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N° 1943

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mai 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

déclarant létat durgence climatique et écologique,

présentée par Mesdames et Messieurs
 

JeanLuc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le changement climatique fait peser de graves menaces sur l’humanité et les écosystèmes, comme l’attestent les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). La terre s’est déjà réchauffée d’environ 1º C et selon les estimations de l’Organisation des Nations Unies (ONU), la trajectoire actuelle nous conduit à un réchauffement de plus de 3º C.  Avec lui, l’acidification accrue des océans et la multiplication d’évènements extrêmes. Pour l’heure, l’objectif maximal de limitation de l’élévation de la température à 1,5º C de l’Accord de Paris n’est pas respecté, puisqu’aucun pays de l’Union européenne n’a formulé d’engagements s’y conformant. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter. Cent entreprises multinationales sont responsables à elles seules de plus de 70 % des émissions GES au niveau mondial. Plus de la moitié des groupes du CAC 40 ont déclaré des émissions de gaz à effet de serre en hausse en 2017. Alors que 0,5 % des plus riches sont responsables de 13 % des émissions de C02 liées au mode de vie, les 50 % les plus pauvres, responsables de seulement 10 % de ces mêmes émissions, sont les premières victimes. La pollution de l’air est par exemple responsable de 67 000 morts prématurées chaque année en France, de presque 500 000 en Europe. Parmi elles, les personnes pauvres vivant dans des quartiers pauvres et pollués ont cinq fois plus de risques de mourir que la moyenne lors d’un épisode de pollution.

Le 6 mai, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a rendu son rapport mondial. Comme le GIEC, cette plateforme réunit des scientifiques, issus de 110 pays. Ces scientifiques nous livrent un message crucial : la sixième extinction des espèces est commencée. En effet, un million d’espèces animales et végétales sont menacées de disparition c’est‑à‑dire une espèce sur huit. Cela concerne 25 % des mammifères, 40 % des amphibiens, 33 % des coraux, 27 % des crustacés ou 19 % des reptiles. Le taux d’extinction aujourd’hui constaté parmi les espèces vivantes est, pour les scientifiques entre des dizaines et des centaines de fois supérieur à la moyenne des derniers 10 millions d’années.

Les scientifiques font également l’inventaire des milieux naturels détruits ou altérés par les activités humaines. Il s’agit de 75 % des milieux terrestres, 66 % des milieux marins et de 85 % des zones humides. Ils en ont hiérarchisé les impacts : la destruction des milieux naturels pour changer leur usage est la première cause de la sixième extinction. Cela concerne les activités minières ou encore la déforestation au profit de l’élevage intensif et de la production d’huile de palme, accentuée par des accords de libre‑échange tels que le Mercosur. Autre responsable, les pollutions, notamment par l’usage massif des pesticides et la surexploitation des ressources.

Chaque année, le « jour du dépassement » tombe plus tôt. Il s’agissait du 1er août en 2018, contre fin septembre en 1997. Si l’humanité consommait autant que les Européens, elle aurait besoin de 2,8 planètes, selon un rapport du Fonds mondial pour la nature (WWF) et de l’ONG Global Footprint Network.  Ce « jour du dépassement », date qui marque le moment hypothétique où l’humanité a consommé la totalité des ressources que la Terre peut produire en un an, est tombée le 10 mai pour l’Union Européenne, le 15 mai pour la France. L’Homme dépend de la nature mais la détruit méthodiquement. Les régions les plus touchées sont celles où vivent des populations pauvres déjà plus vulnérables aux impacts du changement climatique ou bien des peuples autochtones particulièrement dépendants de la nature. Ainsi, le rapport mondial sur la biodiversité souligne que la pente prise, si elle ne s’infléchit pas, empêchera l’humanité d’atteindre les « objectifs de développement durable » fixés par l’ONU en 2015. La réduction de la pauvreté, de la faim dans le monde, l’amélioration de l’accès à l’eau ou à la santé seront impossibles dans un contexte de disparition de masse des espèces. Par ailleurs, ce désastre écologique risque de nous conduire également au chaos géopolitique. Le rapport pointe 2 500 conflits en cours pour l’accès aux ressources fossiles, à l’eau, à la nourriture ou aux terres arables. Alors même que nous dépendons de la biodiversité et du bon état des écosystèmes.

L’homme est à l’origine de cette catastrophe. Pour le président de la plateforme intergouvernementale : « Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». L’IPBES met en cause un modèle de consommation insoutenable. En 50 ans, la production agricole mondiale a triplé mais la dégradation des sols a réduit de 23 % la productivité de l’ensemble de la surface terrestre mondiale. Le soutien financier des pays de l’OCDE à un type d’agriculture potentiellement nocif pour l’environnement monte à 100 milliards de dollars par an, tandis que le commerce international a été multiplié par dix. Pour parachever l’ensemble, 68 % des capitaux étrangers allant aux secteurs du soja et de la viande bovine amazonienne transitent par des paradis fiscaux. A raison, les scénarios de l’IPBES mettent en exergue la nécessité de « réformes fondamentales des systèmes financier et économique mondiaux ».

