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N° 3543

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 novembre 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à mettre en place une stratégie de vaccination nationale contre le Covid19 anticipée et organisée, définissant précisément les conditions d’approvisionnement, de stockage, d’allocation et de distribution,

 

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie RABAULT, Boris VALLAUD, David HABIB, Joël AVIRAGNET, MarieNoëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, JeanLouis BRICOUT, Alain DAVID, Laurence DUMONT, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Christian HUTIN, Chantal JOURDAN, Régis JUANICO, Marietta KARAMANLI, Jérôme LAMBERT, Gérard LESEUL, Serge LETCHIMY, Josette MANIN, Philippe NAILLET, George PAULANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEURCHRISTOPHE, Michèle VICTORY,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Lundi 9 novembre 2020, les laboratoires pharmaceutiques américain Pfizer et allemand BioNTech ont annoncé avoir mis au point un vaccin contre le Covid‑19 dont le taux d’efficacité s’élèverait à 90 %, d’après les résultats préliminaires. Dix autres essais cliniques de phase 3 sont engagés, sur différentes plateformes technologiques. Si les projets reposant sur des technologies à ARN messager ont un temps d’avance, ils ne doivent pas être considérés comme exclusifs des autres recherches en cours.

Bien entendu, les aléas et incertitudes inhérents à la recherche scientifique doivent nous inciter à la prudence : l’efficacité de ces vaccins devra être confirmée pour obtenir des autorisations qui ne devraient pas intervenir avant plusieurs semaines. Trois sujets sont clés : l’efficacité des produits chez les personnes âgées, dont les réactions immunitaires sont atténuées ; les effets sur certaines populations spécifiques qui, en raison de leurs facteurs de risque ou de leur maladie chronique, doivent faire l’objet d’un suivi spécifique et d’une pharmacovigilance renforcée ; la durée des effets immunitaires de ce vaccin – le protocole en cours ne garantira que deux mois de suivi – et notamment leur capacité à stériliser le virus.

Il n’en reste pas moins que ce résultat extrêmement prometteur suscite un immense espoir, alors que la pandémie mondiale qui nous touche collectivement depuis plusieurs mois met à rude épreuve, un peu plus chaque jour, nos concitoyens, notre système de santé, notre économie.

Parce que la découverte d’un vaccin contre le Covid‑19 représente aujourd’hui l’une des seules issues crédibles pour une sortie de crise à moyen terme, il convient pour la France de ne pas manquer ce tournant.

Alors que le flou et le manque d’anticipation ont trop souvent émaillé l’action du Gouvernement depuis le début de la crise sanitaire, la France doit se montrer au rendez‑vous du vaccin.

1. Être au rendez‑vous suppose d’avoir une démarche offensive pour la recherche en vie réelle sur l’efficacité du vaccin, ses publics cibles et sa sécurité.

2. Être au rendez‑vous nécessite d’anticiper et d’organiser les questions logistiques et stratégiques que soulève l’accès au vaccin, qu’il s’agisse de la chaîne d’approvisionnement et de distribution du vaccin, de la répartition sur le sol national des personnels habilités à procéder aux vaccinations ou encore de la détermination des publics prioritaires à vacciner. Enfin se pose la question de la stratégie globale de vaccination.

3. Être au rendez‑vous pose la question du vaccin comme « bien commun universel », de son accessibilité pour les pays les plus pauvres et de la coopération internationale qui sera mise en œuvre en ce sens.

Concernant le premier enjeu lié à la recherche d’un vaccin, se pose aussi la question des moyens déployés pour la recherche d’un vaccin. À titre de comparaison, l’Allemagne a débloqué 750 millions d’euros pour soutenir trois projets de recherche : 375 millions d’euros pour BioNtech qui est le partenaire de Pfizer, 252 millions d’euros pour CureVac dont des chercheurs ont été démarchés par les États‑Unis, comme l’a révélé la presse allemande en mars 2020 et comme l’a confirmé le Gouvernement allemand, et 114 millions d’euros pour IDT Biologika GmbH.

Pour la France, il n’existe à ce jour aucune synthèse précise des moyens déployés par le Gouvernement, à l’instar de celle présentée par le Gouvernement allemand ([1]), que ce soit par de l’investissement direct de l’État dans des entreprises réalisant de la recherche pour un vaccin ou que ce soit via les laboratoires publics (Inserm, etc). Les documents budgétaires indiquent que Bpifrance a mis 36 millions d’euros (20,1 millions d’euros de subvention et 15,9 millions d’euros d’avance remboursable en cas de succès du projet) pour le financement du candidat‑médicament ABX464 (Abivax) qui permettrait de traiter efficacement les malades symptomatiques et qui commence la phase 3. Par ailleurs, la recherche de l’institut Pasteur est financée par le CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) et les entreprises Thémis et MSD, sans qu’aucun montant ne soit précisément indiqué. Parallèlement, l’Institut de Lille développe un candidat‑médicament en lien avec la start‑up Apteeus avec un médicament existant (le Clofoctol) dont l’efficacité sur le Sars‑Cov‑2 est testée en phase avancée. Le seul financeur public est la région Hauts‑de‑France à hauteur de 780 000 euros et LVMH finance l’essentiel de l’étude à hauteur de 5 millions d’euros. Enfin, l’État a ouvert une enveloppe de 200 millions d’euros dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir : 120 millions d’euros pour soutenir les capacités de production de vaccins et de traitements ; et 80 millions d’euros destinés aux essais thérapeutiques de phases 1, 2 et 3 pour les candidats‑vaccins contre le Covid‑19.

