N° 1565
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 janvier 2019.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Sébastien JUMEL, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC,
Député-e-s.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Près de 340 000 enfants et adolescents handicapés sont aujourd’hui scolarisés dans le premier et le second degrés, dont 260 000 en milieu ordinaire. Si ce nombre a été multiplié par trois en dix ans témoignant d’un indéniable progrès, l’accès à l’école de la République des enfants en situation de handicap dans des conditions satisfaisant aux objectifs de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, reste problématique dans notre pays.
Le texte fondateur de 2005, dont le but est l’inclusion en milieu ordinaire, définissait trois champs de l’intervention médico‑sociale : la scolarité, le travail, la vie quotidienne et posait le principe d’un droit à la scolarisation pour tout jeune en situation de handicap.
Malgré les mesures annoncées au printemps 2018 par le Gouvernement dans la continuité de celles adoptées sous le quinquennat Hollande, la dernière rentrée scolaire a une nouvelle fois mis en lumière l’écart important qui subsiste entre les ambitions du législateur de 2005 ‑ renforcées par la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école qui consacre le principe d’inclusion scolaire ‑ et la réalité vécue sur le terrain par les enfants et adolescents handicapés, leurs familles et la communauté éducative.
Un droit à l’école de la République dans les textes, à conquérir dans les faits
Le droit à l’école de la République pour les enfants handicapés contenu dans les textes n’est que partiellement et imparfaitement appliqué, en dépit des progrès quantitatifs incontestables de l’inclusion scolaire au cours de la dernière décennie sous l’effet de la loi de 2005. Et la demande sociale d’un accompagnement et d’une approche qualitative des moyens permettant une inclusion réussie perdure à un niveau élevé, comme l’attestent les nombreuses mobilisations locales et interpellations des pouvoirs publics, du gouvernement sur ce sujet ces derniers mois.
Les demandes fortes qui se sont exprimées à la rentrée et dans les semaines suivantes par des mouvements sociaux, relayées à plusieurs reprises au Parlement, témoignent d’un droit à l’intégration des élèves handicapés à l’école qui reste à conquérir. Ces demandes portées par les revendications des parents, des professionnels de l’accompagnement et des enseignants mettent en exergue, notamment :
– Les obstacles nombreux rencontrés par les familles pour se voir reconnaître leurs droits et les délais d’attente excessifs pour pouvoir bénéficier d’un accompagnement scolaire pour leur enfant handicapé, le manque de moyens des RASED et des psychologues scolaires, des procédures parfois non coordonnées ne permettant pas la gestion des moyens existants,
– Le manque de communication à destination des parents et de transparence sur les critères définissant les moyens alloués,
– Un nombre de places disponibles insuffisant et inégalement réparti entre les territoires dans les classes ou structures spécialisées pour les enfants handicapés,
– L’insuffisance des moyens des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), chargées d’évaluer les besoins de l’enfant et de définir en lien avec la famille une réponse adaptée à sa situation, l’insuffisance des moyens des services académiques et rectoraux,
– Un nombre insuffisant d’accompagnants correctement formés pour assurer la prise en charge de tous les enfants qui demandent un suivi individuel à l’école, l’absence de formations spécifiques nécessaires pour certains handicaps lors de la prise de poste,
– Un nombre insuffisant d’unités spécialisées (classes ULIS) à l’école, au collège et au lycée assurant en milieu ouvert la scolarisation de petits groupes d’enfants,
– Une situation de grande précarité professionnelle des accompagnants – AVS et AESH ‑ dont la rémunération moyenne est comprise entre 650 et 890 €/mois en raison d’un salaire de base faible et de contrats à faibles quotités horaires y compris lorsqu’il s’agit de CDI,
– Une faible attractivité du métier d’accompagnant liée à cette précarité et, consécutivement, des difficultés à recruter des personnels en nombre suffisant pour satisfaire l’ensemble des besoins ; des difficultés à fidéliser ces salariés dans ces emplois d’accompagnement en raison de leur précarité,
– Les insuffisances de la formation à l’inclusion scolaire des enfants handicapés des accompagnants et des enseignants ; de nouvelles formations initiales validées par une qualification loin d’être au niveau souhaitable, un nombre de postes ouverts en formation insuffisant.
