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N° 2399

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à protéger la compétitivité du financement
de l’économie dans le cadre de la transposition
de l’accord du comité de Bâle de 2017,

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric WOERTH, Damien ABAD, Gilles LE GENDRE, Patrick MIGNOLA, JeanChristophe LAGARDE, Philippe VIGIER, Joël GIRAUD, Olivia GREGOIRE, Daniel LABARONNE, JeanNoël BARROT, Charles de COURSON, Benjamin DIRX, Nadia HAI, MarieChristine DALLOZ, Saïd AHAMADA, François ANDRÉ, Émilie CARIOU, AnneLaure CATTELOT, JeanRené CAZENEUVE, Philippe CHASSAING, Francis CHOUAT, Olivier DAMAISIN, Dominique DAVID, Stella DUPONT, Sophie ERRANTE, Olivier GAILLARD, Perrine GOULET, Romain GRAU, Alexandre HOLROYD, Christophe JERRETIE, François JOLIVET, Michel LAUZZANA, Fabrice LE VIGOUREUX, MarieAnge MAGNE, Cendra MOTIN, Catherine OSSON, Xavier PALUSZKIEWICZ, Hervé PELLOIS, Valérie PETIT, Bénédicte PEYROL, Benoit POTTERIE, Xavier ROSEREN, Laurent SAINTMARTIN, Jacques SAVATIER, Olivier SERVA, Benoit SIMIAN, MarieChristine VERDIERJOUCLAS, Émilie BONNIVARD, Fabrice BRUN, Gilles CARREZ, François CORNUTGENTILLE, Nicolas FORISSIER, Patrick HETZEL, Marc LE FUR, Véronique LOUWAGIE, Robin REDA, Bruno DUVERGÉ, Sarah EL HAÏRY, Mohamed LAQHILA, JeanPaul MATTEI, Vincent LEDOUX, Patricia LEMOINE, Lise MAGNIER, Michel CASTELLANI, François PUPPONI,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise des subprimes qui a débuté en 2008 aux États‑Unis s’est rapidement étendue à tout le système financier mondial, et s’est muée en crise économique. Cette crise a notamment mis en évidence les faiblesses de certains secteurs bancaires internationaux.

De très importantes réformes ont alors été engagées au niveau mondial, puis déclinées au niveau européen et national pour renforcer la solidité du système financier et bancaire : sous l’égide du G20 les travaux du comité de Bâle, réunissant les superviseurs du monde entier, ont donné naissance à des pans entiers de règlementations nouvelles. En Europe, l’Union bancaire a été installée avec ses mécanismes de supervision unique (MSU) et de résolution unique (MRU), et des « stress tests » mettent régulièrement à l’épreuve les banques européennes.

Depuis 10 ans, la capacité des banques à résister aux chocs économiques s’est considérablement renforcée. Le ratio de solvabilité des principales banques françaises, principal indicateur de leur solidité, a ainsi cru de 5,8 % à 13,6 % entre 2008 et 2018 : cela représente un renforcement des fonds propres de 180 milliards d’euros. Les banques de la zone euro sont ainsi « plus solides », possèdent « une base de capital beaucoup plus forte » et « une plus grande capacité à absorber les chocs » déclarait ainsi en novembre 2018 la présidente du MSU à l’occasion de la présentation du résultat des derniers stress‑tests.

Le comité de Bâle, le 7 décembre 2017, a conclu un accord technique qui devait permettre d’apporter les derniers ajustements à un corpus réglementaire largement refondé depuis 2010, en précisant les exigences prudentielles et en permettant une meilleure comparabilité au niveau international. Revenant sur les acquis des précédents accords, une préférence est désormais donnée à l’application de pondérations forfaitaires plutôt qu’à une évaluation du risque réalisée en interne par les banques sur la base, notamment, de données historiques.

