N° 2413
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2019.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur la nouvelle route du littoral à La Réunion,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean‑Hugues RATENON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Jean‑Luc MÉLENCHON, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE, Jean‑Félix ACQUAVIVA, Michel CASTELLANI, Paul‑André COLOMBANI,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Envisagée depuis 2013 par la région Réunion, la Nouvelle Route du Littoral (NRL) est un ouvrage de 12,5 km de long construit à plus de 20 mètres au‑dessus de l’Océan Indien, à quelques mètres de la route en service actuellement et situé en pied de falaise. Reliant Saint‑Denis à La Possession en deux fois trois voies, la NRL fait débat depuis les premières étapes de sa conception.
Les critiques et doutes légitimes principaux qui pèsent sur ce projet se découpent en deux volets :
I. – Sur les critères écologiques
A. – De l’impact écologique et environnemental de l’ouvrage lui‑même
Le débat sur l’impact écologique et environnemental de la construction de la Nouvelle Route du Littoral est au cœur de la contestation portée contre ce projet. De nombreuses études préalables ou en cours de chantier se trouvent contestées par de nombreux organismes et experts, notamment sur le fondement d’avis négatifs exprimés par différentes autorités environnementales avant même le début du projet.
Ainsi, le CNPN indique dans son rapport ([1]) que « le volet terrestre “flore/habitats” de la nouvelle route du littoral repose sur le postulat que la nouvelle route (viaduc et digue) ne modifie pas ou seulement de manière négligeable les conditions écologiques de la falaise, et notamment la ventilation des embruns. Il s’appuie pour cela, et presque exclusivement, sur les résultats d’une étude de modélisation des embruns, réalisée en 2012 par la Société Nortekmed et le Mediterranean Institute of Oceanography (Université de Toulon). L’adéquation de cette étude et de ses résultats avec les problématiques de conditions de salinité des habitats de la falaise et d’impact marin sur la végétation, a été mise pour partie en doute dès 2013 (par le CSRPN de La Réunion, par le CNPN, par la DEAL Réunion dans son “rapport d’instruction du dossier de dérogation "espèces protégées"” du 6 juin 2013, etc.). »
Comme l’indique Réunion 1ère ([2]) : « Le CNPN craint le pire car la partie en digue, ces 2,7 km qu’il reste à finir, sera beaucoup plus impactante que tout le reste de l’ouvrage. Cette portion est notamment l’habitat d’une espèce végétale protégée depuis 2017, le Bois de Paille‑en‑queue. Pour poursuivre les travaux, la Région doit donc obtenir une dérogation, écrit le CNPN. Le Bois de Paille‑en‑queue étant une espèce qui a besoin des embruns marins pour vivre. Si la digue venait à être construite, ce sont près de 60 % de la population mondiale de cette espèce qui seraient menacés. »
Récifs coralliens impactés, destruction de lieux de vie du Grand dauphin Tursiops aduncus, insuffisance de l’évaluation quant à l’impact sonore des travaux sur les bonnes conditions de vie de cétacés... sont autant de points extrêmement problématiques quant à la poursuite des travaux de la NRL.
B. – De l’impact écologique et environnemental des carrières envisagées pour approvisionner le chantier
Pour sa construction, la NRL nécessite 19 millions de tonnes de matériaux. Cependant, La Réunion ne comporte pas aujourd’hui de carrières suffisantes pour approvisionner le chantier. Ainsi, de nombreux projets de carrières ont été et sont à l’étude.
Dans son avis, particulièrement défavorable, le Conseil national de la protection de la nature indique qu’il « ne peut que regretter le “flottement” administratif qui entoure la situation juridique de ces carrières et souhaiterait qu’un point précis soit fait sur la question, sans aucune ambiguïté et que l’administration justifie, de façon explicite et motivée, en quoi cette exploitation reste possible au regard des dispositions du schéma 2010 revenu en vigueur. »
De plus, les écosystèmes présents dans les zones de carrière visées abritent de nombreuses espèces protégées et/ou en danger qui seraient menacées par la mise en service ou l’extension de celles‑ci.
