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N° 1032

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 juin 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à mettre le peuple et ses aspirations au cœur
des débats budgétaires,

présentée par Mesdames et Messieurs

André CHASSAIGNE, JeanPaul DUFRÈGNE, Fabien ROUSSEL, Alain BRUNEEL, Huguette BELLO, MarieGeorge BUFFET, Moetai BROTHERSON, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARDMONDÉSIR, JeanPaul LECOQ, JeanPhilippe NILOR, Stéphane PEU, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC,

Député‑e‑s.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a quelques années, un ancien Premier ministre et Président de l’Assemblée nationale indiquait, non sans humour, que le poids de l’initiative budgétaire du Parlement au regard du budget de l’État équivalait à celui du prix de l’enjoliveur d’une voiture au regard de l’ensemble du véhicule.

Il est vrai que les lois de finances se succèdent mais le pouvoir du Parlement en matière financière reste limité au regard de son impact réel sur les grands équilibres budgétaires et sur la définition des moyens alloués aux politiques publiques. L’examen du budget pour l’année 2018 n’a pas dérogé à ce propos, les parlementaires n’ayant modifié qu’à la marge la loi de finances pour l’année en cours.

Cette limitation des pouvoirs des représentants du peuple à édicter la norme financière est notamment le fruit des équilibres institutionnels issus de la Constitution du 4 octobre 1958, cantonnant le Parlement à un rôle secondaire face à un pouvoir exécutif prédominant. Une influence relative que le processus d’intégration européenne dans le domaine budgétaire est venu fragiliser au cours des dix dernières années, diluant peu à peu l’expression de la souveraineté du peuple.

Un article de la Constitution du 4 octobre 1958 grave dans le marbre l’impuissance du peuple et de ses représentants à participer activement à la définition du budget et donc des politiques publiques : l’article 40.

Véritable verrou limitant l’expression parlementaire, il prive le peuple et ses représentants de l’initiative de la dépense publique.

Les parlementaires ne peuvent ainsi proposer d’allouer des moyens financiers additionnels au budget formulé par le Gouvernement. Certes il leur est possible de modifier la répartition des crédits des programmes d’une même mission mais à la seule condition de ne pas augmenter le montant de ces crédits. Il les prive également d’être à l’initiative de toute diminution des recettes publiques sans contrepartie financière équivalente.

À titre d’illustration, le Parlement ne peut ainsi proposer, et donc voter à son initiative, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, mettre en place un plan d’aide à la création d’emplois dans le secteur industriel, renforcer les effectifs de l’éducation nationale ou organiser la conversion écologique du pays. Cela lui est interdit, le Gouvernement détenant un véritable monopole.

Consacrant l’hégémonie du pouvoir exécutif, il prive très concrètement le peuple et ses représentants d’un droit essentiel : celui de formuler des propositions, complémentaires ou alternatives à celles du Gouvernement, qui permettraient de répondre aux besoins de la population.

Cet article d’un autre temps vient stériliser le débat public : les décisions budgétaires importantes étant tranchées bien avant que le peuple et ses représentants ne s’en saisissent véritablement, les discussions parlementaires autour du budget se retrouvent coupées des réalités quotidiennes de nos concitoyens, réduites à des considérations techniques voire technocratiques.

Combiné à d’autres dispositions de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux artifices des règlements intérieurs des deux chambres, qui autorisent, par exemple, le Gouvernement à déposer un amendement en dehors des délais, à procéder à une seconde délibération (lorsque la première s’avère non conforme à ses souhaits) ou à un vote bloqué, le Parlement est donc désarmé.

Le peuple et ses représentants sont considérés comme dispendieux et il faudrait donc les priver de ce droit fondamental. Cet argument n’est pas valable. Dans les faits, la prééminence du pouvoir exécutif ne s’est aucunement traduite par une meilleure gestion des ressources publiques. En témoigne l’évolution de la situation budgétaire du pays depuis plusieurs décennies, marquée par une financiarisation accrue et une soumission toujours plus forte à la loi du marché et à la dette.

