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N° 1183

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juillet 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création dune commission denquête sur la politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Patrick HETZEL, Emmanuelle ANTHOINE, Thibault BAZIN, Valérie BAZIN‑MALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Jean‑Yves BONY, JeanClaude BOUCHET, Valérie BOYER, Xavier BRETON, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, Marie‑Christine DALLOZ, Rémi DELATTE, Fabien DI FILIPPO, Julien DIVE, Jean‑Pierre DOOR, PierreHenri DUMONT, Laurent FURST, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, Jean‑Carles GRELIER, Valérie LACROUTE, Sébastien LECLERC, Marc LE FUR, Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, Gilles LURTON, Jean‑Louis MASSON, Frédérique MEUNIER, Jean‑François PARIGI, Éric PAUGET, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Jean‑Luc REITZER, Martial SADDIER, Raphaël SCHELLENBERGER, Jean‑Charles TAUGOURDEAU, Arnaud VIALA, Stéphane VIRY,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le Professeur Israël Nisand et plusieurs professionnels de santé ont lancé un appel « solennel », le 15 juin 2018, pour alerter les pouvoirs publics sur la surexposition des enfants et des adolescents à la pornographie.

Ils réclament le respect de la loi qui interdit déjà la pornographie aux moins de 18 ans. Israël Nisand déplore aussi « Aujourdhui, cest le business qui prime. Les fournisseurs daccès ne peuvent pas, sous prétexte de la liberté du Net, saffranchir de la protection des mineurs. ».

La pornographie est devenue omniprésente dans notre vie quotidienne : le sexe est en permanence représenté, exhibé ou suggéré, sur les écrans de télévision, de cinéma ou d’ordinateur, dans les films ou la publicité pour les produits de la vie courante les plus anodins.

La conscience des effets de la pornographie sur les enfants et
les adolescents.

Pourtant, notre société a déjà pris conscience de son impact nocif et traumatisant sur les enfants et les adolescents. Le rapport de la Mission d’évaluation, d’analyse et de propositions relative aux représentations violentes à la télévision que Mme Blandine Kriegel a remis au ministre de la culture et de la communication, en novembre 2002, est sans ambiguïté à ce cet égard.

Concernant les enfants, ce rapport indique que « la réception dune image crue et brutale par le cerveau dun enfant qui sent confusément que se nichent là des tabous a autant deffet quun abus sexuel. » On peut y lire également que « pour se développer normalement, la sexualité a besoin détapes adaptées à la maturation psychique de lenfant ou de ladolescent. La représentation visuelle brutale ou répétée de scènes pornographiques à un stade trop précoce peut créer une émotion capable dinfluer sur le cours normal de lévolution du cerveau, perturber son équilibre intérieur et, en tout cas, imprimer durablement sa conception de la sexualité. Avant davoir acquis une maturité sexuelle, ladolescent peuple son imaginaire à partir de données tactiles agréables, de phrases lues, entendues ou chuchotées, dintonations de voix, de gestes saisis ici ou là, de regards significatifs et déchanges affectifs. Quand limage pornographique – doù quelle vienne – fait irruption dans sa conscience, son pouvoir émotionnel simpose demblée, sans représentation ni explication. Elle brûle ces étapes. Les psychologues et les médecins savent, de par leur exercice clinique, quelle obligera par la suite à corriger en permanence limage, voire à leffacer pour en limiter limpact. Pire, elle impose plus gravement que les mots, une certaine image de la sexualité. Elle donne une fausse représentation des hommes et surtout des femmes qui peuvent se sentir agressées. »

Il est également clairement établi que la pornographie vue par l’enfant peut le conduire à des comportements pervers puisqu’en effaçant les limites entre l’imaginaire et la réalité, en banalisant les scènes agressives et les actes interdits, voire en les érigeant en normes, on invite le spectateur à y participer, on lui donne l’illusion de l’avoir réalisé et d’avoir transgressé l’interdit : la transgression devient alors permise.

