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N° 2277

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er octobre 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création dune commission denquête sur laction des pouvoirs publics relative à la prévention et la gestion de lincendie du site industriel Lubrizol à Rouen le 26 septembre 2019 ainsi quà ses conséquences sanitaires et environnementales,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire , à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Delphine BATHO, Guy BRICOUT, Béatrice DESCAMPS, Frédérique DUMAS, Olivier FALORNI, Elsa FAUCILLON, Agnès FIRMIN LE BODO, Laurent FURST, Sébastien JUMEL, FrançoisMichel LAMBERT, Christophe NAEGELEN, Stéphane PEU, Bérengère POLETTI, Cécile UNTERMAIER, Francis VERCAMER,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ».

Le 26 septembre 2019 à 2 h 40 un violent incendie s’est déclaré à l’usine Lubrizol, située quai de France à Rouen, site industriel classé Seveso seuil haut. Il s’agit assurément du plus important accident industriel en France depuis AZF à Toulouse en 2001, que certains comparent, du fait du panache de fumée et des retombées de suie, à une « marée noire » sur terre, en ville et à la campagne. La gravité de cet incendie, de ses conséquences et des dysfonctionnements qu’il semble révéler dans la gestion des accidents industriels majeurs méritent toute l’attention de la représentation nationale.

Le site industriel de Lubrizol à Rouen, construit en 1954 et qui emploie environ 400 personnes dans la fabrication d’additifs et lubrifiants industriels pour les huiles de moteur et carburants essence et diesel, appartient au groupe de chimie américain Lubrizol Corporation, propriété de Brekshire Hathaway. Cette entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros en France en 2017. Il a déjà provoqué dans le passé plusieurs incidents et manquements aux règles encadrant la prévention des risques technologiques dans les sites Seveso.

Dans la nuit du 26 septembre, pour les autorités, la priorité a bien évidemment été donnée à l’intervention des pompiers et des services de sécurité et de secours, l’urgence étant à la maitrise de l’incendie et à l’évitement de tout risque de sur‑accident. Le plan particulier d’intervention a été déclenché, avec le confinement de la population dans le périmètre de 500 mètres autour du site, l’ouverture d’un centre opérationnel départemental et la décision de ne pas ouvrir les crèches et établissements scolaires dans 13 communes de l’agglomération. Aucune victime physique n’a heureusement été déplorée.

Une enquête judiciaire a été ouverte dès le jeudi 26 septembre par le parquet de Rouen pour déterminer les causes de l’accident et pour destructions involontaires. Celle‑ci a été élargie le 28 septembre au chef de mise en danger de la vie d’autrui.

Toutefois, alors qu’un panache de fumée de plusieurs dizaines de kilomètres s’élevait au‑dessus de Rouen, la population de Rouen et du Petit‑Quevilly n’a été alertée par les sirènes qu’à 7 h 30. Le premier tweet de la Préfecture concernant l’incendie a été publié à 4 h 50. À 8 h 15, le SDIS recommandait sur twitter de « fermer les portes et fenêtres et éteindre les ventilations. Une fumée saine n’existant pas, restez hors des fumées ». Une cellule d’information a été mise en place aux alentours de 8 h 50. À 9 heures, la préfecture indiquait qu’« il n’est pas mesuré de toxicité aiguë dans l’air », mais invitait la population à limiter ses déplacements, à rester à l’intérieur autant que possible et à se mettre « à l’abri des fumées ».

Le 26 septembre à 17 h 30, ces recommandations étaient complétées de diverses « précautions à observer » dans la zone du panache de fumée, faisant état de possibles céphalées et irritations, de la nécessité de limiter les activités extérieures et de ne pas toucher les suies. Des recommandations étaient également émises en direction des éleveurs et agriculteurs d’une vaste zone au nord‑est de Rouen en raison des retombées de suies (rentrer les animaux, sécuriser leur abreuvement, ne pas récolter les productions), ainsi qu’en direction des jardiniers amateurs (ne pas consommer les produits du jardin). Parallèlement, la pollution de la Seine par les hydrocarbures entrainait le déclenchement du plan Polmar.

Le lendemain, le 27 septembre à 7 h 30, la Préfecture indiquait que « les personnes qui présentent des fragilités et qui en éprouveraient le besoin, doivent naturellement consulter un médecin », que « malgré une odeur désagréable le risque pour la population reste faible », qu’il faut « éviter de toucher les retombées de suie » et « procéder au nettoyage des extérieurs à grande eau, avec des gants de ménage » et « ne pas consommer les végétaux souillés par les suies ». À 16 heures, les services de l’État précisaient que ce sont des analyses des fumées et des retombées de suie qui ont eu lieu rapidement après l’incendie qui permettaient d’affirmer qu’il n’y avait pas de « toxicité aigüe ». Néanmoins des habitants se sont plaints d’irritations de la gorge, de maux de tête et de nausées. Les locaux de France 3 Rouen ont dû être évacués en raison de fortes odeurs entrainant des vomissements. Une augmentation des appels aux services d’urgence et 8 hospitalisations étaient relevées.

