologique », était mentionnée comme la « mère qui a accouché de l’enfant », ce qui est contraire à la réalité car celle qui a effectivement accouché est la mère porteuse.

Dans le cas de l’enfant né en Inde, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Nantes avait annulé par un jugement du 22 mai 2014 l’acte de naissance litigieux, en se plaçant sur le terrain de la fraude à une loi d’ordre public puisque résultant d’une convention de GPA interdite en vertu des articles 16‑7 et 16‑9 du code civil et frappée d’une nullité absolue. Les « parents d’intention » avaient fait appel de ce jugement en se prévalant des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 26 juin 2014, imposant selon eux la transcription à l’état civil français de l’acte de naissance établi à l’étranger. En réalité, ces arrêts ont jugé qu’en faisant obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement du lien de filiation à l’égard du père biologique, l’État français est allé au‑delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.

La Cour d’appel de Rennes a tout d’abord considéré que la théorie de la fraude n’est désormais plus recevable et que les conditions de naissance de l’enfant – à la suite d’une convention de GPA – ne peuvent plus être opposées à celui‑ci.

Ce revirement tire effectivement sa source dans les arrêts de la CEDH du 26 juin 2014 et dans l’application qu’en a fait la Cour de cassation dans deux arrêts du 3 juillet 2015. Dans ces arrêts, la plus haute juridiction française a renoncé à sa jurisprudence antérieure, qui considérait comme nuls tous les actes consécutifs à une convention de GPA, et a autorisé la transcription des actes de naissance étrangers dans certains cas : dans les deux cas d’espèce, elle a désigné comme parents, d’une part l’homme français ayant fourni les gamètes pour la conception de l’enfant, et d’autre part la femme russe ayant mis l’enfant au monde, la mère porteuse.

Puis la Cour d’appel de Rennes a confirmé l’annulation faite par le TGI, tout en effectuant une substitution de motif puisque l’argument utilisé est que « ces actes de naissance ne font pas foi ». L’acte qui avait été établi désignait le couple français comme parents. Or, cet acte n’était pas conforme à la réalité puisqu’ils désignent comme « mère » la conjointe du « père biologique », alors qu’elle n’est pas celle qui a accouché de l’enfant. Il a donc été fait application de l’exception prévue à l’article 47 du code civil, dans la mesure où les faits déclarés sur l’acte de naissance « ne correspondent pas à la réalité ».

Les juges aboutissent bien à l’annulation d’une filiation de pure convenance, qu’une pratique de maternité de substitution réalisée hors de France avait pour objet de produire. Mais leur raisonnement confirme qu’une nouvelle jurisprudence apparaît maintenant, selon laquelle la convention de GPA, pourtant considérée comme nulle en droit français, ne fait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger issu d’une telle convention. Il suffit que l’acte de naissance ne soit ni irrégulier, ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité. La théorie de la fraude, telle que soutenue par le ministère public dans les deux procès, semble donc désormais systématiquement écartée.

Par quatre arrêts du 5 juillet 2017, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur une demande de transcription sur les registres de l’état civil français d’un enfant né de GPA alors que la femme qui s’y trouve désignée comme mère n’a pas accouché de l’enfant et sur une demande d’adoption simple d’un enfant par l’époux du père après recours à la GPA.

Il est important de souligner que la question de la gestation pour autrui ne concerne pas seulement, et même pas principalement, les couples de personnes de même sexe. Dans la plupart des cas, ce sont des couples homme‑femme qui ont recours à la gestation pour autrui, car la femme ne peut pas porter d’enfant. Trois des quatre affaires que la Cour a eu à trancher concernent ainsi des couples homme‑femme.

S’agissant de la transcription, un acte de naissance a été dressé dans l’État où l’enfant est né. Lorsque l’acte de naissance désigne comme père le père biologique français et comme mère son épouse, seule une transcription partielle portant sur la filiation paternelle peut être admise. En revanche, la filiation maternelle ne peut être transcrite car, sur ce point, l’acte de naissance ne correspond pas à la réalité. En droit français en effet, la mère est la femme qui accouche. La mère est donc la mère porteuse.