Un dispositif législatif et réglementaire étoffé.

Conscient des dangers que nous venons d’exposer, notre pays s’est doté d’un important dispositif législatif et réglementaire destiné à protéger les mineurs contre les images, messages ou contenus à caractère violent ou pornographique.

L’article 227‑24 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quen soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce dun tel message lorsque ce message est susceptible dêtre vu ou perçu par un mineur ».

L’article 14 de la loi n° 49‑956 du 16 juillet 1949 prévoit un dispositif de protection des mineurs dans le domaine des publications et l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 constitue la pierre angulaire du dispositif législatif et réglementaire de protection des mineurs en ce qui concerne les services de communication audiovisuelle, les pouvoirs de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur le contenu des programmes étant renforcés. L’article 32 de la loi du 17 juin 1998 applique, quant à lui, aux documents tels que vidéocassettes, vidéodisques ou jeux électroniques un dispositif inspiré de celui de la loi du 16 juillet 1949.

Enfin, faut‑il encore ajouter que la Commission de classification, qui relève du ministère de la culture et de la communication, visionne et émet un avis sur tous les films qui sortent en salle et sur leurs bandes‑annonces et qu’au vu de cet avis, le ministre de la culture délivre ensuite le visa qui peut être accompagné d’une interdiction en salle aux mineurs de 12 ans, de 16 ans, de 18 ans, ou encore d’un avertissement au public. Le refus de visa emporte interdiction totale de l’œuvre. L’article 5 du décret du 23 février 1990 précise que : « En cas de diffusion de lœuvre (qui fait lobjet dune mesure dinterdiction ou dune inscription sur la liste des œuvres à caractère pornographique) par un service de communication audiovisuelle, le public doit être préalablement averti de cette interdiction ou de cette inscription, tant lors du passage à lantenne que dans les annonces des programmes diffusées par la presse, la radiodiffusion et la télévision ».

Lexposition croissante des mineurs à la pornographie.

Malgré cet arsenal législatif et réglementaire, force est de constater que les mineurs sont de plus en plus exposés à la pornographie.

Une enquête de l’Ifop, publiée le 20 mars 2017 et réalisée sur un échantillon de 1 005 personnes représentatif de la population âgée de 15‑17 ans, révèle que pas moins d’un adolescent sur deux a déjà visionné une vidéo pornographique. La majeure partie des jeunes concernés sont des garçons, et le téléphone portable est le support de visionnage le plus répandu. Quant à l’âge moyen du premier visionnage, il est de 14 ans.

Au cours de leur vie, 52 % des 15‑17 ans (deux garçons sur trois et une fille sur trois) ont vu une vidéo pornographique, dont 18 % au moins une fois au cours des trois derniers mois, révèle cette étude commandée par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique.

Plus précisément, ce sont 63 % des garçons et 37 % des filles qui ont surfé au moins une fois sur un site pour y voir des films à caractère pornographique, 41 % des garçons et 27 % des filles ont vu une vidéo sur un support télévisuel et respectivement 28 % et 12 % d’entre eux ont déjà lu un magazine pornographique.

Un sondage Opinionway, publié en avril 2018, a montré que 62 % des jeunes adultes ont vu des images pornographiques avant 15 ans et parmi eux 11 % avant 11 ans.

Selon une récente étude confiée à IPSOS par le Fonds actions addictions, la Fondation pour l’innovation politique et la Fondation Gabriel Péri ([1]), un jeune de 14 à 24 ans sur cinq (et parmi eux, 15 % des 14‑17 ans) regarde de la pornographie au moins une fois par semaine, 9 % une fois par jour et 5 % plusieurs fois par jour. Et le phénomène touche plus particulièrement les garçons. Ils sont près d’un sur deux à en avoir déjà visionné, contre 28 % des filles. Les parents, eux, sous‑estiment largement la situation.

