Description : LOGO

N° 3401

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale 9 octobre 2020

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur le rôle de l’État dans le projet de rachat par Veolia de Suez et ses conséquences sur la gestion de l’eau et des déchets,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLuc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,  

Député‑e‑s.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Vers une nouvelle casse industrielle, stratégique et sociale

Le 30 août 2020, Veolia, numéro un français de la gestion de l’eau et des déchets, annonce son intention de racheter le numéro deux, Suez, en se portant candidat à l’acquisition de la quasi‑totalité des parts d’Engie, soit 29,9 % de Suez. Veolia envisage dans un second temps une fusion via une offre publique d’achat (OPA) sur le reste des actions.

Cette fusion serait une nouvelle désorganisation industrielle, stratégique et sociale intolérable après les précédents lamentable d’Alstom, de Technip ou d’Alcatel pour ne citer qu’eux.

Nous savons que le démantèlement de Suez est inévitable à l’issue de ce rachat pour que la nouvelle entité soit conforme aux impératifs de concurrence. Son activité eau en France sera confiée au fonds d’investissement Meridiam. Veolia devra également vendre à la découpe certains actifs de Suez.

Au niveau stratégique, l’État se priverait d’une expertise et de compétences essentielles pour mener la bifurcation écologique. C’est particulièrement le cas dans la gestion de l’eau, enjeu pourtant essentiel, qui serait alors détenue en grande partie par des fonds ou par un opérateur privé comme Veolia.

Le bilan social sera lourd comme à chaque fois dans ce type d’opération : Veolia attend 500 millions d’euros de « synergies » qui se traduiraient concrètement par la destruction de 4 000 emplois rien qu’en France. À cela s’ajouterait une future augmentation du prix de l’eau pour les citoyens français.

Cette fusion est donc contraire l’intérêt général.

Or, le 5 octobre, le conseil d’administration d’Engie, ex GDF‑Suez, a voté la vente de la quasi‑totalité de sa participation dans Suez à Veolia. Veolia prend ainsi le contrôle de Suez et a désormais champ libre pour mener la fusion avec Suez à son terme.

Des conditions opaques qui cachent une affaire d’État ?

Sur ce sujet comme sur tant d’autres, le Gouvernement louvoie, oscille entre soutien et opposition de façade. Selon les informations de plusieurs médias, le président de la République et les plus hautes strates de l’Élysée sont en faveur de ce projet depuis plusieurs mois. Le Premier ministre en personne a estimé début septembre que le rapprochement « faisait sens ». Seulement, à mesure que s’étalait sur la place publique cette guerre fratricide entre Veolia et Suez, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a tempéré leurs ardeurs en martelant que l’opération ne devait pas être « hostile ». C’est pour cette raison, officiellement, que les représentants de l’État, qui détient prêt d’un quart des parts d’Engie, ont voté contre la cession des parts de l’énergéticien dans Suez à Veolia.

Pourtant, une enquête de Mediapart révèle qu’en coulisses, tout a été fait pour organiser la défaite de l’État, qui sauve la face par un vote d’opposition purement symbolique. En effet, le soutien à la vente des membres du conseil d’administration s’amenuisait à mesure que le conseil approchait. Un proche du dossier cité par Mediapart explique que le revirement de la CFDT, qui a appelé ses deux administrateurs à s’abstenir ou s’opposer, pouvait faire basculer le vote en entraînant dans son sillage l’administrateur de la CFE‑CGE. Dans cette configuration, et avec le vote contre de l’État, la cession aurait été bloquée.

Très étrangement, les représentants de la CFDT Engie ont quitté la salle au moment du scrutin, laissant ainsi la vente être entérinée. Selon les informations de ce même média, c’est un coup de téléphone du secrétaire général de l’Élysée, très impliqué depuis le début dans le projet de fusion, qui serait à l’origine de ce comportement surprenant. Si cette information est confirmée, par quels moyens Alexis Kohler a‑t‑il pu les convaincre de ce revirement ?

Les observateurs du dossier s’interrogent. « Un actionnaire privé qui cherche à valoriser au mieux sa participation, s’appuie sur la concurrence, favorise des solutions alternatives, se donne du temps afin d’obtenir le meilleur prix. Or l’État n’a rien fait de cela. Il n’a accepté qu’une seule offre, a dissuadé toutes les autres, et a imposé de boucler le tout dans un temps record. D’autant que l’État n’est pas un actionnaire comme les autres, il est le garant de l’intérêt général. Dans le cas de Suez, il s’est assis sur tout, la préservation d’un groupe industriel, le maintien de l’emploi, le respect du droit », souligne Jean‑Pierre Mignard, avocat de l’intersyndicale (CFE‑CGC, CFDT, CGT, FO) de Suez. Dénonçant l’opacité du dossier, il a porté un signalement au PNF et au Parquet Général le lundi 5 octobre.

Quel rôle ont joué les protagonistes centraux de l’affaire du fait de leurs liens particuliers avec le président de la République ? Le PDG de Veolia Antoine Frérot a soutenu et financé la campagne d’Emmanuel Macron. Thierry Déau, PDG du fonds Meridiam qui doit récupérer Suez Eau France à l’issue du rachat, a aussi participé au financement. Il était le représentant officiel du Président auprès du club des Partenariats Public Privé pendant la campagne.

Sur la base de ces éléments, nous demandons la création d’une commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner le rôle de l’État dans le projet de rachat de Suez par Veolia et ses conséquences sur la gestion de l’eau et des déchets en France.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer :

1. Le rôle de l’État dans la préparation du projet de fusion entre Veolia et Suez avant et après l’annonce publique du 30 août 2020 de Veolia ;

2. Le rôle de l’État dans le retrait de l’offre alternative de reprise portée par Ardian ;

3. Le rôle de l’État dans le vote du conseil d’administration d’Engie du 5 octobre 2020 ;

4. La pertinence de la stratégie à long-terme d’Engie et le rôle de l’État dans sa définition ;

5. Les conséquences de ce projet de rachat sur la gestion de l’eau et des déchets en France.