Pour l’adoption, la haute juridiction a estimé que les enfants nés par GPA à l’étranger pouvaient avoir deux parents français légalement reconnus, et non le seul père biologique, comme c’était le cas jusqu’à présent. Le parent dit « d’intention » ou « parent social » pourra voir sa filiation reconnue par la voie de l’adoption simple. Notons qu’en 1991, la Cour de cassation s’était opposée à une telle adoption au motif qu’elle constituait « l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère ». En 2017, les magistrats affirment à l’inverse que cette adoption est possible, peu importe le fait que l’enfant soit issu d’une gestation pour autrui ! Les partisans d’une telle mesure arguent du fait que l’enfant ne doit pas supporter les conséquences des choix faits par ses parents. Rappelons cependant que la vie quotidienne de ces enfants ne posait pas de difficultés majeures. Une circulaire de 2013 a facilité l’octroi à leur profit d’un certificat de nationalité française. La solution retenue aboutit à valider intégralement la fraude commise par les parents : désormais, la filiation maternelle comme paternelle peut être établie.

On le voit : la portée de tous ces arrêts laisse en suspens de multiples questions. Cette jurisprudence débouche, en effet, sur la transcription de la moitié seulement des actes de naissance : transcrits lorsque la femme désignée comme mère est la mère porteuse, non transcrits lorsque la femme désignée comme mère est la mère d’intention. Ces décisions révèlent l’impasse dans laquelle la Cour de cassation a conduit la jurisprudence française.

Mais surtout, que reste‑t‑il de l’article 16‑7 du code civil ? Alors que la loi française frappe de nullité toute convention de GPA, nous voyons par toutes ces décisions de justice une diminution inquiétante de la portée de cet article.

Lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron affirmait dans son programme : « Nous ne sommes pas favorables à autoriser la gestation pour autrui (GPA) en France. Ce sujet soulève un débat sur la capacité à disposer de son corps et à le marchandiser ». Il s’engageait aussi à ce que « les enfants issus de la GPA nés à l’étranger voient leur filiation reconnue à l’état‑civil français, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il n’est pas possible de traiter ces enfants comme des étrangers dans leur propre pays ».  La portée de la prohibition de la GPA par Emmanuel Macron est bien réduite : la France. Il suffit d’aller à l’étranger pour obtenir le résultat défendu !

Il s’engageait aussi à ce que la France participe « à une initiative internationale pour lutter contre les trafics et la marchandisation des femmes liés au développement de la GPA dans le monde. Une telle démarche est d’ores et déjà en préparation à la Convention de la Haye, sur le modèle de ce que cette Convention a réalisé en matière d’adoption internationale pour lutter contre le trafic d’enfants ».

Si une telle intention peut être louable, elle ne saurait suffire à mettre un terme à la pratique de la GPA qui, sur la planète entière, présente toutes les caractéristiques d’une nouvelle forme d’esclavage.

Il paraît donc maintenant urgent que les pouvoirs publics lèvent ces graves contradictions entre les paroles et les actes, et que le gouvernement s’engage concrètement, à faire interdire la GPA au niveau international au nom de l’indisponibilité du corps humain et de la dignité de la femme.

Tel est l’objet de cette proposition de résolution.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant l’interdiction légale de la gestation pour autrui en France ;

Considérant la circulaire dite « Taubira », publiée en janvier 2013, encourageant les juridictions françaises compétentes à délivrer un certificat de nationalité française pour les enfants nés sous gestation pour autrui à l’étranger ;

Considérant les arrêts du 26 juin 2014 de la Cour européenne des droits de l’Homme (Mennesson contre France et Labassée contre France) condamnant la France à régulariser l’état civil de tous les enfants nés à l’étranger par GPA ;

Considérant les arrêts de la Cour de cassation en date du 3 juillet 2015 et ceux de la Cour d’appel de Rennes du 28 septembre 2015 ;

Considérant les arrêts 824, 825, 826 et 827 de la Cour de cassation en date du 5 juillet 2017 ;

Réaffirme le principe d’interdiction de la gestation pour autrui qui est d’ordre public en droit français ;

Souhaite que la France entreprenne toutes les démarches nécessaires, au niveau international, en vue d’obtenir l’interdiction universelle de la gestation pour autrui.