Description : LOGO

N° 1556

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 décembre 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la fraude
aux prestations sociales,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme MarieFrance LORHO,

députée.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La fraude aux prestations sociales creuse chaque année le déficit budgétaire de l’État : en 2017, sur les 67,8 milliards d’euros de déficit, la fraude aurait représenté près de 20 % du déficit annuel ([1]). Selon Charles Prats, magistrat et ancien membre de la Délégation nationale de lutte contre la fraude, les fraudes à la sécurité sociale affecteraient les différentes branches des prestations fournies, des prestations maladie à celles concernant la vieillesse ou la famille. Le manque à gagner pour l’État s’élèverait pour la seule année 2017 aux alentours de 13 milliards, voire 14 milliards d’euros. L’absence de contrôle parlementaire sur ce sujet constitue une lacune grave, constatée au cours de plusieurs majorités successives ([2]). En regard de la teneur des fraudes aux prestations sociales en France, la faiblesse des moyens déployés pour lutter à leur encontre est alarmante.

I. – Fraudes aux prestations sociales : quelle teneur de la fraude ?

A.  Croissance de la fraude

En 2010, en France, la fraude à l’assurance maladie aurait coûté à notre pays près de 10,576 milliards d’euros, si l’on en croit le rapport 2009‑2010 de l’European Healthcare fraud & corruption network ([3]) ; cette année‑là, les dépenses totales de santé atteignaient les 189 190 millions d’euros. De même, le rapport 2014 de la Délégation nationale de la lutte contre la fraude pour l’année 2014 est sans appel quant à la nature multiple et croissante de la fraude aux prestations familiales : l’estimation du montant de la fraude aux prestations familiales aurait ainsi atteint plus de 1,3 milliard d’euros pour la seule année 2013 ([4]). Le Comité national de lutte contre la fraude a quant à lui noté une augmentation de 18,22 % de 2014 à 2015 du montant des fraudes détectées ‑ soit un montant de 247,8 millions d’euros en 2015 ‑ arguant d’une meilleure efficacité de ses méthodes d’investigation ([5]). Sur la même fourchette de temps, la Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a détecté davantage de fraudes concernant l’assurance maladie de l’année 2014 à 2015 ‑ augmentation de 18 %, passant d’un montant d’un montant de 196,2 millions d’euros à 231,5 millions d’euros. En grande partie, la fraude détectée concernait l’usurpation d’identité (pour près de 50 % des cas) et les prestations aux médicaments (31 % des cas). En 2017, les fraudes aux prestations sociales connaissaient une hausse nette : ce sont près de 45 000 personnes qui auraient cherché à tromper la Caisse d’allocations familiales (CAF) pour un montant de 300 millions d’euros ([6]).

B.  Nature des fraudes : le cas alarmant de la fraude aux documents

Depuis 2010, la fraude à l’immatriculation au sein de notre système social constitue un sujet d’inquiétude majeur. Les numéros d’identification au répertoire (NIR), concédés manuellement par la Caisse nationale d’assurance vieillesse pour les demandeurs de prestations de nationalité étrangère ou les Français nés à l’étranger, font l’objet d’un véritable trafic s’appuyant sur de faux documents. Plusieurs numéros peuvent ainsi être attribués à un même demandeur. En 2011, la Délégation nationale de lutte contre la fraude estimait à 1,8 million le nombre de numéros d’identification au répertoire appuyés sur de faux documents ‑ soit près de 10,4 % de numéros de sécurité sociale fondés sur des documents falsifiés. Le gel du paiement des prestations aux personnes ayant obtenu une attribution falsifiée d’un numéro de sécurité sociale, validé par le Conseil d’État en 2012, a été abandonné à l’avènement de la nouvelle majorité présidentielle. En 2016, le Gouvernement soulignait que seuls 500 dossiers sur les 1,8 million détectés frauduleux avaient été examinés ([7]).

