N° 2140
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2019.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
présentée par
Mme Marie‑France LORHO, ,
députée.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France (analyse et référence, juin 2019) a le mérite de respecter l’un des engagements du ministre des armées. Comme le voulait madame le ministre, il est accessible, précis et détaillé. À tel point cependant qu’il permet à n’importe quel lecteur de se rendre compte de certaines incohérences dans la politique d’exportation d’armes de la France et notamment concernant le respect de ses engagements internationaux.
Ces incohérences sont soulignées depuis plus d’un an par le milieu associatif, avec une action marquante dans la nuit du 27 mars au 28 mars de la part de quatre associations projetant sur le Palais Bourbon le slogan : « en France, la vente d’arme rapporte gros, au Yémen, elle coûte cher ».
Bien sûr, les objectifs vitaux que représente la vente d’armements pour la France sont audibles : préservation de notre sécurité, renforcement de nos partenariats stratégiques, préservation de la stabilité régionale dans les zones où les intérêts français sont présents, lutte contre le terrorisme ou notre souveraineté et indépendance en matière d’armement et de projection opérationnelle. C’est aussi l’un des fleurons de notre industrie.
Est‑il possible cependant de concilier tous ces objectifs avec le respect de nos engagements internationaux ? C’est ce qu’oblitère sans ambiguïté le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France. Pourquoi, alors, partout en France des voix s’élèvent quant à notre politique d’exportation d’armes, et notamment autour de la question du Yémen ? La réponse se trouve à l’annexe 3 du rapport précité concernant les critères pouvant motiver un refus de délivrance de licences à l’exportation d’armements en accord avec nos engagements internationaux.
Ces critères sont, tel que précisé dans le rapport :
1. Le respect des obligations et des engagements internationaux de la France, notamment le Traité sur le Commerce des Armes (TCA) et la position commune de l’UE.
2. Le respect des droits de l’homme dans le pays de destination finale et le respect du droit humanitaire international par ce pays. Ainsi, après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments internationaux concernant les droits de l’homme :
– Nous nous sommes engagés à refuser l’autorisation d’exportations s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression.
– Nous faisons preuve, dans chaque cas et en tenant compte de la nature de la technologie ou des équipements militaires en question, d’une prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance d’autorisation aux pays où de graves violations des droits de l’homme ont été constatées par les organismes compétents des Nations‑Unies, par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe.
Or sur ce second point, M. Charles Garraway([1]) , membre d’un groupe d’experts du conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2018 disait que : « Le Groupe d’experts éminents a des motifs raisonnables de croire que les gouvernements du Yémen, des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite sont responsables de violations des droits de l’homme ».
Parmi leurs conclusions, les experts indiquent que des individus au sein du gouvernement du Yémen, de la rébellion Houthis et de la coalition, ont commis des actes susceptibles d’être déterminés par un tribunal indépendant et compétent comme étant des crimes internationaux.
Le rapport note que ce sont les frappes aériennes de la coalition qui ont causé le plus de victimes civiles directes. Les frappes aériennes ont touché des zones résidentielles, des marchés, des funérailles, des mariages, des centres de détention, des bateaux civils et même des installations médicales. Sur la base des incidents examinés, le Groupe d’experts a des motifs raisonnables de croire que des membres du Gouvernement yéménite et de la coalition ont pu mener des attaques pouvant constituer des crimes de guerre, en violation des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution.
3. Préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales. Nous devons refuser l’exportation d’armes s’il existe un risque manifeste que le destinataire envisagé utilise la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée de manière agressive contre un autre pays ou pour faire valoir par la force une revendication territoriale.
Nous prenons en compte notamment :
a) L’existence ou la probabilité d’un conflit armé entre le destinataire et un autre pays ;
b) Une revendication sur le territoire d’un pays voisin que le destinataire a, par le passé, tenté ou menacé de faire valoir par la force ;
c) La probabilité que la technologie ou les équipements militaires soient utilisés à des fins autres que la sécurité et la défense nationales légitimes du destinataire ; ([2])
d) La nécessité de ne pas porter atteinte de manière significative à la stabilité régionale.
Or les tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sont sources d’instabilité dans la région : au vu notamment des nombreuses guerres par procurations qu’ils effectuent. Prenons l’exemple de la guerre Iran‑Irak ; Syrie ; Yémen ; Bahreïn… Autant de conflits qui peuvent pousser à l’escalade et font peser une probabilité non nulle d’un conflit armé entre l’Arabie saoudite et l’Iran.
4. Comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale, et notamment son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international.