En conclusion, la communication de la France sur les investissements français en matière de recherche d’un vaccin contre le Covid‑19 est à ce jour floue. Même en sommant les montants listés ci‑dessous, on obtient un total largement inférieur à celui des investissements menés par l’Allemagne.

Concernant le second enjeu lié à l’organisation nécessaire pour déployer le vaccin lorsqu’il existera, là aussi de nombreuses questions se posent. Cet impératif d’anticipation, le Conseil scientifique l’a exprimé dès le 9 juillet dans l’avis ([2]) qu’il a transmis au Gouvernement, dans lequel il le pressait d’établir une stratégie vaccinale nationale et proposait une série de recommandations en ce sens. Voici ce qu’indiquait le Conseil scientifique :

« Il est crucial que la France réfléchisse à une stratégie vaccinale qui fixe la doctrine de la vaccination, et ce, en amont de la disponibilité d’un vaccin potentiellement efficace. De nombreuses inconnues persistent sur le plan scientifique, mais il est indispensable d’avancer vers l’élaboration de cette stratégie vaccinale afin d’anticiper des questions aussi fondamentales que “qui vacciner et comment” dès qu’un vaccin sera disponible ».

L’alerte du Conseil scientifique est on ne peut plus claire. Trois mois plus tard, celle‑ci a‑t‑elle pour autant été entendue par le Gouvernement ? À ce stade, le Gouvernement n’a eu aucune communication claire permettant de répondre à ces questions et la France semble accuser un certain retard.

Le 13 octobre 2020, interrogé par le député Boris Vallaud sur les contours de cette stratégie vaccinale, le ministre de la santé se contentait d’indiquer que « tout est en cours de préparation sur ce sujet » et que « la Haute Autorité de santé est bien sûr totalement mobilisée pour déterminer les conditions de la vaccination ».

Ce n’est pourtant que le 9 novembre, soit trois mois après la transmission de la note du Conseil scientifique au Gouvernement, que la Haute Autorité de santé a lancé une consultation publique « pour engager une réflexion sur la stratégie vaccinale d’utilisation d’un vaccin », dont les conclusions ne sont attendues que pour le début de l’année 2021.

Le 10 novembre, de nouveau interrogé par la députée Chantal Jourdan, le Secrétaire d’État auprès du ministre de la santé s’est contenté d’indiquer que « notre pays n’est pas en retard », appelant par la suite à « ne pas faire de polémiques à propos d’un vaccin qu’on n’a pas encore trouvé ».

Pourtant, le constat est là : à ce jour, les contours de la doctrine française de vaccination n’ont toujours pas été définis, à rebours de l’avis du Conseil scientifique du 9 juillet qui pressait le Gouvernement d’agir dans les plus brefs délais.

La comparaison avec nos voisins européens est à ce titre inquiétante, alors que plusieurs d’entre eux ont déjà communiqué sur les modalités de leur stratégie de vaccination.

Au Royaume‑Uni, le Gouvernement a annoncé que l’armée et le National Health Service (NHS), le système de la santé publique, seront mobilisés. Il a déjà été indiqué que 30 millions de Britanniques, c’est‑à‑dire la moitié de la population, auraient accès au vaccin, ce qui le conduira à cibler en priorité les personnes de plus de 65 ans, les personnes les plus vulnérables et, bien sûr, les personnels de santé.

En Allemagne, le Gouvernement a créé une page Internet dédiée à la question du vaccin :

https ://www.bundesregierung.de/bregde/themen/coronavirus/coronavirusimpfung1788988.

Cette page synthétise les grands enjeux liés à la vaccination et est régulièrement mise à jour. Par ailleurs, les trois organismes consultatifs (la Commission permanente pour les vaccins, le Comité national d’éthique et l’Académie scientifique Leopoldina) ont publié le 9 novembre, leurs « recommandations pour un accès équitable et organisé à un vaccin contre le COVID19 », qui tracent les grandes lignes directrices sur lesquelles devra reposer la stratégie vaccinale allemande. L’Allemagne a par ailleurs annoncé passer commande de 100 millions de doses du vaccin sur la précommande de 300 millions de doses validée par la Commission européenne auprès des laboratoires Pfizer et BioNTech. Enfin, l’Allemagne a annoncé, le 29 octobre dernier, avoir engagé la création de 60 centres de stockage conçus pour accueillir les doses de vaccin (qui ne se conserve qu’à ‑80 degrés), qui seront répartis dans toute l’Allemagne.

