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N° 3361

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création dune commission denquête sur la gestion et le contrôle des sites de stockage de nitrate dammonium en France,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Guy BRICOUT, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jennifer De TEMMERMAN, Pierre DHARRÉVILLE, Frédérique DUMAS, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Jérôme LAMBERT, Michel LARIVE, Sébastien NADOT, Danièle OBONO, Stéphane PEU, Valérie PETIT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Gabriel SERVILLE, Bénédicte TAURINE, Frédérique TUFFNELL,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Plus jamais ça !

Le mardi 4 août 2020, une gigantesque explosion survenait à Beyrouth, faisant près de 190 morts et plus de 6 500 blessés. Des quartiers entiers ont été détruits et des habitations dévastées, laissant 300 000 personnes sans abri et la capitale libanaise en deuil. À l’origine du drame, un incendie puis l’explosion d’un stock de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, une substance principalement destinée à la production d’engrais, connue pour son potentiel explosif.

La liste des catastrophes liée à cette substance est longue, et comprend, en France, l’explosion de l’usine Total AZF le 21 septembre 2001, qui avait causé 31 décès et plus de 2 200 blessés. Le volume du stock qui avait explosé s’élevait entre 20 et 120 tonnes d’ammonitrate. Il a fallu attendre décembre 2019 pour, qu’enfin, la responsabilité pénale du PDG et de la société Grande Paroisse soit définitivement établie.

Le traumatisme lié à l’explosion est encore vif. L’entreprise Yara, leader mondial des engrais de synthèse, stocke jusqu’à 68 000 tonnes de nitrate d’ammonium à Ambès, à proximité de Bordeaux, soit un volume 25 fois plus élevé qu’à Beyrouth, et 3 400 fois plus élevé que le stock qui a explosé à Toulouse en 2001. Citoyens, riverains, associations de protection de l’environnement s’inquiètent et se mobilisent :

« Quand jai vu ce quil en restait [lusine AZF], je me suis dit que si ça pétait ici, ce ne serait pas bon pour nous. »

Usine d’engrais à Montoir‑de‑Bretagne : « J’ai peur qu’un jour, ça pète », Libération, 17 juin 2020.

Cette proposition de résolution se donne pour objectif d’enquêter sur la gestion et le contrôle des sites de stockage de nitrate d’ammonium en France, afin que plus jamais, nous n’ayons à faire face à de telles catastrophes. Au‑delà du contrôle, elle interroge aussi les nécessaires sanctions administratives ou pénales, afin qu’elles soient suffisamment dissuasives – comme dans le cas de la prévention routière – pour contraindre les industriels à l’anticipation des catastrophes et donc les inciter à la prévention.

Tirons des leçons des catastrophes passées

En France, la base de données Géorisques du gouvernement recense 225 sites stockant plus de 500 tonnes de nitrate d’ammonium dont 108 classés « Seveso » et 16 classés « Seveso seuil haut », c’est‑à‑dire avec un volume supérieur à 2 500 tonnes. Les sites classés « Seveso seuil haut » sont inspectés tous les ans, et tous les 3 ans pour les sites classés « Seveso seuil bas ». En revanche, les 45 sites français soumis à enregistrement – dont le volume du stock est compris entre 250 et 500 tonnes de nitrate d’ammonium – ne sont inspectés que tous les 7 ans. Enfin, la réglementation n’impose toujours pas le référencement des stockages inférieurs à 250 tonnes. En effet, les sites dont les stocks sont inférieurs ou égaux à 250 tonnes de nitrate d’ammonium ne sont soumis à aucune norme environnementale ni à aucun régime de déclaration. C’est pourtant ce volume de nitrate d’ammonium qui a explosé à Toulouse en 2001 (entre 20 et 120 tonnes). À l’inverse, en Belgique par exemple, les sites sont réglementés et inspectés à partir d’un stock équivalent à 300 kilos.

Ainsi, les entrepôts les plus petits ne sont jamais inspectés et peuvent sous‑déclarer leurs marchandises, comme c’était le cas de Normandie Logistique, à l’origine de l’incendie de Lubrizol. Alors qu’aura lieu le 26 septembre prochain le triste anniversaire de cet événement, ces catastrophes interrogent les seuils pour lesquels les réglementations sont applicables et les modalités de contrôle des services de l’État.