Le mandat politique donné par le G20 au comité de Bâle, le 27 février 2016, pour cette révision technique devant préciser les réformes précédentes était que les exigences de fonds propres globales « n’augmentent pas significativement ». Lors du Conseil Ecofin du 12 juillet 2016, les ministres des finances européens précisaient d’une part que « l’ensemble des réformes n’est pas censé donner lieu à un renforcement sensible des exigences globales de fonds propres pour le secteur bancaire », et d’autre part que cela ne devrait pas entraîner « de différences importantes pour certaines régions du monde ». Le Parlement Européen, le 23 novembre 2016, posait les mêmes principes de « ne pas augmenter de manière significative les exigences globales de fonds propres » et d’« encourager des conditions égales au niveau mondial ». Le G20 a réaffirmé ce double mandat politique dans des termes similaires le 18 mars 2017 : ne pas augmenter significativement les exigences globales de fonds propres et promouvoir l’égalité entre les différents pays.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont quant à eux voté à l’unanimité, en mai et juin 2016, les propositions de résolution n° 3782 (Assemblée nationale) et n° 143 (Sénat) « visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle ».

Pourtant, le texte du comité de Bâle arrêté fin 2017 ne respecte ni l’une ni l’autre des deux conditions essentielles posées par le G20, avec le soutien du Conseil et du Parlement européen.

En effet, les études d’impact publiées successivement par le Comité de Bâle le 20 mars 2019 et l’Autorité bancaire européenne (ABE) le 5 août 2019 mettent en évidence une hausse moyenne des exigences de plus de 24 % pour les banques européennes et même 28 % pour les très grandes banques (environ 25 % pour les banques françaises d’après l’EBA). Cela représenterait 400 milliards d’euros additionnels que les banques devraient mobiliser pour maintenir leur niveau de solvabilité actuel.

D’autre part, l’étude du Comité de Bâle calcule que l’impact du texte proposé ne serait que de 1,5 % pour les banques américaines, créant ainsi un déséquilibre et un désavantage compétitif majeur pour l’industrie européenne.

Enfin, contrairement au souhait exprimé par l’Assemblée nationale et le Sénat, l’accord de Bâle multiplie par 2,6 le coût règlementaire du crédit immobilier en France.

Or le circuit bancaire représente encore aujourd’hui les trois‑quarts du financement de l’économie de l’Union européenne : particuliers, PME, grandes entreprises, États et collectivités publiques. Les alternatives qui se sont développées ces dernières années ne sont facilement accessibles qu’aux plus grandes entreprises : le rôle des banques reste ainsi en Europe et en France un enjeu majeur de souveraineté et de compétitivité économique. 

Outre le financement de la croissance ‑ le volume de crédit augmente de 6 % par an en France ‑, le secteur bancaire est en première ligne de deux défis immenses pour la modernisation de l’économie, dans un environnement international de plus en plus compétitif : l’investissement dans la transformation numérique et la transition écologique.

Les conséquences de la transposition en l’état, en droit européen et français, de l’accord de Bâle seraient donc particulièrement sévères, à la fois sur le financement de l’économie et sur la compétitivité et la souveraineté du système financier français et européen. Pour augmenter leurs fonds propres au niveau proposé par Bâle, les banques françaises devraient mettre en réserve l’intégralité de leur résultat non distribué pendant 5 ans. Cela paralyserait la capacité des banques à financer la croissance de l’économie, et à accroître leur niveau d’investissement dans les transitions numérique et écologique.

Le financement de pans entiers de notre économie serait mis à mal par un renchérissement significatif de leur coût en fonds propres : le modèle du crédit immobilier résidentiel de long terme à taux fixe (coût réglementaire multiplié par 2,6) ; les financements aéronautiques (multiplication par 4) ; ainsi que d’autres opérations : financements de projets, d’avions, d’infrastructures dans le contexte de la transition énergétique, etc.

Alors que le développement des exportations est une priorité en France, les opérations financières qui facilitent et sécurisent les ventes à l’international doivent être préservées. Les entreprises européennes sont aussi très exposées au risque de change puisque le dollar reste la devise privilégiée des échanges internationaux : il importe que les entreprises puissent continuer à disposer d’une offre de produits de couverture adaptée, au coût modéré.

Les entreprises françaises sont aujourd’hui très inquiètes des conséquences de la mise en œuvre du texte du comité de Bâle. 

La compétitivité de l’industrie financière française et européenne, et la souveraineté économique de notre pays et de l’Union seraient également mises en danger par ce texte du comité de Bâle.

La structure de financement de l’économie européenne diffère notablement de celle de l’économie américaine. Le poids de l’intermédiation dans l’activité des groupes bancaires y est plus fort, la part du crédit immobilier dans les bilans nettement plus importante, et la nature économique et juridique même des instruments de crédit (garanties par exemple) différente.