Pour conclure, la synthèse du rapport 2018 du CNPN est sans appel : « Les évaluations réalisées sur la base des informations et documents fournis par le pétitionnaire dans le cadre de cette auto‑saisine 2018 du CNPN font état d’un certain nombre d’impacts négatifs avérés, d’insuffisances de prise en compte et d’incertitudes relatives aux impacts environnementaux du projet de NRL, et en particulier aux conséquences prévisibles de la réalisation projetée de la digue sur remblais. Les constats réalisés en 2018 confortent ainsi les inquiétudes des avis du CSRPN et du CNPN formulés en 2012 et 2013. » Ce constat est adjoint de la recommandation d’une nouvelle expertise au titre de l’article 68 de la loi n° 2016‑1087 du 8 août 2016 pour « la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Cette nouvelle expertise n’a toujours pas été commandée, ainsi nous pouvons estimer que la Commission d’enquête peut se saisir de cette question.
II. – Sur les critères financiers et économiques
A. – Des dépassements budgétaires, surcoûts et retards
Initialement prévue pour un coût total de 1,6 milliard d’euros (700 millions à la charge de la région, 790 millions pour l’État et 150 millions issus de fonds européens), le budget nécessaire à la réalisation de cette route (la plus chère au monde) atteignait déjà 2 milliards d’euros en 2017.
Alors que le chantier débutait en 2014 avec une livraison prévue pour 2020, les dernières estimations au regard des retards laissent présager d’une livraison à horizon 2023 voire 2025 (selon le journal Libération ([3])).
Ces dépassements budgétaires et de délais questionnent sur la capacité de la région à être maître d’ouvrage, mais aussi la sincérité du duo Bouygues‑Vinci dans ces surcoûts.
B. – Des soupçons qui pèsent sur l’attribution des marchés publics
Depuis 2015, le Parquet national financier s’est saisi du dossier de la NRL ([4]) notamment pour des faits supposés de favoritisme, trafic d’influence et corruption.
Comme l’indique le journal l’Humanité ([5]), cette procédure « n’a rien de courant. Elle a été déclenchée après que la gendarmerie a reçu une lettre anonyme, dénonçant de graves irrégularités dans l’attribution des marchés publics. Une lettre reçue dans un double contexte de divisions au sein de la majorité régionale de droite, et de recours judiciaires lancés par la société Eiffage, grande perdante des appels d’offres. C’est en effet ses concurrentes Vinci et Bouygues qui ont raflé la mise : avec un autre groupement (GTOI/SBTPC) elles ont obtenu des marchés pour 1,2 milliard d’euros, sur les 1,6 milliard provisionnés. La lettre reçue par les gendarmes comportait quatre noms d’élus de la majorité, qui auraient touché des sommes d’argent pour l’attribution de ces marchés. Des indiscrétions à l’Assemblée régionale font état de plusieurs millions d’euros… »
Alors que la Nouvelle Route du Littoral sera la route la plus chère du monde (dépassant les 160 millions d’euros par kilomètre contre seulement 15 pour une route « normale » sur le territoire hexagonal), ainsi que dans une optique d’éthique et de bon usage des deniers publics, il convient de se questionner sur l’ensemble des procédures qui ont entouré l’attribution des marchés.
Pour toutes ces raisons, et de nombreuses autres, nous proposons que soit créée une commission d’enquête sur la Nouvelle Route du Littoral (en excluant le champ des enquêtes pénales en cours).
proposition de rÉsolution
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’examiner le processus de décision qui a conduit à l’adoption de la variante avec digue, l’ensemble des conséquences écologiques et environnementales de la nouvelle route du littoral et des chantiers et projets y participant, des conditions de respect des procédures légales tant de protection de l’environnement que sur le volet financier, les conditions ayant entraîné des retards et surcoûts ainsi que sur l’impact de ce projet sur l’économie réunionnaise.
([1]) Avis final du CNPN : https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/sites/regions_outremer/files/assets/documents/2019/01/11/avis_final_cnpn_autosaisine_projet_route_du_littoral_de_la_reunion_du_21_decembre_2018-985113.pdf
([2]) https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/nrl-associations-se-federent-contre-partie-digue-671353.html
([3]) https://www.liberation.fr/france/2019/09/29/a-la-reunion-la-nouvelle-route-du-littoral-a-le-bec-dans-l-eau_1754356