Le ministre de l’intérieur s’est rendu sur place le jeudi 26 septembre. Le 27 septembre ce sont trois membres du Gouvernement, les ministres de l’éducation nationale, de la santé et de la transition écologique et solidaire, qui se sont rendus sur place.

Si la mobilisation des services de l’État et la réactivité du gouvernement sont incontestables, la gestion de cette crise et la communication rassurante des autorités laissent pendantes de nombreuses questions sur les risques encourus. À l’heure où est présentée la présente résolution tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire, la nature exacte et la liste des produits stockés à Lubrizol et ayant brûlé n’a pas été rendue publique, la direction de l’entreprise ayant seulement indiqué que « l’incendie a touché un entrepôt, une installation d’enfûtage et un bâtiment administratif ». De nombreux habitants de l’agglomération rouennaise, mais aussi au‑delà de ce secteur géographique puisque des retombées de suie ont été constatées dans les Hauts‑de‑France et jusqu’en Belgique, ont exprimé leurs inquiétudes sur les effets à court, moyen et long terme de cette pollution. Ils dénoncent le manque de transparence des autorités sur les résultats des analyses des prélèvements effectués. Les élus locaux déplorent également un manque d’information précise de la part de l’État, leur permettant de répondre aux questions de leurs concitoyens et réclament la mise en place de cellules médico‑psychologiques. Des ONG craignent que les affirmations des autorités sur l’absence de toxicité soient basées sur la mesure des polluants classiques de qualité de l’air (dioxyde d’azote, dioxyde de souffre…) et non sur la composition chimique précise de la fumée et des suies spécifiques à l’incendie de Lubrizol, sans qu’une réponse ne leur soit apportée. À ce jour, aucun dispositif de suivi sanitaire de la population exposée aux fumées et aux suies n’a été annoncé.

Aussi, l’enquête judiciaire en cours, qui porte sur les causes de cet accident et les responsabilités impliquées, ne fait pas obstacle à ce que la représentation nationale exerce légitimement ses prérogatives de contrôle. Une commission d’enquête doit en effet être constituée pour examiner la gestion de cette crise et en particulier :

 les dispositifs dalerte et d’information en temps réel de la population dans le cas de l’incendie de Lubrizol et plus généralement en cas d’accident industriel ;

 la transparence des données sur les risques encourus pour la santé et l’environnement, la conduite des analyses scientifiques concernant les impacts sanitaires et environnementaux ainsi que les modalités de leur communication immédiate au grand public ;

 la participation effective des élus locaux à la gestion de crise ;

 la mise en œuvre de protocoles de suivi sanitaire de la population et le déclenchement de cellules d’aide médico‑psychologiques en cas d’accident ;

 lapplication des instructions gouvernementales de 2013 et d’août 2014 concernant la gestion de crise, qui faisaient suite au retour d’expérience sur le précédent accident de 2013 ;

 la surveillance des risques technologiques s’agissant du site Lubrizol de Rouen, qui avait déjà provoqué des incidents, et plus largement des autres sites Seveso ;

 les moyens consacrés à la prévention de ces risques technologiques et au contrôle des sites Seveso, ainsi que les suites données lors de la constatation de manquements ;

 les sanctions applicables en cas de manquement des entreprises, qui semblent particulièrement symboliques.

En effet, le site industriel Lubrizol de Rouen avait déjà fait l’objet d’un incident grave en janvier 2013, à l’origine d’un dégagement de mercaptan qui avait été ressenti jusqu’en Île‑de‑France et au sud de l’Angleterre, incommodant de nombreux habitants, provoquant des inquiétudes et causant de ce fait un important préjudice à la collectivité. À la suite des procédures administratives et judiciaires engagées, Lubrizol avait été condamné en 2014 à une amende de seulement 4 000 euros pour « négligence ».

En 2015, l’usine avait déversé plusieurs milliers de litres d’huile dans le réseau d’évacuation des eaux pluviales.

En 2017, Lubrizol avait été mis en demeure par l’administration pour 17 manquements.

Pourtant, en 2019, l’entreprise a bénéficié d’une autorisation administrative d’extension du site pour augmenter les quantités autorisées de plusieurs substances dangereuses, en étant exonérée d’une étude d’impact environnemental.

Aussi, au‑delà des préoccupations relatives à la transparence sur les risques, cet accident industriel majeur pose tout un ensemble de questions sur la politique de l’État en matière de prévention des risques technologiques, de gestion de crise et concernant la législation applicable en la matière. À la suite de l’accident de 2013, l’État avait annoncé un plan d’action concernant les PPRT et les modalités d’intervention et de réaction en cas d’accident industriel. Force est de constater que ces conclusions ne paraissent pas avoir été mises en œuvre.

C’est pourquoi la présente proposition de résolution propose la création d’une commission de trente membres chargée d’enquêter sur l’action des pouvoirs publics relative à la prévention et la gestion de l’incendie du site industriel Lubrizol à Rouen le 26 septembre 2019 ainsi qu’à ses conséquences sanitaires et environnementales.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’enquêter sur l’action des pouvoirs publics relative à la prévention et la gestion de l’incendie du site industriel Lubrizol à Rouen le 26 septembre 2019 ainsi qu’à ses conséquences sanitaires et environnementales.