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N° 1039

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour un usage plus proportionné et pertinent de la décote applicable
aux cessions de biens et actifs immobiliers du domaine privé de lÉtat,

présentée par

M. JeanPaul MATTEI,

député.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À l’origine, la décote visait à doter les pouvoirs publics d’un nouvel instrument susceptible de leur permettre de répondre à la crise du logement que traverse notre pays depuis de trop longues années.

Créé par la loi n° 2013‑61 du 18 janvier 2013 ([1]) (dite « loi Duflot »), ce mécanisme dérogatoire habilite l’État à céder des terrains de son domaine privé à un prix inférieur à sa valeur vénale afin de permettre « la réalisation de programmes comportant essentiellement des logements dont une partie au moins est réalisée en logement social ». S’agissant de la part des programmes consacrée à la construction de logements sociaux, le taux de la décote peut atteindre 100 %. L’article L. 3211‑7 du code général de la propriété des personnes publiques fixe en outre les hypothèses et les conditions dans lesquelles le bénéfice de ce mécanisme est de droit. Le champ d’application du dispositif a été récemment étendu afin d’accélérer le rythme des cessions de foncier public et ainsi d’éviter la constitution de réserves foncières.

Suivant les prévisions fournies à l’appui du projet à l’origine de la loi Duflot, la décote devait permettre la construction de 110 000 logements entre 2012 et 2016, ainsi que la cession de 224 sites propriété de l’État ou de ses opérateurs. Or, qu’ils émanent des commissions compétentes du Parlement ou de la Cour des comptes, les travaux d’évaluation actuellement disponibles conduisent tous à s’interroger sur l’impact réel, sinon la raison d’être du dispositif à deux points de vue : l’efficacité de la conduite des opérations entrant dans son champ ; le coût pour les finances publiques rapporté au nombre des logements sociaux construits.

La première critique porte sur les lourdeurs et les complexités que peut comporter la mise en œuvre de la décote dès lors que le dispositif peut induire des délais supplémentaires. D’une part, les préfectures de région sont tenues de se prononcer sur la base d’un programme finalisé après l’inscription des terrains cessibles sur la liste régionale. L’acquéreur ne dispose d’aucune latitude pour modifier le programme de logements : il doit préciser son contenu dès le dépôt du dossier d’acquisition et il n’est pas autorisé à le modifier, puisqu’il sert de référence au calcul de la décote. D’autre part, le calcul de la décote peut donner lieu à d’âpres discussions et certaines des personnes interrogées par le Rapporteur spécial de la commission des finances évoquent des critères et une grille assez abstraits pour établir son taux. Ainsi que le souligne la Cour des comptes, ces lourdeurs procédurales ont d’ailleurs pu conduire les aménageurs ou collectivités à réaliser des projets en dehors du dispositif de la décote qui demeure à ce jour peu utilisé.

La deuxième critique met en cause l’opportunité même du choix de l’État de consentir une décote dans le cadre d’opérations conduites par certaines collectivités locales. De fait, ce mécanisme peut aboutir à accorder une subvention exorbitante à la construction de logements sociaux dans le cadre de programmes de collectivités disposant par ailleurs de réserves foncières propres.

Ainsi que le montre le référé de la Cour des comptes, ce constat vaut pour l’ensemble du territoire mais peut présenter une acuité particulière dans des zones tendues et, en tout premier lieu, à Paris. Ainsi, il ressort de plusieurs rapports parlementaires ([2]) que dans le cadre de trois opérations de construction de logements sociaux engagées depuis 2013 par la Ville de Paris, l’État a ainsi dépensé près de 37,3 millions d’euros pour 386 logements. S’il convient de ne pas méconnaître les efforts consentis par la collectivité parisienne, notamment dans l’exercice du droit de préemption qui peut être plus coûteux, l’usage de la décote n’en aboutit pas moins dans les opérations réalisées sur son territoire à une dépense d’environ 100 000 euros par logement social. Par comparaison, le coût de l’application du dispositif ailleurs sur le territoire national se limite à 16 000 euros. De fait, la décote comporte indiscutablement le risque de moins‑values importantes pour les finances publiques et, dans certaines circonstances, pourrait s’assimiler à un financement par l’État de la politique du logement des collectivités locales.

