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N° 3546

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur le contrôle des exportations d’armements,

 

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie RABAULT, Olivier FAURE, Alain DAVID, Laurence DUMONT et les membres du groupe Socialistes (1) et apparentés (2),

députés.

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(1) Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : M. Joël Aviragnet, Mme Marie‑Noëlle Battistel, Mme Gisèle Biémouret, M. Jean‑Louis Bricout, M. Alain David, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Faure, M. Guillaume Garot, M. David Habib, Mme Chantal Jourdan, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Gérard Leseul, M. Philippe Naillet, Mme George Pau‑Langevin, Mme Christine Pires Beaune, M. Dominique Potier, Mme Valérie Rabault, Mme Claudia Rouaux, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac, Mme Sylvie Tolmont, Mme Cécile Untermaier, Mme Hélène Vainqueur‑Christophe, M. Boris Vallaud, Mme Michèle Victory.

(2) Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Christian Hutin, Régis Juanico, Serge Letchimy, Josette Manin.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France a exporté en 2019 des matériels d’armement pour près de 8,3 milliards d’euros, soit une baisse de 700 millions d’euros par rapport à 2018. Bien que la répartition géographique de ces ventes se soit cette année quelque peu réorientée vers les pays européens, cela n’enlève rien à la quantité importante de matériels d’armement vendus au cours de ces dernières années aux pays du Moyen‑Orient, dont on peut sérieusement douter, pour certains d’entre eux impliqués dans le conflit au Yémen – notamment l’Arabie Saoudite ‑ qu’ils aient respecté le droit international en vigueur.

Le Yémen a été le théâtre d’une des pires crises humanitaires depuis 1945. Un rapport de l’ONU de 2018 a critiqué la coalition emmenée par l’Arabie Saoudite pour son usage disproportionné de la force au Yémen. En effet, de nombreux bombardements aériens ont visé des infrastructures civiles, touchant sans distinction des populations déjà affaiblies. L’utilisation d’un blocus maritime a, en plus des frappes militaires, grandement contribué au déclenchement d’un contexte de famine. Un rapport de l’ONU du 3 septembre 2019 a à nouveau mis en exergue « une multitude de crimes de guerre qui auraient été commis par diverses parties au conflit au cours des cinq dernières années, notamment des raids aériens, des tirs d’obus aveugles, des francs‑tireurs, des mines antipersonnel, des meurtres, des détentions, des actes de torture, de violence sexuelle et sexospécifique, et l’empêchement de l’accès à l’aide humanitaire dans le cadre de la crise humanitaire actuellement la plus grave au monde ».

Alors que nombre d’États dont l’Allemagne ont suspendu leurs exportations d’armes à l’égard de l’Arabie Saoudite, la France a passé outre, en contradiction avec le respect des principes et des dispositions légales qu’elle s’est elle‑même fixés. Rappelons que la règle en droit national est l’interdiction de la fabrication et du commerce des armes, sauf autorisation délivrée par l’État. Deux formes de contrôle dès lors existent : un contrôle interministériel a priori, lors de l’octroi d’une licence d’exportation, mais également un contrôle ministériel a posteriori après la réalisation de la vente d’arme, sur le respect des conditions fixées dans le cadre de la licence, notamment relatives au respect des obligations internationales.

– Le contrôle a priori

Les licences peuvent être accompagnées de conditions suspensives (techniques, administratives ou juridiques), qui s’appliquent à l’ensemble de la licence ou seulement aux matériels concernés. Ces conditions suspensives peuvent être non bloquantes ou bloquantes. Nous ne savons pas aujourd’hui quelle était la nature et le contenu des contrats de vente d’armes à l’Arabie Saoudite ni si ils contenaient des conditions suspensives.

L’examen de la conformité de la demande de licence aux critères fixés par le Traité sur le commerce des armes et la Position commune de l’Union européenne ne se fait de façon obligatoire et systématique qu’au moment de l’examen de la demande d’autorisation. Or, il peut s’écouler des mois, voire parfois des années, avant que l’entreprise ne procède à la livraison définitive du matériel. C’est la raison pour laquelle il est également nécessaire qu’il y ait un contrôle a posteriori de la part des autorités gouvernementales.