Alors que la rentabilité des banques américaines est déjà 1,6 fois supérieure à celle des banques européennes, les nouvelles exigences qui pèseraient sur les premières (+1,5 % de fonds propres) seraient bien moins contraignantes que pour les secondes (+24 %), aggravant l’écart déjà existant.

Les banques de financement et d’investissement européennes ont d’ailleurs déjà perdu 10 % de parts de marché en 10 ans dans l’Union Européenne, ce qui soulève la question de la maîtrise par l’Union de ses sources de financement.

De même, une dépendance excessive du financement des entreprises françaises et européennes vis‑à‑vis des marchés de capitaux américains et asiatiques, beaucoup plus profonds que les marchés européens, notamment du fait de du système des fonds de pension, serait dangereuse.

Enfin, la maîtrise de la chaîne de financement de secteurs stratégiques (aéronautique, défense, énergie notamment) constitue aussi un ressort important de souveraineté.

La transposition du texte du comité de Bâle en droit européen et français doit avoir lieu très prochainement, un projet devant être présenté dans le courant de l’année 2020 par la Commission européenne.

Les recommandations de l’Autorité bancaire européenne accompagnant son étude d’impact ne sont pas rassurantes. Alors qu’il est important de limiter la fragmentation bancaire, il est proposé d’appliquer l’output floor au niveau de toutes les entités bancaires ; alors que le financement des petites et moyennes entreprises est au cœur des politiques économiques françaises et européennes, la suppression du facteur supplétif applicable aux PME est envisagée ; enfin, alors que le financement des infrastructures est un enjeu de souveraineté européenne dans un contexte de transition énergétique, le maintien de la réduction des exigences de fonds propres obtenue en mai 2019 au moment de la négociation du « paquet bancaire » n’est pas soutenu par l’Autorité bancaire européenne.

L’objet de cette résolution est donc de rappeler qu’il est essentiel que la transposition de cette réforme technique respecte les principes posés et réaffirmés par les plus hautes autorités politiques : un renforcement marginal des exigences de fonds propres des banques ; une égalité de traitement entre les différentes régions du monde.

La transposition devrait favoriser une meilleure sensibilité aux risques, prendre en compte les spécificités des instruments de financement français et européens, limiter les effets néfastes de mécanismes forfaitaires (notamment l’output floor, dont le périmètre devrait être limité aux exigences de Bâle, et appliqué au niveau du groupe consolidé), éviter tout renforcement de la fragmentation de l’Union bancaire préjudiciable à une bonne circulation des capitaux au sein de l’Union, et favoriser le bon développement de l’Union des marchés de capitaux.

Des ajustements peuvent être apportés au texte de Bâle lors de sa transposition. Ces ajustements permettront d’aligner ses mécanismes avec les principes politiques rappelés ci‑dessus.  

Il est essentiel, pour faire respecter le mandat politique du G20 et des instances de l’Union, pour préserver la compétitivité de l’économie européenne, et pour assurer que la règlementation prudentielle ne rentre pas en contradiction avec les objectifs de la politique monétaire, que soit adaptée la transposition de l’accord de Bâle en droit européen et français.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le mandat politique donné par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 réunis le 27 février 2016 à Shanghai, en Chine : « Nous soutenons les travaux du comité de Bâle destinés à raffiner des éléments de Bâle III pour assurer sa cohérence et maximiser son efficacité, sans accroître significativement les exigences de fonds propres globales du secteur bancaire »,

Vu les conclusions du Conseil Affaires économiques et financières du 12 juillet 2016, qui précisaient : « Le Conseil de l’Union fait observer que l’ensemble des réformes [bancaires issues du Comité de Bâle] n’est pas censé donner lieu à un renforcement sensible des exigences globales de fonds propres pour le secteur bancaire, ce qui n’entraînera donc pas de différences importantes pour certaines régions du monde »,

Vu la résolution du Parlement européen du 23 novembre 2016 sur la finalisation de Bâle III (2016/2959), qui posait comme principes de « ne pas augmenter de manière significative les exigences globales de fonds propres » et d’ « encourager des conditions égales au niveau mondial »,

Vu le mandat politique renouvelé des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 réunis le 18 mars 2017 à Baden‑Baden, en Allemagne : « Nous confirmons notre soutien aux travaux du [comité de Bâle] pour finaliser le cadre de Bâle III sans augmenter significativement les exigences globales des fonds propres du secteur bancaire, tout en favorisant un pied d’égalité [entre les différents pays] »,