Sous certaines réserves, ce subventionnement pourrait se justifier s’il produisait des résultats. Or les derniers chiffres disponibles quant aux logements construits et aux cessions réalisés se révèlent bien deçà des objectifs initiaux. En février 2018, on dénombrait ainsi 7 798 logements construits ou programmés, dont 5 868 logements sociaux. 85 cessions avaient été réalisées, avec un taux global de décote de 58 % correspondant à un montant de moindres recettes estimé à un peu moins de 130,81 millions d’euros. C’est plus que les résultats communiqués en réponse aux questionnaires budgétaires qui faisaient état, au 1er août 2017, de la réalisation de 6 800 logements, dont 5 000 sociaux, avec des moins‑values pour le compte d’affectation spéciale de l’ordre de 115 millions d’euros et un taux de décote oscillant entre 12 % et 100 % de la valeur vénale des biens cédés.

Mais cela étant, ces chiffres ne traduisent en rien le choc d’offre qu’escomptaient les auteurs du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement social. Certes, la décote a pu permettre la réalisation de projets qui n’auraient pu aboutir sans la cession de bâtiments ou terrains de l’État à un prix inférieur à leur valeur vénale. Mais les analyses montrent souvent une mobilisation de moyens très coûteuse et parfois disproportionnée au regard du nombre de logements sociaux réalisés.

Du reste, suivant le mot même du ministre de l’action publique et des comptes publics devant la commission des finances, la décote place les services de l’État devant une injonction contradictoire, entre valorisation du patrimoine public et contribution à l’effort national en faveur du logement. En dehors de l’équilibre du compte d’affectation spécial, le montant des décotes consenties revêt une importance toute particulière pour certains ministères tels que celui des armées dans la mesure où le produit des cessions est destiné au financement de leurs équipements.

Dans ces conditions, il s’avère indispensable de réévaluer les conditions du recours à la décote et les modalités de calcul de son taux. Dans le cadre du projet de loi portant ELAN, le Gouvernement a proposé un certain nombre d’allégements ou de simplifications. La présente résolution vise à appuyer cette démarche en invitant le Gouvernement à prendre des dispositions de nature à garantir à un usage plus proportionné et pertinent de la décote applicable aux cessions de biens et actifs immobiliers du domaine privé de l’État.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution ;

Vu les articles 46, 54, 57 et 58 de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale ;

Vu la loi n° 2013‑61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social ;

Vu l’article R. 3211‑15 du code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le Référé de la Cour des comptes S2017‑3068 sur l’évaluation du dispositif de la décote sur le foncier en faveur du logement social.

Vu les travaux de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques le 30 mai 2018 ;

Considérant les conclusions du référé de la Cour des comptes d’octobre 2017 établissant que dans son dispositif actuel, la décote aboutit à une mobilisation excessive de moyens au regard des résultats obtenus dans la construction de logements, notamment sociaux ;

Considérant le caractère disproportionné des moins‑values consenties par l’État en vue de permettre la réalisation de certains projets de constructions de logement sociaux dans le cadre de projet portés par des collectivités territoriales ;

Considérant la fragilité des recettes sur lesquelles repose le financement de la politique immobilière de l’État, ainsi que l’impact de l’application de la décote sur l’équilibre financier du compte d’affectation spécial Gestion du patrimoine immobilier de l’État ;

1. Rappelle son attachement à une juste valorisation du parc immobilier de l’État et à un financement équilibré de l’effort national en faveur du logement ;

2. Estime nécessaire de mieux examiner les circonstances et conditions dans lesquelles le recours à la décote autorisée par la loi n° 2013‑61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement peut être de droit ;

3. Encourage le Gouvernement à réviser le dispositif réglementaire fixant les critères de calcul et les plafonnements de la décote, en prenant davantage en considération les réserves foncières dont disposent les collectivités territoriales ou établissements publics, ainsi que le coût moyen de construction des logements sociaux dans une aire urbaine donnée ;

4. Invite le Gouvernement à favoriser l’établissement d’un véritable contrôle financier a posteriori des opérations ayant donné lieu à la cession de biens immobiliers de l’État avec décote afin de s’assurer de la juste part des fonds propres des promoteurs ou aménageurs dans leur équilibre financier.


([1]) Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

([2]) Jean-Louis Dumont, Rapport n° 4125, annexe n° 29, Gestion des finances publiques, gestion du patrimoine immobilier de l’État, pp. 28 à 33.