Les auteurs du rapport sénatorial sur les conséquences de l’incendie notaient que les contrôles des installations classées pour la protection de l’environnement réalisées chaque année étaient passées de 25 121 en 2003 à 18 196, en 2018. En définitive, de 2005 à 2018, le nombre total de visites des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) a baissé de 39 %. Ils soulignaient également le manque d’information en temps réel des services de l’État à propos des produits entreposés dans les locaux industriels. Dans le cas de Lubrizol, il avait fallu attendre plusieurs jours pour apprendre que 9 500 tonnes de matière avaient brûlé et non 5 000 tonnes, comme indiqué au préalable par l’usine.

Avant l’incendie, l’entreprise avait même fait l’objet de contrôles et de mises en demeure. Néanmoins, les recommandations formulées par les services de l’État n’avaient pas été suivies d’effet et aucune sanction n’a été appliquée en dépit des infractions constatées. Du côté des industriels, la sociologue de la santé Annie Thébaud‑Mony interroge également le rôle de la sous‑traitance dans les conditions de possibilité de ces accidents industriels à répétition. Elle pointe la logique du moins‑disant qui régit le recours à la sous‑traitance, mais aussi la sous‑traitance en cascade, généralement pour des activités dites « invisibles » ou méprisées comme la manutention, le nettoyage, le tri des déchets… indispensables à la sécurité et à la sûreté des installations.

Ces catastrophes mettent en lumière la logique destructrice qui consiste à « faire mieux avec moins ». La « simplification » des procédures n’est que l’autre nom de l’affaiblissement de l’État. Dans ce cas précis, la suppression progressive des effectifs et la restriction des moyens permettant de faire respecter les normes empêchent de décrire ces événements comme de simples « accidents » ou des « hasards ». D’après Paul Poulain, expert en maîtrise des risques industriels, on recensait en 2019 un total de 1 089 accidents industriels, soit l’équivalent de 3 par jour. Les politiques austéritaires entraînent une série de dysfonctionnements qui ne permettent pas à l’État d’assurer sa fonction première : celle de veiller à l’intérêt général et de sanctionner les infractions aux réglementations en vigueur (santé, travail, environnement).

Un risque accru avec le changement climatique

Le changement climatique représente un risque supplémentaire de catastrophe industrielle. D’après la classification de l’ONU, en l’absence de combustible, le nitrate d’ammonium n’est pas considéré comme un explosif. En revanche, une simple poussière combinée à un petit incendie suffit à provoquer une détonation à son contact. À ce titre, il a été interdit en Irlande pour des raisons de sûreté. En France, il s’agit donc d’un risque qu’encourent les agriculteurs en premier lieu, mais également les pompiers susceptibles d’intervenir dans une telle situation. Le 2 octobre 2003, à Saint‑Romain‑en‑Jarez, l’incendie d’un entrepôt frigorifique dans une ferme avait entraîné l’explosion de 3,5 tonnes de nitrate d’ammonium. 17 pompiers avaient été blessés, dont 3 grièvement.

Ainsi, la prévention de ce risque doit également permettre d’évaluer le principe de substitution et la bifurcation de notre modèle agricole. L’utilisation de ces engrais chimiques s’inscrit dans une logique d’agrobusiness, à laquelle les agriculteurs sont assujettis malgré eux, puisque nuisible pour leur santé et notre écosystème. La France est le premier consommateur européen d’engrais de synthèse, et pourtant, le recours aux engrais azotés chimiques entraîne une série d’effets délétères sur la qualité de l’air et des sols, la biodiversité et la santé.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer :

1. La gestion des sites stockant du nitrate d’ammonium et leur recours à la sous‑traitance.

2. La réglementation en vigueur concernant le recensement des sites et les seuils de stockage susceptibles d’être inspectés.

3. Le contrôle des services de l’État du respect des normes sanitaires, environnementales et de toute forme de réglementation, y compris la mise en application de sanctions administratives ou pénales, selon la gravité des infractions.

4. La qualité et l’adéquation des moyens mis en œuvre par l’État dans le contrôle et le suivi des risques, qui ne peut s’en remettre aux seuls systèmes de normes et assurance‑qualité privés (type ISO).

5. Le principe de substitution permettant de diminuer les dangers liés à l’utilisation d’engrais à base de nitrate d’ammonium.