II. – Défaillance des dispositifs de lutte contre la fraude

A.  Une lutte contre la fraude molle

Les différentes alertes lancées par le magistrat Charles Prat n’ont pas reçu de réponse étayée, tant de la part de la Direction de la Sécurité sociale (DSS) que de celle de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Les deux organismes assurent en effet qu’une fraude de l’ampleur de celle décrite par le magistrat est « impossible ». De même, l’absence de réponse produite par les gouvernements successifs au Sénateur Goulet sur cette question depuis plusieurs années est alarmant et révèle les difficultés des gouvernements successifs à mener des évaluations sérieuses sur sa politique de dispense des prestations sociales et de lutte contre la fraude. En 2011, la Délégation nationale à la lutte contre la fraude avait dressé le bilan de l’enquête menée par des services policiers sur 2 056 dossiers sociaux. Sur les 10,4 % de faux dossiers identifiés, 80 % auraient copié des papiers marocains, algériens, congolais et maliens. Les comptes des Français nés à l’étranger seraient particulièrement sujets à la fraude, concernant près de 1,8 million de dossiers sur les 17,6 millions de comptes, soit un taux de près de 10,2 %. Si la Direction de la Sécurité Sociale assure qu’un audit a été mené sur les comptes étrangers et que 500 000 comptes à risque auraient été écartés, l’organisme ne semble pas communiquer sur ses résultats. Pour l’année 2016, le nombre de contrôles est par ailleurs particulièrement bas, s’élevant à peine au nombre de 2 000.

B.  Une lutte contre la fraude sociale inefficace

Les cas de fraudes avérés sont d’ailleurs combattus de manière molle par le système judiciaire français. Au mois de février dernier, une fraude d’un Algérien qui s’était fait passer pour un Irakien auprès de la Caisse des allocations familiales du Bas‑Rhin avait atteint à elle seule les 32 000 euros d’allocations ‑ allocation adulte handicapé et allocations logement ‑ en deux ans et demi. Le tribunal correctionnel de Strasbourg a relaxé l’homme, au motif que « ladministration savait quil y avait une incertitude sur son identité » ([8]) et la demande de remboursement des sommes versées de la CAF a été déboutée.

Dans son dernier rapport public annuel, la Cour des comptes a révélé l’absence d’efficacité des moyens déployés dans la lutte contre la fraude aux cotisations sociales. Si elle notait en 2014 « la modestie des redressements notifiés » et avait recommandé le renforcement des investigations, des sanctions et des redressements financiers en la matière, elle s’est alarmée de l’insuffisance des progrès obtenus en quatre ans, engendrant la fuite de « pans entiers de prélèvements sociaux » face à toute mesure de contrôle. Pour la Cour des comptes, il conviendrait d’harmoniser les moyens de la lutte contre la fraude des services fiscaux avec ceux des organismes des prestations sociales. Par ailleurs, il serait judicieux de renforcer le nombre de contrôles menés : en effet, le trop petit nombre de démarches d’évaluation opérées (77 actions seulement ont été menées pour l’année 2016 contre le travail illégal ([9])) engendre une perte de « dizaines de milliards deuros de cotisations sociales », si l’on en croit la Cour.

Conclusion

En France, les aides sociales atteignaient pour la seule année 2016 près de 714 milliards d’euros, si l’on en croit la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques ([10]). Ce taux – 32 %, qui représente près d’un tiers du produit intérieur brut français, dépasse de 10 % la moyenne de l’OCDE. En effet, les pays européens consacrent environ 22 % de leur PIB à ces prestations. Les ressources considérables déployées pour les aides sociales nécessitent qu’une lutte efficace contre la fraude y ayant trait soit menée. C’est l’objectif de cette proposition de résolution, qui propose l’ouverture d’une commission d’enquête visant à déterminer avec exactitude la teneur des fraudes aux prestations sociales afin de les combattre avec efficacité.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée de faire un état des lieux sur l’ampleur des fraudes aux prestations sociales.


([1]) Si l’on en croit le magistrat Charles Prats. Voir Le Figaro, l’État laisse-t-il passer des milliards d’euros de fraudes aux prestations sociales, 21.12.2018.

([2]) Notamment par le Sénateur UDI-UC Nathalie Goulet. Le Figaro. 21.12.2018. Op. cit.

([3]) EHFCN annual report 2009-2010. Voir graphique page 11.

([4]) Délégation nationale de lutte contre la fraude, bilan 2014, voir tableau p. 15. « Estimation de la fraude aux prestations servies par la branche famille ».

([5]) Voir Comité National de lutte contre la fraude, 14.09.20180 Dossier de presse. p. 23. Le constat d’efficacité quant aux méthodes d’investigation sera néanmoins remis en doute par le rapport 2018 de la Cour des Comptes.

([6]) RTL. 26.04.2018. Les fraudes aux prestations sociales en hausse.

([7]) Médiapart, Charles Prats, 1.12.2018. Urgence Gilets jaunes : 14 milliards d’euros demain en luttant contre la fraude fiscale.

([8]) Dernières nouvelles d’Alsace, 12.02.2018. 32 000 euros d’allocations perçus avec une fausse identité, le prévenu relaxé.

([9]) Voir Le Figaro. 07.02.2018. Une lutte contre la fraude sociale défaillante et inefficace.

([10]) Le Figaro. 13.06.2018. Les aides sociales représentent un tiers du PIB, un record mondial.