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N° 1553

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à proposer un moratoire international
interdisant la modification génomique,

présentée par

Mme MarieFrance LORHO,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’édition génomique est une technique visant à modifier l’ADN d’un être vivant aux premiers stades de son existence. Si les modifications portées sur l’enfant à naître visent en premier chef ce dernier, elles se reportent néanmoins également sur sa descendance, affectant plusieurs générations. Pour l’heure, la création d’un embryon génétiquement modifié, notamment dans le but d’induire une grossesse, est « interdite et illégale en France », ainsi que le rappelait le Professeur Hervé Chneiweiss, président du Comité d’éthique de l’Inserm([1]). Néanmoins, malgré des interdictions à travers le monde, cette technique semble se déployer et l’idée éventuelle de son recours gagner du terrain. Depuis quelques années, la méthode dite « CRISPRCas 9 », méthode de génie génétique capable de cibler et de couper l’ADN pour modifier un gène ‑ soit un morceau d’ADN([2]), est de plus en plus visible.

I. L’édition génomique : une technique intolérable à l’échelle éthique

1) Crispr‑Cas 9 : une technique aisée à mettre en œuvre

De nombreuses techniques de modification du génome existent : l’une des plus connues est la technique CRISPR‑Cas 9 ; il en existe néanmoins un certain nombre, puisqu’après la technique Crispr‑9, découverte en 2012, des dizaines d’autres systèmes de ce type ont été découverts. Permettant de modifier des cellules de tout type d’espèces (végétale, animale, humaine) en en coupant de manière ciblée l’ADN, Crispr‑Cas 9 permet à la communauté scientifique d’éliminer ou remplacer le gène ; cette technique facile à appliquer peut être mise en œuvre pour un coût très faible. En France, des chercheurs ont tenté, dès 2012, de mettre cet outil biotechnologique à la portée de tous. Dans la filière agricole, ces modifications se sont traduites à travers le monde par la création de modifications génétiques sur des animaux, pour encourager la rentabilité de la production bovine. Les espoirs soulevés par la thérapie génique pour guérir certaines maladies génétiques ou des pathologies liées à des mutations génétiques risquent d’encourager son recours à travers le monde ; aux États‑Unis, l’agence biomédicale américaine (NIH) s’est ainsi vue pouvoir de 190 millions de dollars en six ans pour accélérer le développement des thérapies utilisant la modification du génome([3]). Si ces modifications génomiques ne concernent pas les gamètes et l’embryon, il est nécessaire de rester vigilant quant à son usage, tant sur les cellules somatiques (les cellules adultes) que pour les êtres humains à naître. Pour l’expérimentation sur les cellules embryonnaires, un tel emploi encouragerait la création de « bébés sur mesure », pour reprendre l’expression de Blanche Streb dans son ouvrage éponyme.

2) Une expérience sur l’enfant à naître

La modification génomique sur l’enfant à naître vise essentiellement à aboutir à la naissance d’enfants porteurs d’une mutation visant à les protéger contre des « déficiences » souvent infectieuses. En Chine (voir II‑1 de la présente proposition de loi) deux jumelles ont fait l’objet d’une telle modification dans un motif contestable : l’objectif était d’aboutir à la naissance d’enfants porteurs d’une mutation visant à les protéger contre l’infection par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) chez des couples infertiles où seul l’homme était infecté. En somme, il s’agissait de rendre, à partir d’un embryon préalablement modifié avant d’être implanté dans l’utérus de la mère suivant une procédure de fécondation in vitro, les bébés nés d’un père séropositif résistants au virus du Sida. Même parmi les tenants des modifications ciblées du génome, une telle expérience n’est éthiquement pas légitime pour un cas de lutte contre l’infection. « Neutraliser le gène CCR5 pour créer une résistance au VIH ne constitue pas une raison particulièrement forte pour modifier lhérédité dune personne et encore plus dun bébé », a ainsi souligné Hervé Chneiweiss, qui ne semble pourtant pas opposé à toute technique de modification génomique qu’il qualifie de puissante et utile. À l’échelle éthique, la modification de l’hérédité d’un enfant à naître est intolérable : elle constitue une expérience sur un être humain dans la perspective d’engendrer une personne dépourvue de déficiences. A l’heure où il est devenu possible de modifier un ou plusieurs gènes à un embryon humain, la possibilité de l’implanter dans un utérus pour faire naître un bébé génétiquement modifié constitue une forte probabilité. Cette volonté d’améliorer l’espèce humaine à l’aide de la technologie génétique constitue ni plus ni moins une aspiration eugéniste, qu’il est nécessaire de combattre avant qu’il n’en soit banalisé l’usage.

II. La banalisation de l’expérience sur l’homme

1) Un précédent inacceptable en Chine

En Chine, malgré la directive ministérielle de 2003, destinée aux cliniques de fécondation in vitro interdisant la création d’un embryon génétiquement modifié, le professeur He Jiankui, chercheur et professeur associé à l’université des sciences et technologies du sud de la Chine (SUSTC) de Schenzen[4], aurait ainsi modifié le génome de 16 embryons avec la technologie d’édition de gènes Crispr‑Cas 9, donnant naissance aux deux premiers génétiquement modifiés – deux jumelles. « Au total, a déclaré le professeur sur une plateforme en ligne, 16 embryons sur 22 ont été édités et 11 ont été utilisés lors de 6 tentatives dimplantation avant de parvenir à la grossesse des jumelles ». Si les faits ne sont pas encre avérés, l’expérience a bien été répertoriée sur le site chinois d’enregistrement des essais cliniques([5]).  Si la SUSTC a dénoncé une expérience violant « léthique et les codes de la conduite académique » et décidé de la constitution d’un comité d’experts internationaux indépendants pour enquêter sur cette manipulation, il est nécessaire de s’interroger sur la manière dont une telle expérience a pu advenir sur un territoire où elle était pourtant interdite.