Dans une tribune parue en septembre 2018 destinée à attirer l’attention des parlementaires et de l’opinion, le président de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI), Luc Gateau résume ainsi la situation présente : « Comme chaque année, on passera sous silence le scandale de milliers de jeunes handicapés qui n’ont aucune solution de scolarisation, bénéficient d’un temps faible d’école ou doivent patienter sur les listes d’attente des établissement spécialisés ».
Le Parlement doit prendre toute sa place dans ce combat pour l’égalité des chances dans l’école de la République, jusqu’à l’Université de la République.
Quatorze ans après l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005, qui instaure un droit à la scolarisation pour tout jeune en situation de handicap, le temps est venu de dresser un état des lieux le plus exhaustif et précis possible du chemin parcouru dans la construction d’une école inclusive, des besoins qui demeurent et des réponses à y apporter pour la faire progresser de manière significative, compte tenu des évolutions démographiques et de la demande sociale que l’on peut anticiper pour les dix prochaines années.
Il nous semble que le Parlement doit prendre toute sa place dans ce combat pour l’égalité des chances dans l’école de la République, jusqu’à l’université de la République.
C’est la raison pour laquelle nous formulons la présente demande de commission d’enquête parlementaire.
Symboliquement, cette commission d’enquête parlementaire entend s’inscrire dans la continuité des principes inscrits dans la Déclaration internationale des droits de l’enfant dont on célèbrera le soixantième anniversaire le 20 novembre 2019.
Cette commission d’enquête parlementaire vise à objectiver, compléter et actualiser les diagnostics partiels dont on dispose afin d’éclairer les prochains débats parlementaires alors que le gouvernement a annoncé l’été dernier le lancement d’une concertation dite « Ensemble pour l’école inclusive » et la présentation, début 2019, d’une stratégie interministérielle.
Définir les bases d’un acte II de la loi de 2005 dans le champ scolaire
Pour tendre vers l’adéquation dans notre système scolaire entre les principes de la loi du 11 février 2005 et la réalité, pour passer de l’affirmation des droits à leur réalisation, il apparaît indispensable d’interroger la progression de l’inclusion, les conditions de cette progression en primaire, au collège et au lycée où les retards sont connus, et de pointer ce qui la freine, à l’instar – ce n’est qu’un exemple ‑ du manque criant de médecins scolaires dont le ratio est descendu aujourd’hui à 1 pour 12 000 élèves.
Il faut également mesurer, en amont, à la maternelle, les besoins importants souvent signalés mais qui doivent être précisés, mesurer les progrès qui restent à accomplir dans le champ périscolaire, mesurer les besoins dans le champ de la formation professionnelle initiale y compris hors de la voie scolaire, et en aval de l’école, mesurer les besoins qui existent à l’université afin de définir les conditions d’une véritable continuité de l’inclusion de la maternelle au supérieur en repérant, pour les corriger, les ruptures de parcours.
Pour être opérant, un tel travail de bilan et perspectives doit également porter sur les financements que l’on sait insuffisants et tributaires des aléas des décisions budgétaires. Il doit s’intéresser à l’articulation des missions des acteurs de la politique d’inclusion que sont l’État et les départements qui pilotent les MDPH.
Il examinera toutes les questions relatives aux métiers de tous les acteurs, en particulier pour les métiers de l’accompagnement (statut, temps de travail, rémunération, formation), des questions dont on mesure qu’elles sont déterminantes pour réussir l’intégration des élèves handicapés en milieu ouvert. Il s’intéressera aux expériences des parents et des professionnels.
Cette commission d’enquête parlementaire permettra de définir les bases d’un acte II de la loi de 2005 dans le champ scolaire pour dépasser les mesures ponctuelles qui se succèdent au fil des mandatures, avec l’ambition de réussir, au‑delà de la progression quantitative de l’inclusion scolaire, le saut qualitatif nécessaire aux enfants handicapés, attendu depuis longtemps par les parents, la communauté éducative et les professionnels de l’accompagnement.
proposition de rÉsolution
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée de faire l’état des lieux de la scolarisation des élèves et étudiants handicapés, d’identifier les besoins manquants, et de proposer des améliorations, notamment en termes d’accompagnement des élèves et des familles, de professionnalisation des accompagnants, et de formation.