Concernant le troisième enjeu lié à la définition du vaccin comme bien commun universel : la découverte d’un vaccin contre le Covid‑19 risque d’entraîner une compétition mondiale entre les pays où la règle sera celle du « chacun pour soi ». Dans cette course, les pays les moins solvables, et dont le système de santé est déjà fragile, seront inévitablement pénalisés.

La France doit, dès maintenant, poser en responsabilité la question d’un vaccin comme « bien commun universel ». Des discussions doivent être engagées sur la coopération internationale qui sera mise en œuvre au bénéfice des pays les plus pauvres.

Le 24 avril, le Président de la République avait rencontré plusieurs organisations internationales engagées sur les questions de santé, abordant notamment la question de la garantie « d’un accès sûr, équitable et universel aux diagnostics, aux traitements et aux vaccins » pour tous les pays.

Le 3 mai, à l’occasion d’une conférence en ligne d’appel aux dons pour la recherche du vaccin contre le Covid‑19, le Président de la République avait annoncé s’engager à « le rendre disponible, accessible et abordable pour tous » et avait apporté son soutien à la plateforme de coopération mondiale Access to Covid19 Tools – ACT.

À ces premières annonces, il faut apporter des réponses concrètes sur ce que sera une distribution équitable du vaccin : quels pays seront aidés ? des doses seront‑elles « préréservées » en ce sens ? Comment sera financée une telle distribution ? Quelle en sera la logistique ? Ces engagements forts en faveur des pays pauvres doivent être pris dès maintenant. 

Dans ce contexte, il devient très urgent que la France puisse se doter rapidement d’une stratégie de vaccination nationale, qui permette d’établir clairement les conditions d’approvisionnement, de stockage, d’allocation et de distribution du vaccin.

C’est l’objet de la présente résolution.

Enfin, comme nous l’avions déjà demandé à la rentrée parlementaire alors que la situation sanitaire se dégradait, nous invitons le Gouvernement à présenter cette stratégie devant le Parlement, en application de l’article 50‑1 de la Constitution.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 341 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’avis du Conseil scientifique transmis aux autorités nationales le 9 juillet 2020,

Vu la consultation publique lancée par la Haute autorité de santé le 9 novembre 2020,

Considérant que la crise du Covid‑19 met profondément à l’épreuve notre pays ;

Considérant que la santé des Françaises et des Français doit être notre boussole ;

Considérant l’intensification de la recherche scientifique pour trouver un vaccin contre le Covid‑19 ;

Considérant que, la découverte d’un vaccin représente, à ce jour, la seule issue crédible à une sortie de crise sanitaire à moyen terme ;

Considérant qu’une stratégie vaccinale ne pourra être efficace que si elle est anticipée et organisée selon des principes définis collectivement ;

Considérant que plusieurs gouvernements européens ont d’ores et déjà défini les lignes directrices de leur stratégie vaccinale contre le Covid‑19 ;

Invite le Gouvernement, en application de l’article 50‑1 de la Constitution, à faire une déclaration devant le Parlement, suivie d’un débat, sur la stratégie de vaccination nationale de la France.

Invite le Gouvernement à présenter la doctrine nationale de vaccination qu’il entend mettre en œuvre, en précisant si le vaccin sera obligatoire ou pas.

Invite le Gouvernement à présenter la stratégie de vaccination nationale qu’il entend déployer en définissant de manière précise les publics prioritaires qui bénéficieront des premières doses de vaccin disponibles.

Invite le Gouvernement à détailler les modalités pratiques de déploiement de la stratégie vaccinale : conditions d’approvisionnement, de stockage, d’allocation et de distribution du vaccin ; répartition des centres sur le territoire national.

Sollicite le Gouvernement pour avoir un état des lieux précis du nombre de doses de vaccin précommandées par le France et par le biais de quels organismes et institutions.

Suggère que les modalités de cette stratégie de vaccination nationale puissent être comparées aux recommandations du Conseil scientifique émises dans l’avis du 9 juillet 2020 précité.

Invite le Gouvernement à publier un état des lieux précis et exhaustif des investissements qu’il a réalisés pour soutenir la recherche scientifique et la découverte d’un vaccin, que ce soit par des crédits budgétaires ou via des montées en capital à travers la Banque publique d’investissement, la Caisse des dépôts et l’Agence des participations de l’État.

Suggère qu’une concertation et des engagements soient clairement engagés avec les pays membres de l’Union européenne et les autres membres du Groupe des vingt pour définir le vaccin contre le Covid‑19 comme « bien commun universel ».

Invite le Gouvernement à préciser quelle coopération internationale sera mise en œuvre en vue d’une distribution équitable du vaccin contre le Covid‑19 à destination des pays les plus pauvres.


([1]) https://www.bmbf.de/de/karliczek-zu-impfstoff-keine-riskante-abkuerzung-nehmen-12497.html

([2]) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_vaccins_9_juillet_2020_-_care_-_conseil_scientifique_-_comite_vaccin.pdf