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N° 1690

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à redéfinir le rôle des députés afin quils puissent mieux porter
la voix du peuple et des territoires à lAssemblée nationale,

présentée par Mesdames et Messieurs

Stéphane VIRY, Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Thibault BAZIN, Ian BOUCARD, JeanPierre DOOR, Marianne DUBOIS, Daniel FASQUELLE, Nicolas FORISSIER, Annie GENEVARD, JeanCarles GRELIER, Michel HERBILLON, Valérie LACROUTE, Sébastien LECLERC, Éric PAUGET, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, JeanMarie SERMIER, Éric STRAUMANN, Arnaud VIALA,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Ve République a incontestablement apporté une stabilité institutionnelle à notre pays.

Le Général de Gaulle a mis en place des institutions robustes et équilibrées, permettant à l’État de mener son action en toutes circonstances et ce, dans le respect des valeurs républicaines. Notre système politique a toutefois connu depuis lors une forme d’épuisement qui s’est traduit par un rejet sans appel de la démocratie représentative.

À ce titre, les Français expriment un besoin d’être mieux représentés, de disposer d’élus plus en phase avec la société et devant rendre compte plus clairement des politiques qu’ils mettent en œuvre. Certains d’entre eux en viennent jusqu’à souhaiter l’émergence d’une démocratie directe.

Parfois, cela entraîne le développement d’une forme d’anti parlementarisme que nous ne pouvons nier. Faut‑il rappeler le taux d’abstention au second tour des élections législatives, à 57,36 %, un triste record historique ?

Or, dans les premières heures du lancement du « grand débat national », le Président de la République a affirmé pour la première fois qu’« il faut permettre aux parlementaires d’être plus sur le terrain », traduisant selon les observateurs, une de ses nouvelles contributions à « l’acte 2 » de son quinquennat.

C’est plus d’un nouveau souffle dont il doit être question dans l’exercice de la démocratie représentative.

La loi relative à la moralisation de la vie politique a apporté des avancées significatives : l’interdiction des emplois familiaux de collaborateurs, un régime réel de justification des frais de mandat parlementaire, l’extension de l’inéligibilité en cas de crimes ou de manquements à la probité, etc… étaient des mesures de nature à renforcer l’image des parlementaires notamment dans l’exercice de leur mandat.

Or, avec :

– la fin du cumul des mandats ;

– la suppression de la réserve parlementaire ;

– la capacité des parlementaires à être à l’écoute concrète du terrain, en prise directe des difficultés mais aussi des projets a été clairement altérée.

Incontestablement, et chaque député a sans doute pu en faire l’expérience, ne plus être en mesure d’être maire, ne plus être en mesure de soutenir financièrement les projets associatifs ou communaux, ont été ressentis comme des reculs de la fonction parlementaire.

Ce qui a vraisemblablement été sous‑estimé, c’est qu’en dessaisissant les députés de modes d’action historiques, sans renforcer leurs prérogatives en matière de production législative ou en matière de contrôle du Gouvernement, c’est l’affaiblissement de cette fonction qui a été concrétisé.

Il semble dès lors nécessaire de réfléchir sur le rôle des députés afin qu’ils puissent « être sur le terrain », pas simplement dans un rôle de préfigurateur de contrôleur a posteriori des politiques publiques, mais avec une capacité d’action réelle, au cœur de leurs territoires.

D’une certaine manière, il pourrait être question de trouver des formes de « décentralisation » de l’initiative parlementaire.

Cet enjeu s’ajoute à des difficultés plus anciennes, pour les représentants de la Nation, de pouvoir incarner réellement la voix du peuple et du territoire.

À ce jour, il est vrai, par exemple, que les lois de finances se succèdent mais le pouvoir du Parlement en matière financière reste limité au regard de son impact réel sur les grands équilibres budgétaires et sur la définition des moyens alloués aux politiques publiques. L’examen du budget pour l’année 2019 n’a pas dérogé à ce propos, comme les lois de finances antérieures, les parlementaires n’ayant modifié qu’à la marge la loi de finances pour l’année en cours.

Cette limitation des pouvoirs des représentants du peuple à édicter le budget, document clé de la traduction des décisions politiques, est notamment le fruit des équilibres institutionnels issus de la Constitution du 4 octobre 1958, cantonnant le Parlement à un rôle secondaire face à un pouvoir exécutif prédominant.

L’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958 grave dans le marbre l’impuissance du peuple et de ses représentants à participer activement à la définition du budget et donc des politiques publiques.

Les parlementaires ne peuvent ainsi proposer d’allouer des moyens financiers complémentaires au budget formulé par le Gouvernement. Ils ne peuvent proposer des modifications de moyens qu’au sein de rubriques budgétaires très compartimentées.