L’article 40 a bien d’autres effets pervers. Comme le rappelaient deux présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat dans une tribune parue dans un quotidien du soir le 16 mai 2008, « l’article 40 est devenu une machine à créer de la dépense fiscale ». Qu’entend‑on par « dépense fiscale » ? Il s’agit des crédits d’impôts, mis en place à destination des particuliers ou des entreprises. Ces crédits d’impôts, parfois chiffrés à plusieurs milliards d’euros, peuvent être proposés par voie d’amendement dès lors qu’ils sont financés par une hausse équivalente de la fiscalité. Dix ans après la publication de cette tribune, le montant de la « dépense fiscale » a explosé et devrait atteindre près de 100 milliards d’euros en 2018 (dont 21 milliards pour le seul crédit d’impôt en faveur de la compétitivité et de l’emploi), avec des effets incertains sur l’économie et un système fiscal devenu injuste et illisible.

Depuis plusieurs années, l’influence du Parlement sur l’élaboration du budget de la Nation s’avère bousculée par la construction européenne. L’intégration communautaire sur les aspects budgétaires et financiers s’est profondément accélérée au cours des dernières années, en particulier depuis l’explosion de la crise financière de 2008 et la crise de la dette dans la zone euro. Avec la mise en place du Semestre européen (2011), le Six Pack (2012), le Two Pack (2013) et le pacte budgétaire inclus dans le Traité sur la stabilité, la gouvernance et la coopération (TSCG) (2013), l’autonomie budgétaire des États s’est réduite quand les indicateurs de déficits publics sont devenus l’alpha et l’oméga du projet européen. Un véritable « fétichisme budgétaire » s’est imposé à tout projet émancipateur et porteur de progrès. La capacité du peuple à participer, à travers ses représentants, à la construction du budget de notre pays et exprimer ainsi sa pleine et entière souveraineté est affectée sans véritable contrepartie démocratique équivalente. Notre pays rend ainsi des comptes, au nom de ces normes européennes, à des institutions non élues et à la légitimité discutable, telle la Commission européenne.

Or, la politique budgétaire constitue ni plus ni moins que le socle des choix politiques effectués pour la vie du pays.

La remise en cause de l’article 40 de la Constitution et, plus globalement, la revalorisation des droits des représentants du peuple en matière budgétaire et financière apparaissent aujourd’hui urgentes et incontournables pour la démocratie. Un préalable à la pleine et entière expression de la souveraineté du peuple.

Elles viendraient, d’une part, rééquilibrer une dissymétrie institutionnelle portant atteinte au bon fonctionnement de la démocratie. Elles viendraient, d’autre part, remettre au cœur du débat public les préoccupations de la population, débat aujourd’hui surplombé par la sacro‑sainte dette publique, la réduction dogmatique de la dépense publique et le totem des 3 % de déficit public.

Au‑delà du vote de la loi, l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ».

Le contrôle parlementaire est l’un des piliers de l’État de droit. Ce contrôle s’exerce d’autant plus efficacement qu’il se conjugue à une évaluation des politiques publiques effective et tangible.

Or, à l’heure actuelle, le Parlement ne dispose pas des moyens humains et techniques lui permettant d’assurer ses missions de contrôle et d’évaluation en toute autonomie vis‑à‑vis du Gouvernement. Dans la pratique, il reste largement tributaire de l’accès et du traitement de l’information dont dispose l’exécutif. Dès lors, il s’avère délicat de l’évaluer et de le contrôler, lui qui est le seul à disposer des données à évaluer et à contrôler.

Par ailleurs, le Parlement ne dispose pas des outils lui permettant de réaliser un chiffrage des propositions qu’il entend porter. Il est donc dans l’incapacité de débattre à armes égales avec le Gouvernement.

L’indépendance du Parlement, principe fondamental de la séparation des pouvoirs, n’est donc pas garantie. Afin qu’elle le soit de manière pleine et entière, le renforcement des moyens dont disposent les représentants du peuple pour contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques menées et formuler des propositions alternatives s’avère fondamental pour le bon fonctionnement de notre vie démocratique.

