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N° 1360

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 novembre 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

exprimant aux combattants et au peuple français la gratitude de la Nation à loccasion du Centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale et formulant des vœux de paix durable,

présentée par Mesdames et Messieurs

Philippe GOSSELIN, Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Julien AUBERT, Sophie AUCONIE, Nathalie BASSIRE, Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, JeanYves BONY, Ian BOUCARD, JeanClaude BOUCHET, Valérie BOYER, Guy BRICOUT, Bernard BROCHAND, Moetai BROTHERSON, Fabrice BRUN, Sébastien CHENU, Gérard CHERPION, Paul CHRISTOPHE, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, MarieChristine DALLOZ, Bernard DEFLESSELLES, Claude de GANAY, Laure de LA RAUDIÈRE, Charles de la VERPILLIÈRE, Rémi DELATTE, Stéphane DEMILLY, Marguerite DEPREZAUDEBERT, Vincent DESCOEUR, Julien DIVE, Virginie DUBYMULLER, JeanJacques FERRARA, Nicolas FORISSIER, Laurent FURST, Patricia GALLERNEAU, Laurent GARCIA, Annie GENEVARD, JeanCarles GRELIER, Meyer HABIB, Yannick HAURY, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Mansour KAMARDINE, Yannick KERLOGOT, Sonia KRIMI, Brigitte KUSTER, Valérie LACROUTE, JeanChristophe LAGARDE, Jérôme LAMBERT, Marc LE FUR, Constance LE GRIP, Marine LE PEN, Sébastien LECLERC, Maurice LEROY, David LORION, MarieFrance LORHO, Véronique LOUWAGIE, Lise MAGNIER, Emmanuel MAQUET, Denis MASSÉGLIA, JeanLouis MASSON, Emmanuelle MÉNARD, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Christophe NAEGELEN, Jérôme NURY, Ludovic PAJOT, Bertrand PANCHER, JeanFrançois PARIGI, Éric PAUGET, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Nadia RAMASSAMY, Robin REDA, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Vincent ROLLAND, Martial SADDIER, Maina SAGE, Éric STRAUMANN, JeanCharles TAUGOURDEAU, Laurence TRASTOURISNART, Nicolas TURQUOIS, Pierre VATIN, Michel VIALAY, Philippe VIGIER, Stéphane VIRY, Martine WONNER,

députés.

 

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que le 11 novembre 2018 marque le centième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale ;

Considérant que de par son importance, ses implications et ses conséquences, au‑delà de tout ce que le monde avait connu alors, la Grande Guerre transforma un conflit militaire classique en un conflit mondialisé impliquant autant les armées que les civils dans l’effort de guerre. Qu’il fit, au moins, 20 millions de morts civils et militaires ;

Considérant que la Grande Guerre, devenue totale durant le conflit, entraîna des changements géopolitiques majeurs qui bouleversèrent le XXe siècle et marqua même l’entrée dans ce siècle. Ainsi, en l’espace de quatre années, véritable maelström humain, politique et géographique, Romanov, Habsbourg ou Hohenzollern sont écartés du pouvoir et laissent place au siècle des grandes idéologies destructrices ;

Considérant que depuis la disparition en 2008 du dernier vétéran français, Lazare Ponticelli, il ne subsiste aucun témoin militaire direct de l’âpreté des combats ;

Considérant que des millions de soldats français de tous horizons et de tous les continents ont été mobilisés et qu’un grand nombre des familles de notre pays, ou de territoires qui l’avaient été, à l’instar de l’Alsace‑Moselle, furent douloureusement touchées par la guerre.

