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N° 2250 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 septembre 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à la reconstitution de la carrière dAlfred Dreyfus,

présentée par Mesdames et Messieurs
 

Éric CIOTTI, Josiane CORNELOUP, Michel HERBILLON, Robin REDA, Éric PAUGET, Nicolas FORISSIER, Didier QUENTIN, Patrick HETZEL, Véronique LOUWAGIE, Valérie BOYER, Michel VIALAY, Nadia RAMASSAMY, JeanJacques FERRARA, Guillaume LARRIVÉ, Geneviève LEVY, Éric STRAUMANN,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 1894 le capitaine Alfred Dreyfus est dégradé et condamné à la déportation à vie en Guyane, accusé d’avoir transmis des documents secrets à l’Allemagne. En 1896, une contre‑enquête établit la culpabilité du commandant Esterhazy. Le 11 janvier 1898, ce dernier est pourtant acquitté par un conseil de guerre.

En août 1898, une nouvelle enquête, ouverte par le ministre de la guerre, établit qu’un faux a en réalité été fabriqué, mais celui‑ci est considéré comme un faux patriotique ne remettant pas en cause la culpabilité de Dreyfus.

Bien que la Cour de cassation ait cassé l’arrêt condamnant Dreyfus, le Conseil de guerre condamne cette fois Dreyfus, le 7 août 1899, à dix ans avec les circonstances atténuantes. Il aura fallu attendre le 19 septembre 1899 pour que le Président de la République, Émile Loubet, le gracie.

Une loi du 27 décembre 1900 amnistie les faits se rattachant à l’affaire Dreyfus notamment les délits de presse, de réunion et d’association. La Cour de cassation annule sans renvoi le jugement du Conseil de guerre : l’innocence de Dreyfus est ainsi reconnue par la Cour de cassation en 1906. Une loi du 13 juillet 1906 réintègre le capitaine Dreyfus au grade de commandant.

Cette affaire révèle un profond malaise. Elle fait apparaître au grand jour le racisme, l’antisémitisme et une nouvelle forme du nationalisme se caractérisant par le rejet de l’étranger et la crainte d’une dissolution de l’identité française. Aujourd’hui encore, elle reste un emblème de l’injustice.

En effet, comme le souligne Haïm Korsia, grand rabbin de France « le procès a été clairement antisémite à son époque. Il s’agissait pour la République attaquée de toutes parts de se défendre en désignant le Juif, un corps étranger ».

120 ans après la reconnaissance de son innocence, le chemin de sa réhabilitation n’est pourtant pas achevé. Sa réintégration dans l’armée n’a jamais coïncidé avec la restitution complète de sa carrière, ce qui l’a empêché d’accéder aux grades d’officier général auxquels ce brillant militaire se destinait depuis l’École polytechnique et l’École de guerre.

La carrière d’un homme a été stoppée par l’antisémitisme et la haine. Quel destin l’attendait si son avenir ne lui avait pas été confisqué ? Cent vingt ans plus tard, les armées doivent redonner à Alfred Dreyfus tout l’honneur qu’il mérite et la République a aujourd’hui le devoir de concrétiser pleinement la réhabilitation du capitaine Dreyfus.

Aussi, il convient aujourd’hui d’élever Alfred Dreyfus au grade de général. Comme le rappelle l’historien Vincent Duclert, cette proposition est juridiquement nécessaire parce qu’une dernière injustice a été commise par les députés quand ils ont voté, le 13 juillet 1906, la réintégration du capitaine Dreyfus dans l’armée. Promu au grade supérieur sans reconstitution complète de carrière, il perd toute possibilité d’accéder aux grades d’officier général auxquels il se destinait. Cette carrière amputée le contraignit à prendre une retraite anticipée, interrompue par la première guerre mondiale où il servit avec abnégation.

Le capitaine Dreyfus a eu le courage d’aimer et de servir la France alors même qu’elle avait revêtu le visage de l’injustice. Il a su garder espoir et fidélité à une idée qui dépasse la haine des hommes, il a su garder vivante la République et a permis son sursaut alors qu’elle était menacée. Il a contribué à fortifier la République, les valeurs humanistes de respect et de tolérance. Des valeurs qui, aujourd’hui encore, constituent notre ciment.

En invitant le Gouvernement à prévoir une promotion à titre posthume, cette proposition de résolution entend remédier non seulement à une injustice mais tend également promouvoir ces valeurs de courage, d’intelligence et de patriotisme de l’officier Dreyfus.

Enfin, réhabiliter pleinement Alfred Dreyfus c’est aussi réaffirmer la guerre totale que la République doit mener chaque jour face aux actes antisémites, alors que ceux‑ci ont augmenté de 74 % entre 2017 et 2018. Son visage a changé mais sa présence et sa virulence restent intactes.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que les dysfonctionnements de l’État ont causé un préjudice grave à la carrière d’Alfred Dreyfus auquel la République française doit remédier ;

Considérant que réhabiliter pleinement Alfred Dreyfus permet de réaffirmer  la détermination de la République dans la lutte contre l’antisémitisme ;

Invite le Gouvernement à envisager la restitution complète, à titre posthume, de la carrière d’Alfred Dreyfus.