En vue d’assurer l’autonomie pleine et entière du législateur, tant à l’égard du pouvoir exécutif que de tout autre pouvoir, notamment financier, les auteurs de la présente proposition de résolution considèrent comme fondamental de renforcer les moyens propres du Parlement, s’appuyant sur le pôle d’expertise que constituent les effectifs des commissions des finances, en en renforçant les compétences internes (analyse statistique, évaluations qualitatives et quantitatives, etc.).

Ce schéma doit permettre de garantir que le contrôle de l’action publique et l’évaluation des politiques menées soient menées conformément à l’expression des représentants du peuple et non d’un quelconque intérêt particulier.

En parallèle, au sein du Parlement, une réflexion devra être menée dans les plus brefs délais sur les droits reconnus à l’opposition. Il serait contradictoire de prétendre renforcer les prérogatives du Parlement en matière de contrôle de l’action gouvernementale tout en maintenant l’essentiel des leviers de contrôle entre les mains des membres de la majorité parlementaire.

Enfin, le rôle des juridictions financières dans notre démocratie mérite débat. Au cours des quinze dernières années, ces juridictions ont vu leurs attributions s’élargir, leurs métiers évoluer. Au jugement des comptes et au contrôle de la gestion se sont ajoutées, par exemple, l’évaluation des politiques et les demandes d’enquête sollicitées par le Parlement. La Cour des comptes, principale juridiction financière, est progressivement devenue un acteur incontournable du débat public. Mais celle‑ci n’outrepasse‑t‑elle pas son rôle dès lors qu’elle se mue en gardienne de l’orthodoxie budgétaire ? N’outrepasse‑t‑elle pas son rôle dès lors qu’elle garde l’œil rivé sur le seul niveau des dépenses publiques ? Son rôle n’est‑il pas dévoyé dès lors que ses travaux conduisent à légitimer des politiques d’austérité ?

Des adaptations doivent donc être adoptées pour pérenniser la crédibilité de cette juridiction financière dans l’ordre institutionnel français. Les auteurs de la présente proposition de résolution considèrent qu’il y a lieu de diversifier la composition de la Cour des comptes. Les modes de recrutement pourraient évoluer afin de la doter d’un éventail élargi de compétences et de profils lui permettant d’exercer ses missions aussi utilement que possible pour notre vie démocratique.

Conjuguées, ces propositions permettraient de définir un nouvel équilibre dans lequel le peuple et ses représentants pourront exercer leurs droits dans toute leur plénitude.

 


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution ;

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale ;

Considérant que le peuple et ses représentants doivent disposer des moyens nécessaires pour exercer leur pleine et entière souveraineté ;

Considérant que la politique budgétaire constitue le socle des choix politiques effectués pour la vie du pays ;

Considérant que le droit d’initiative parlementaire doit pouvoir s’exercer pleinement, y compris en matière budgétaire et financière ;

Considérant que les différents verrous portés à ce droit d’initiative parlementaire portent tout autant atteinte à la vie démocratique qu’ils n’ont aucunement montré leur efficacité sur le plan budgétaire ;

Considérant qu’il y a lieu de permettre aux députés et aux sénateurs de débattre en toute liberté, et donc en toute responsabilité, des propositions de recettes et de dépenses ;

Considérant que le Parlement ne dispose pas des moyens lui permettant de conduire efficacement ses missions de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques ;

Considérant que la diversification de la composition de la Cour des comptes doit permettre de garantir la pluralité d’opinion et de pérenniser la crédibilité de l’institution ;

1° Encourage le Gouvernement à formuler des propositions visant à renforcer le droit d’initiative parlementaire en matière budgétaire ;

2° Invite le Gouvernement à accorder les moyens financiers nécessaires pour que le Parlement puisse disposer de ses propres pouvoirs d’expertise, en toute autonomie, afin de contrôler efficacement son action et évaluer les politiques publiques ;

3° Encourage le Gouvernement à prendre des initiatives visant à diversifier la composition de la Cour des comptes afin de renforcer la pluralité d’opinion et d’expression en son sein et, ainsi, pérenniser la crédibilité de la juridiction.