Considérant cependant que pour les très jeunes générations, ce passé est désormais trop lointain pour être évoqué directement par des grands‑parents ou des arrières grands‑parents. Que les traces de la Grande Guerre sont désormais de plus en plus diffuses dans les mémoires familiales ;

Considérant que la nature immatérielle de cette mémoire est heureusement comblée par d’abondants témoignages concrets et saisissants de la Grande Guerre sous la forme de récits, de lettres, émanant de simples soldats ou d’officiers, de civils, d’écrivains combattants comme Péguy, Apollinaire, Genevoix, Barbusse, Cendrars… Que subsistent également des photographies, des films d’archives, ainsi que des lieux de mémoire tels que des cimetières, des ossuaires dont celui de Douaumont, de multiples vestiges, des objets retrouvés dans les tranchées, fragments de vie parfois devenus reliques familiales, et qui constituent un témoignage poignant et unique. Que sont conservées des infrastructures comme la Voie Sacrée, qui par le rôle primordial qu’elle a joué, participe elle aussi au devoir de mémoire ;

Considérant que la Grande Guerre vit toutes les puissances coloniales mobiliser ceux que l’on appelait alors les contingents d’indigènes pour renforcer leurs rangs. Que dès août 1914, le haut‑commandement français fit appel à l’engagement dans ses colonies, appel relayé par le député du Sénégal Blaise Diagne, qui appela « les populations africaines au loyalisme patriotique, au rassemblement sous les plis du drapeau de la « Mère Patrie ». »

Considérant qu’outre 134 000 tirailleurs sénégalais mobilisés souvent en première ligne – comme le rappelle le beau poème « Aux Tirailleurs Sénégalais morts pour la France » de L.S. Senghor ‑ les troupes coloniales venues du Niger, du Mali, d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de Mauritanie, de Djibouti, de Guyane, d’Indochine, des îles du Pacifique, de tant de territoires ultramarins, rassemblèrent près de 600 000 soldats indigènes dont la mémoire doit être à jamais gardée, dans des régiments figurant parmi les plus décorés de l’Armée française et qui versèrent ainsi un lourd « impôt du sang », sangs mêlés dans un terreau commun qui nourrit la victoire ;

Considérant que le conflit de 1914‑1918, s’il reste fondamental dans notre sentiment d’appartenance à la collectivité nationale, revêt aujourd’hui pour beaucoup de Français d’origine étrangère une signification particulière, celle de la réappropriation d’une mémoire, d’un héroïsme patriotique vécu dans le sang et désormais fondateur d’identité ;

Considérant que la Grande Guerre fut une longue et lancinante guerre de position, que les combattants français, baptisés « poilus », affrontèrent l’enfer des tranchées où la boue, la vermine, les rats, les pluies glacées et la peur permanente furent un enfer inimaginable. Qu’à l’inverse de toutes les guerres précédentes, où le soldat affrontait l’ennemi debout, les déluges de feu embrasant les champs de bataille obligèrent les poilus à se coucher, à se terrer comme des bêtes, à presque disparaître, souvent sous les corps déjà sans vie de leurs camarades. Pierre Benoit, jeune écrivain combattant, rédigea ces mots déchirants en décembre 1914, deux jours avant sa mort : « Aucun tableau ne pourrait vous donner une idée, même approchante, de cette vie de tranchées. Figurezvous des êtres humains vivant, pendant des semaines, dans des trous, comme des taupes, et ne sortant la tête de leur tanière que la nuit venue. Voilà où nous a réduits cette belle invention des armes perfectionnées. Le canon fait rage autant presque la nuit que le jour et les balles sifflent plus drues que la grêle. »

Considérant que durant cette période, l’industrie de l’armement marqua un grand progrès technologique, symbolisé par les redoutables gaz asphyxiants utilisés par les Allemands dès 1915. Que les obus et les tirs d’artillerie, devenus plus précis, occasionnèrent des blessures d’une gravité sans précédent. Que les soldats qui ne succombèrent pas restèrent pour la plupart mutilés, défigurés, sourds ou aveugles. Que pour ces « gueules cassées », qui se comptaient par millions, malgré les progrès remarquables de la médecine et de la chirurgie, les ravages de la guerre ne s’arrêtaient pas au corps. Pour tous ces hommes en pleine jeunesse, ce fut une grande souffrance morale, un traumatisme irréversible ;