Très concrètement, le peuple et ses représentants sont privés de la possibilité de formuler des propositions, complémentaires ou alternatives à celles du Gouvernement, qui permettraient de répondre aux besoins de la population.

Dans les faits, la prééminence du pouvoir exécutif pourrait ne pas être mise en question si la démonstration avait été faite, en écartant les parlementaires du process budgétaire, d’une meilleure gestion des ressources publiques. Mais ce n’est pas le cas.

De la même manière, il apparait que le peuple exprime une volonté d’être mieux représenté, ce qui ne saurait déboucher sur un renforcement des prérogatives du Gouvernement, composé de membres non choisis par le peuple.

À l’inverse, il s’agit de renforcer la capacité du peuple à participer, à travers ses représentants, à la construction du budget de notre pays et exprimer ainsi sa pleine et entière souveraineté.

La remise en cause de l’article 40 de la Constitution et, plus globalement, la revalorisation des droits des représentants du peuple en matière budgétaire et financière apparaît aujourd’hui urgente et incontournable pour la démocratie. Un préalable à la pleine et entière expression de la souveraineté du peuple qui semble plus que jamais à réhabiliter.

Elles viendraient, d’une part, rééquilibrer une dissymétrie institutionnelle portant atteinte au bon fonctionnement de la démocratie.

Elles viendraient, d’autre part, remettre au cœur du débat public les préoccupations de la population, débat aujourd’hui surplombé par le fait majoritaire, écrasant y compris pour la majorité parlementaire elle‑même, qui accompagne plus qu’elle n’impulse.

Il va sans dire que les mêmes constatations peuvent être faites quant au processus législatif « ordinaire », dans un contexte de surproduction évidente, générée par le pouvoir central.

Au‑delà du vote de la loi, l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ».

Le contrôle parlementaire est l’un des piliers de l’État de droit. Ce contrôle s’exerce d’autant plus efficacement qu’il se conjugue à une évaluation des politiques publiques effective et tangible.

Pour ce faire, le Parlement doit être indépendant. Pour être indépendant, il doit disposer des moyens nécessaires pour remplir les missions de contrôle et d’évaluation, et ce en toute autonomie vis‑à‑vis du Gouvernement.

Or, le Parlement ne dispose pas des outils lui permettant de réaliser un chiffrage des propositions qu’il entend porter, et ne peut donc pas faire le poids dans un éventuel échange avec le Gouvernement.

En vue d’assurer l’autonomie pleine et entière du législateur, il semble fondamental de renforcer les moyens propres du Parlement, s’appuyant sur le pôle d’expertise que constituent les effectifs des commissions des finances, en en renforçant les compétences internes (analyse statistique, évaluations qualitatives et quantitatives, etc.).

Ce schéma doit permettre de garantir que le contrôle de l’action publique et l’évaluation des politiques menées soient menées conformément à l’expression des représentants du peuple et non d’un quelconque intérêt particulier.

En parallèle, au sein du Parlement, une réflexion devra être menée dans les plus brefs délais sur les droits reconnus à l’opposition. Il serait contradictoire de prétendre renforcer les prérogatives du Parlement en matière de contrôle de l’action gouvernementale si l’ensemble des leviers devaient être actionnés par la majorité parlementaire uniquement.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que le peuple et ses représentants doivent disposer des moyens nécessaires pour exercer leur pleine et entière souveraineté ;

Considérant que le rôle du député sur le territoire et auprès des habitants a été affaibli en raison d’une volonté de transparence qui est allée jusqu’à la rupture des liens historiques lui permettant d’être un représentant véritablement investi, menaçant par là même l’exercice de la souveraineté du peuple par la voix de leurs représentants ;

Considérant que le droit d’initiative parlementaire doit pouvoir s’exercer pleinement, y compris en matière budgétaire et financière, alors que les verrous portés à ce droit d’initiative parlementaire portent tout autant atteinte à la vie démocratique qu’ils n’ont aucunement montré leur efficacité sur le plan budgétaire ;

Considérant que le Parlement ne dispose pas des moyens lui permettant de conduire efficacement ses missions de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques ;

1° Encourage le Gouvernement à prendre des initiatives visant à permettre aux parlementaires de conserver un lien de proximité avec le peuple et le territoire ;

2° Encourage le Gouvernement à formuler des propositions visant à renforcer le droit d’initiative parlementaire en matière budgétaire ;

3° Invite le Gouvernement à accorder les moyens financiers nécessaires pour que le Parlement puisse disposer de ses propres pouvoirs d’expertise, en toute autonomie, afin de contrôler efficacement son action et évaluer les politiques publiques.