Vu la résolution visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle adoptée par l’Assemblée Nationale le 13 juin 2016,

Vu la résolution visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle adoptée par le Sénat le 18 mai 2016,

Vu l’accord du comité de Bâle dit de finalisation des réformes Bâle III conclu le 7 décembre 2017,

Partageant l’objectif principal poursuivi par le Comité́ de Bâle, à savoir le renforcement de la résilience du secteur bancaire ;

Observant que les banques européennes assurent aujourd’hui 75% des besoins de financement de l’économie, et que les alternatives (marchés financiers essentiellement) ne sont facilement accessibles qu’à un nombre restreint d’acteurs de grande taille ;

Rappelant que les besoins de financement des entreprises et des ménages ‑ en croissance de 6 % par an en France ‑ sont encore accrus par la nécessité de soutenir de façon décisive la transition écologique et la transformation numérique ;

Relevant que les études quantitatives d’impact publiées le 20 mars 2019 par le Comité de Bâle, et le 5 août 2019 par l’Autorité bancaire européenne (ABE) confirment une augmentation significative de plus de 24 % des exigences de capital globales pour l’ensemble des banques européennes, soit plus de 400 milliards d’euros de fonds propres additionnels ;

Notant que le coût en fonds propres de certains types de financements clés pour les particuliers et les entreprises serait considérablement renchéri pour les banques européennes ;

Notant que la disponibilité et le coût des financements à l’export ainsi que des instruments de couverture des risques financiers et notamment des risques de change pourraient également être affectés négativement par la réforme envisagée ;

Craignant qu’un durcissement notable des conditions de financement des entreprises et des particuliers n’ait un impact immédiat et durable sur la compétitivité et la croissance économique de l’Union.

Constatant que les entreprises françaises s’inquiètent des conséquences de la réforme proposée sur leurs conditions de financement ; 

Constatant que la structure du financement de l’économie européenne diffère de celle de l’économie américaine ;

Relevant que l’étude d’impact du comité de Bâle indique que la hausse des exigences de fonds propres pour les banques américaines serait limitée à +1,5 % ;

Relevant que les premières recommandations faites par l’Autorité bancaire européenne vont dans le sens d’une sur‑transposition de l’accord bâlois et d’une remise en cause de certains mécanismes récemment adoptés lors de la négociation du dernier « paquet bancaire » visant, par exemple, à stimuler le financement des petites et moyennes entreprises et de certaines infrastructures ;

Notant que le secteur bancaire européen perd aujourd’hui des parts de marché en Europe au profit des banques américaines ; 

Considérant qu’une dépendance accrue des entreprises européennes aux marchés financiers américains et asiatiques est dangereuse pour la souveraineté économique de l’Union ;

Soulignant que la maîtrise de la chaîne de financement de secteurs stratégiques (aéronautique, énergie, etc.) est également une condition essentielle de souveraineté ; 

Constatant que le Premier ministre, lors d’un discours à Europlace le 9 juillet 2019, a souligné sa « détermination » à défendre « la souveraineté financière européenne », à veiller « au développement d’une concurrence saine et équitable avec les établissements financiers qui se trouvent en‑dehors de l’Union » et à ne pas s’ « imposer des normes démesurément contraignantes par rapport à celles des autres », ainsi qu’à porter « la plus grande attention à l’évaluation précise des conséquences sur l’économie européenne de l’accord final de Bâle III » ;

Constatant finalement que le texte technique issu de l’accord du comité de Bâle ne respecte pas les principes fondamentaux posés par les autorités politiques à tous les niveaux avant la négociation ;

Souhaite, avant toute chose, que les impacts macro‑économiques de la réforme sur le financement de l’économie soient soigneusement évalués et partagés ;

Invite le Gouvernement à œuvrer, lors des travaux de transposition des accords de Bâle du 7 décembre 2017, à la réalisation des ajustements nécessaires pour, notamment, ne pas augmenter significativement les exigences de fonds propres globales des banques européennes, et préserver le coût réglementaire du financement des secteurs les plus menacés par le texte actuel d’une part ; assurer un niveau de contrainte commensurable à celui des banques américaines, et prendre en compte la spécificité des modalités de financement en France et en Europe d’autre part.