Ces données, pour le moins alarmantes, n’ont rien d’étonnant quand on considère la multiplicité des canaux par lesquels la pornographie atteint les mineurs :

– la télévision : films classés X ou « interdits aux moins de 16 ans » et autres films jouant avec l’univers pornographique et le banalisant,

– les DVD et les revues,

– l’écran d’ordinateur (à la maison, à l’école ou dans un cybercafé) : sites, photos ou vidéo explicitement classés X (sollicitations involontaires ou recherche volontaire de sites) ou univers pornographique présent ou proposé (dialogues, messagerie instantanée, chats, blogs, sites, grands portails,…),

– le téléphone et le téléphone portable : numéros téléphoniques de « dialogues » pornographiques, images et vidéos pornographiques téléchargeables sur les téléphones mobiles et accès internet sur les appareils de la nouvelle génération,

– MP3, ipods : films X téléchargeables au format spécifique, paroles et clips de certaines chansons baignées dans l’univers porno,

– La radio : émissions de libre antenne du soir, publicités pour la téléphonie pornographique, stars du X à l’antenne en pleine journée,

– La presse grand public : banalisation de la pornographie, articles à connotation érotique,

– Les publications postées : mailings de publicités spécifiques pour du matériel pornographique par exemple.

Dans cet inventaire, il convient d’insister tout particulièrement sur la surexposition des mineurs à la pornographie générée par Internet, qu’il s’agisse des moteurs de recherche sur lesquels même les requêtes les plus banales peuvent susciter des résultats peu conformes à l’objet initialement recherché : les requêtes lancées sur le mot clé « fille » ou « garçons » peuvent rapporter, au gré des indexations, de nombreux sites à caractère pornographique, par exemple.

Moins encore qu’aucun autre dispositif publicitaire ayant cours sur l’Internet, les messages électroniques publicitaires non sollicités, expédiés le plus souvent sur la base d’adresses collectées dans les espaces publics de l’Internet, ne ciblent pas le public qu’ils atteignent, et risquent de toucher massivement un jeune public. Celui‑ci est d’autant plus susceptible d’être heurté par le contenu de ces messages que ces derniers paraissent personnellement adressés à leurs destinataires.

La nécessité de refonder la politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie.

Dans ces conditions, un certain nombre de questions méritent d’être posées : le dispositif législatif et réglementaire actuel de protection des mineurs contre la pornographique est‑il appliqué ? est‑il adapté ? doit‑il évoluer, et le cas échéant, comment ? Que font les parents ? Peut‑on les aider à mieux protéger leurs enfants, et par quels moyens ? Que font les acteurs économiques (éditeurs, opérateurs téléphoniques, fournisseurs d’accès, etc…) pour la protection des mineurs ? Les dispositifs techniques visant à limiter l’accès des enfants et des adolescents à la pornographie sont‑ils efficaces ? Peuvent‑ils être améliorés ? Que font nos partenaires européens et étrangers en la matière ? En particulier à l’heure de la mondialisation et des images satellites, qu’est‑ce qu’une protection efficace des mineurs contre la pornographie ?

Telles sont les principales questions auxquelles devra répondre la commission d’enquête. Au demeurant, pourquoi une commission d’enquête ? Pour y voir clair sur un sujet, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, dans une société démocratique qui doit sans cesse concilier la liberté et la nécessaire protection de ses membres les plus vulnérables. Et pour définir les éléments indispensables (juridiques, techniques, scientifiques, budgétaires et matériels) d’une ambitieuse politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’évaluer le dispositif législatif et réglementaire en vigueur pour protéger les mineurs contre la pornographie ;

– d’établir quels sont les moyens techniques permettant d’atteindre une plus grande efficacité dans la protection des mineurs ;

– et de définir les outils indispensables d’une politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie à la hauteur des enjeux.


([1]) Enquête réalisée entre le 30 mars et le 5 avril 2018. L’échantillon se décomposé en 3 parties : 2005 individus âgés de 18 ans et plus, 1 000 jeunes de 14 à 24 ans et 402 parents d’enfant de 14 à 24 ans.