Nous tenons compte des antécédents des acheteurs dans les domaines suivants :
a) Le soutien ou l’encouragement qu’il apporte au terrorisme et à la criminalité organisée internationale. Que dire de l’Arabie Saoudite à ce sujet ? En janvier, Bruxelles revoyait l’inventaire des « juridictions présentant des carences dans leurs régimes de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme » pour y ajouter l’Arabie saoudite, selon Reuters. ([3])
b) Le respect du non‑recours à la force, et du droit international humanitaire. Or les pays de la coalition au Yémen et plus particulièrement l’Arabie Saoudite et le Soudan ont des tendances belliqueuses. L’intervention saoudienne au Bahreïn durant les printemps arabes en est un exemple.
c) Son engagement en faveur de la non‑prolifération et d’autres domaines relevant de la maitrise des armements et du désarmement, en particulier la signature, ratification et la mise en œuvre des conventions pertinentes en matière de maitrise des armements et de désarmement visé au point b) du premier critère.
Or l’Arabie‑Saoudite n’est pas signataire du TCA, n’a pas ratifié le Traité de Non‑Prolifération (TNP), n’a pas signé le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), n’a pas signé le code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques, n’est pas membre de l’arrangement de Wassenaar, ne fait pas partie des signataires de la convention d’Ottawa ni de la convention d’Oslo.
En fait, en matière de désarmement, elle n’a signé que la Convention sur l’interdiction des Armes Biologiques (CIABT) et la convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC), ce qui ne peut pas vraiment être considéré comme un engagement en faveur de la non‑prolifération. De surcroît, le royaume a soutenu financièrement le programme nucléaire pakistanais : un article de la BBC raconte même comment en échange de ce financement le royaume saoudien a pu s’acheter une utilisation possible du feu nucléaire.
5. Existence d’un risque de détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays acheteur ou de réexportation de ceux‑ci dans des conditions non souhaitées.
Le chef des RSF, Mohamed Hamdan Daglo, actuel leader de facto du Soudan s’est rendu en Arabie Saoudite à de nombreuses reprises. Il a construit une véritable relation avec l’Arabie en s’occupant, sous le règne d’Omar el‑Béchir, le président déchu, du déploiement des forces soudanaises au Yémen dans la coalition dirigée par Riyad. "En retour, le général Hamdan a gagné d’importants nouveaux amis, dont le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, en plus d’une rémunération généreuse pour ses troupes. Les salaires saoudiens ont contribué à redorer le blason du général Hamdan dans son Darfour natal, où certains habitants des communautés qu’il avait terrorisées ont constaté des avantages lors de son accession au pouvoir", écrit le Financial Times. Le général au passé sulfureux (il est accusé de massacres au Darfour) a réussi son ascension. Selon le New York Times, « la guerre a enrichi le général Hamdan, qui possède des intérêts dans les mines d’or, la construction et même une société de location de limousines. Parmi ses clients, Mohammed Ben Salmane, prince héritier de l’Arabie Saoudite. »
C’est pour ces cinq raisons principales qu’il est important de revoir nos exportations d’armes des clients de la France dans la région et des implications possibles de ces derniers dans le conflit au Yémen qui ne sont plus en accord avec nos engagements internationaux quant aux modalités d’exportation de notre armement.
Nous le savons, le tribunal administratif de Paris a rejeté le 9 juillet 2019 le recours d’une ONG, qui demandait à la France de cesser les exportations d’armes vers les pays impliqués dans la guerre au Yémen. Ce rejet a été motivé par la validation la légalité des ventes et en affirmant que les armes françaises ne sont pas utilisées contre les civils au Yémen. Ce n’est pas ce que nous sous‑entendons ici. Les motifs soulevés ici se tournent uniquement sur le respect de nos engagements internationaux et sur la vérification des critères pouvant motiver un refus et non pas sur l’utilisation faite des armes.
Cette proposition de résolution aspire à un soulagement des populations civiles dans la souffrance au Yémen. À l’encouragement et l’avènement de la paix et de la stabilité dans la région. Elle aspire à pousser le royaume saoudien à revoir ses modalités d’engagements en cas de conflit, bien plus que ne le fait la vente d’armement actuellement.
proposition de RÉSOLUTION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Invite le Gouvernement à proposer un moratoire sur les licences d’exportations d’armement vers l’Arabie Saoudite, jusqu’à ce qu’aucun doute n’existe sur le fait que le royaume ne soit plus en contradiction avec nos engagement internationaux dans sa politique conflictuelle au Yémen.
([2]) Comme expliqué plus haut, le rapport de l’ONU note que les frappes aériennes de la coalition ont causé le plus de victimes civiles directes. Les frappes aériennes ont touché des zones résidentielles, des marchés, des funérailles, des mariages, des centres de détention, des bateaux civils et même des installations médicales.