Considérant que parmi les grandes batailles comme celles d’Ypres, des Dardanelles ou du Chemin des Dames, si la plus meurtrière fut la bataille de la Somme, c’est le terrible et lancinant combat livré pour défendre Verdun qui entra dans l’Histoire. Verdun, avec plus de 37 millions d’obus tirés et 200 kilomètres de tranchées où on combat au coude à coude, c’est la bataille de la Grande Guerre. « Ils ne passeront pas », avait dit Joffre. Ils ne sont pas passés. Verdun reste le symbole du courage, de la résistance et de la ténacité des armées françaises. Avec Verdun, c’est toute la France, dans les familles et dans presque chaque village, qui a tremblé, qui a été fière, mais qui a aussi pleuré ses martyrs. Tout autant qu’à Valmy, c’est à Verdun que s’est faite l’unité de la France et de la République, parce c’est à Verdun que toute la France s’était rassemblée ;

Considérant que si des mutineries ont été menées contre l’incohérence de certaines offensives, les soldats ont tenu bon au milieu de l’horreur par la force de leur patriotisme. Comme le soulignait Maurice Genevoix dans Ceux de 14 : « Ce que nous avons fait, cest plus que ce lon pouvait demander à des hommes. »

Considérant que la violence de masse, qui touchait avant tout les soldats du front, n’épargna pas non plus les civils du Nord et de l’Est de la France principalement : destructions, pillages, persécutions et massacres furent un lot trop régulier ;

Considérant que pour pallier l’absence de main d’œuvre due à la mobilisation des hommes, les femmes françaises firent preuve d’un patriotisme remarquable. Dès le mois d’août 1914, elles sont déjà aux champs, aux labours avant même de répondre à l’appel lancé par René Viviani, Président du Conseil : « Debout donc femmes françaises, jeunes filles et fils de la Patrie ! Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille. (…) il ny a pas dans ces heures graves de labeur infime, tout est grand qui sert le pays. (…) il y aura demain la gloire pour tout le monde. » Marraines de guerre, chargées de tâches administratives, « munitionnettes » dans les usines d’armement, assurant les travaux agricoles, la gestion de commerces, la conduction des tramways, elles participèrent aussi directement au conflit en s’engageant dans les hôpitaux militaires ;

Considérant que cette guerre a sacrifié une génération entière laissant plus de 600 000 veuves et plus d’un million d’orphelins, souvent en quête de repères, devant vivre hors l’absence d’un défunt souvent érigé en modèle ; 

Considérant qu’après 4 années d’anéantissement et de ruines, les Nations, dans une volonté commune de paix, furent à l’origine de la création de la Société des Nations (SDN), qui préfigura l’Organisation des Nations Unies (ONU), destinée à prévenir tout nouveau conflit ;

Considérant que cette résolution s’inscrit dans une démarche d’unité et de fraternité, et qu’elle doit constituer un geste politique fort pour notre pays ;

Considérant que bien que franco‑française, son message de paix, par sa portée universelle, s’adresse à tous les citoyens du monde ;

1. Demande que soit rappelée la place exceptionnelle de ce conflit dans la mémoire, la conscience et les représentations collectives de la France.

2. Souhaite qu’à cette occasion, la Représentation nationale exprime sa gratitude envers l’héroïsme des combattants français métropolitains ou de ceux venus de ce qu’on appelait alors l’Empire, de leurs alliés, ainsi que sa reconnaissance envers le Peuple français pour sa bravoure et son soutien à l’effort de guerre.

3. Souhaite que cette commémoration rappelle la nécessité d’une Europe unie, bâtie sur la réconciliation et l’amitié entre les peuples.

4. Souhaite que la commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale, si elle célèbre une victoire, constitue avant tout un message de paix, à vocation universelle, à l’heure où le monde est confronté au terrorisme, nouvelle forme de guerre.

5. Rappelle que tout ce qui inscrit ce conflit dans l’histoire mondiale relève d’un héritage dont nous, citoyens français, sommes les comptables et dépositaires, véritables passeurs de mémoire entre les générations et les peuples.