2) Des cas européens

La Chine n’a pas le monopole de ce type d’expérimentations : l’Autorité britannique de la fertilisation humaine et de l’embryologie a autorisé une équipe de scientifiques à s’adonner des manipulations génétiques sur l’embryon humain. En Suède, comme aux États‑Unis, ce type de recherches seraient en cours. En juillet 2018, un conseil « d’experts » du Nuffield Council on Bioethics a remis un rapport relatif à la modification génétique des futures générations dans une perspective de lutte contre certaines maladies mais également dans le but de pouvoir choisir la couleur des yeux ou des cheveux de l’enfant à naître. « Même sil existe encore des incertitudes sur ce que peut permettre la modification du génome (…), nous avons conclu que son utilisation dans le but dinfluencer les caractéristiques des futures générations nétait pas inacceptable en soit », a souligné le professeur Karen Yeung, issue du conseil d’experts. Au prétexte de modifier les caractéristiques physiques d’un enfant à naître, le conseil britannique n’hésitera donc pas à avoir recours à une technique qui modifie non seulement un être humain mais affecte les générations à venir engendrées par celui‑ci.

III. Une communauté scientifique inquiète

1) Des professionnels pour la création d’un moratoire

À l’aube de la loi de révision bioéthique, la question de la modification génomique demeure largement méconnue ; peu débattue durant les états généraux de la bioéthique, elle inquiète pourtant les membres de la communauté scientifique.  Nombreux parmi eux sont ceux qui souhaitent créer un moratoire pour interdire la modification génomique([6]). En octobre 2015, le Comité International de bioéthique de l’UNESCO a appelé à un moratoire sur les techniques de modification de l’ADN des embryons humains et des cellules reproductrices humaines. Le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies a également indiqué la nécessité d’un tel moratoire. Le Center for Genetics and Society a, pour le cas des États‑Unis, évoqué l’importance de renforcer l’interdiction de ces pratiques. L’un des inventeurs de Crispr‑Cas 9, Mme Jennifer Doudna, a également fait connaître ses inquiétudes quant à cette technique.  Le Président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français a fait part de ses interrogations quant aux effets de cette technique sur la santé([7]). Comme le soulignait ce membre de la communauté scientifique, les précédents en la matière, comme la banalisation de son recours éventuel, « risqu[ent] dentraîner la planète dans une compétition morbide où lintérêt financier supplantera lintérêt public ». Si le cas chinois est avéré, a‑t‑il ajouté, « nous serons contraints de suivre le mouvement ». C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi vise à proposer la création d’un moratoire international interdisant la modification génomique.

2) Quelles contraintes pour la modification génomique ?

Unique instrument juridique contraignant, la Convention d’Oviedo est en Europe un outil de protection à l’échelle biomédicale. L’article 13 dispose « une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle na pas pour but dintroduire une modification dans le génome de la descendance. » Ratifié par la France, cet article est insuffisant et doit être renforcé. En France, la loi Santé permet dans certains cas la recherche sur des gamètes ; la formulation employée par le texte de loi du 26 janvier 2016, qui indique que ces modifications peuvent être appliquées dans le but « de prévenir ou soigner des pathologies chez l’embryon » est insuffisante pour protéger l’enfant à naître d’éventuelles manipulations sur son ADN.

Conclusion

Les modifications génétiques opérées sur l’embryon constituent une expérience sur l’être humain inacceptable. À l’échelle éthique, elles engendrent un phénomène grave et irréversible pour notre société : la création de « bébés sur mesure ». Ces « bébés OGM », en partie façonnés par des scientifiques, verront les générations qu’ils auront engendrées affectées par les modifications génétiques dont ils ont fait l’objet. Les récentes tentatives d’application de ces mutations à travers le monde laissent craindre le pire quant à l’avenir de ce processus. Or, les instruments juridiques pour lutter contre ce phénomène sont amplement insuffisants. Il est essentiel de se doter de moyens importants pour lutter contre celui‑ci. C’est l’objet de cette proposition de résolution, qui prévoit, suivant les prescriptions de nombreuses institutions scientifiques, de créer un moratoire international interdisant toute procédure de modification génomique.

 


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Invite le Gouvernement à proposer un moratoire international interdisant toute procédure de modification génomique.


([1]) Le Figaro, 27.11.2018, Un chercheur chinois a-t-il vraiment fait naître deux bébés génétiquement modifiés.

([2]) Définition issue de STREB, Blanche, Bébés sur mesure, le monde des meilleurs, Artège. Mai 2018.

([3]) STREB, Blanche, op. cit. p .134.

([4]) Il est important de souligner que le professeur a été mis en disponibilité jusqu’en janvier 2021. Op. Cit.  

([5]) Sous le numéro ChiCTR1800019378 ; en date du 8 novembre 2018. Op. Cit.

([6]) Voir Edward Lanphier, Fyodor Urnov, Sarah Ehlen Haecker, Michael Werner, Joanna Smolenski, Don’t edit the human germ line, Nature, 12.03.2015.

([7]) On ne sait pas si cette technique est sans danger pour la santé », a souligné Israël Nisand. L’Humanité, 27.11.2018. Les bébés OGM, bientôt une réalité ?