Le Parlement irlandais est devenu, dans la soirée de jeudi 9 mai 2019, la deuxième assemblée au monde à déclarer « lurgence climatique », dix jours après une première décision en ce sens validée par le Parlement britannique. Lors d’une conférence de presse le 15 avril 2019, Emmanuel Macron a promis d’affronter ce qu’il a appelé un « état d’urgence climatique ». La France héberge 10 % de la biodiversité mondiale et nous n’avons que douze ans pour mener une transition écologique ambitieuse. Mais Emmanuel Macron multiplie les actes contradictoires et écocides. Couronné « champion de la terre », il accepte les accords de libre‑échange climaticides, refuse de mettre fin aux subventions aux énergies fossiles, soutient de grands projets inutiles qui accentuent l’artificialisation (EuropaCity) ou la déforestation (Montagne d’Or en Guyane et importation d’huile de Palme via l’usine Total de La Mède), refuse d’interdire le glyphosate et prolonge même la possibilité de produire en France et d’exporter des pesticides interdits en Union européenne.

L’urgence est à changer radicalement de modèle économique. Nos modes de production et de consommation doivent être soumis à une règle verte qui subordonne l’économie à l’écologie. Concrètement, celle‑ci impose de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer en un an, ni produire plus de déchets que ce qu’elle peut supporter. Face à l’urgence, l’heure est à l’avènement d’une écologie populaire contre celle des actionnaires. A l’heure actuelle, 3 400 traités internationaux protègent les multinationales mais aucun ne les oblige à respecter les droits humains et l’environnement tandis que le grand déménagement du monde s’accélère. Cette règle verte, placée au sommet de la hiérarchie des normes, doit conduire à la protection des biens communs et à faire primer l’intérêt général environnemental sur l’intérêt financier particulier.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution ;

Vu l’article 136 du Règlement de  l’Assemblée nationale ;

Considérant que le changement climatique fait peser de sérieuses menaces sur l’humanité et son environnement, comme l’attestent les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ;

Considérant que ces phénomènes s’accompagnent d’une régression massive de la biodiversité et d’une sixième extinction de masse des espèces à un rythme jamais constaté comme l’atteste le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques ;

Considérant qu’en plus du changement climatique et la régression de la biodiversité, les facteurs que sont la dégradation de la qualité des sols et leur artificialisation, la pollution par les pesticides et par les rejets industriels, provoquent la fragilisation d’écosystèmes qui mettent en danger les populations humaines qui en dépendent ;

Considérant que l’extraction croissante de matières premières non renouvelables et la surexploitation des ressources telles que l’eau et les terres arables conduisant à leur raréfaction attisent les conflits géopolitiques et poussent de nombreuses populations à l’exil ;

Considérant que les traités européens empêchent toute politique écologique ambitieuse et que leurs corollaires dogmatiques de concurrence et de compétitivité qui se traduisent par la multiplication des accords de libre‑échange accroissent les émissions de gaz à effet de serre autant que les inégalités ;

Considérant que les politiques menées par la France et l’Union européenne n’ont pour l’instant pas permis de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre ni contribué à la préservation de la biodiversité et que notre système économique insoutenable constitue un facteur majeur de dérèglement climatique et de l’impasse écologique qui menace la vie des peuples, des écosystèmes autant que la survie des générations futures ;

Cette Assemblée déclare l’urgence climatique à la suite des conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat selon laquelle, pour éviter une augmentation de plus de 1,5° C du réchauffement climatique, les émissions mondiales devraient être réduites d’environ 45 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici 2030, pour atteindre le zéro émissions net vers 2050 ;

Cette Assemblée déclare l’urgence écologique à la suite des conclusions de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques selon laquelle pour limiter la sixième extinction de masse en cours il faut entamer des « réformes fondamentales des systèmes financier et économique mondiaux » ;

Cette Assemblée s’inquiète du fait que la France manque actuellement la quasi‑totalité de ses objectifs en matière de biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique ;

Elle plaide pour la mise en œuvre d’un principe de règle verte au sommet de la hiérarchie des normes, qui impose de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer en un an, ni produire plus de déchets que ce qu’elle peut supporter ;

Elle invite en outre le Gouvernement à soumettre à l’Assemblée nationale des mesures urgentes visant à accroître l’ambition des objectifs de la France, conformément à ses engagements nationaux et internationaux, afin d’atteindre avant 2050 l’objectif de neutralité carbone et de 100 % d’énergies renouvelables, couplés à une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre nationales, ainsi que relatives à la mise en œuvre d’une stratégie industrielle pourvoyeuse d’emplois non délocalisables au cœur d’une transition écologique vers une économie à faible intensité carbone.