– Le contrôle a posteriori

Selon l’article R. 2335‑15 du Code de la défense, le Premier ministre, sur avis de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), peut suspendre, modifier, abroger ou retirer des licences individuelles, générales ou globales. Ces autorités peuvent agir ainsi à tout moment au terme de l’article L. 2335‑4 du Code de la défense « pour des raisons de respect des engagements internationaux de la France, de protection des intérêts essentiels de sécurité, d’ordre public ou de sécurité publique, ou pour non‑respect des conditions spécifiées dans la licence. » Il n’y a cependant aucun caractère obligatoire à ce contrôle a posteriori.

Au vu de ce constat d’échec du contrôle exercé par l’État de ses propres engagements, notamment par rapport au respect de ses obligations en matière de droit international, un contrôle parlementaire accru de l’exécutif est devenu indispensable.

Des contrôles auraient dû être fait notamment au regard du respect de deux instruments juridiques :

– Le Traité international sur le commerce des armes (TCA). Il stipule dans son article 6 §3 qu’« un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou des biens visés par les articles 3 ou 4 s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie ».

– La position commune de l’UE 2008/944 PESC du 8 décembre 2008 stipule par ailleurs qu’« après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments internationaux concernant les droits de l’homme, les États membres […]font preuve, dans chaque cas et en tenant compte de la nature de la technologie ou des équipements militaires en question, d’une prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance d’autorisations aux pays où de graves violations des droits de l’homme ont été constatées par les organismes compétents des Nations unies, par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe. […] Après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments du droit humanitaire international, les États membres refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à commettre des violations graves du droit humanitaire international ».

Compte tenu des carences de l’État en matière de contrôle du respect de ses obligations internationales, face à des preuves de violation du droit international sur le terrain maintenant documentées, un contrôle parlementaire accru de l’exécutif est devenu indispensable. De nombreux pays européens, l’Allemagne, la Grande Bretagne, la Suède, et la Belgique notamment possèdent des dispositifs de contrôle bien plus étendus que le nôtre.

Le groupe Socialistes et apparentés s’était déjà exprimé dans une tribune de presse le 19 juillet 2018 mentionnant notamment le fait que « le Parlement britannique est de ceux qui nous montrent la voie, lui qui jouit d’une autorité reconnue en matière de défense et d’un droit d’enquête qui nous manque. En Allemagne, le Bundestag incarne le principe de subordination du pouvoir militaire au pouvoir politique ; tant est si bien que certains appellent l’armée fédérale la « Parlamentsarmee ». Les licences d’exportations d’armements sont soumises à son approbation, tout comme au Parlement suédois. Nous aimons nous comparer à ces pays dans beaucoup de domaines. Faisons‑le aussi dans la pratique de la démocratie pour faire évoluer le modèle français. »

« Nous, parlementaires, appelons à introduire plus de transparence par un meilleur contrôle de la traçabilité des armements vendus par la France. Au nom de l’équilibre des pouvoirs en France, des expériences variées en Europe et de la transformation mondialisée des modes d’information, nous appelons à la poursuite de l’évolution des prérogatives de la Délégation Parlementaire au Renseignement (DPR) et à la création d’une commission parlementaire permanente de contrôle des exportations d’armement. Il ne s’agit pas de remettre en cause la pertinence des choix stratégiques de conception et de production des systèmes d’armements, gages de notre autonomie stratégique nationale et européenne, mais seulement de s’assurer que la France n’est et ne sera pas impliquée dans des crimes de guerre et contre l’humanité à cause de l’usage des armes qu’elle aurait produites et vendues. »

Il s’agit donc de restaurer l’autorité de l’État en s’assurant qu’il respecte bien les principes et règles de droit international auxquels il a librement consenti et d’éviter toute dérive qui nuirait au respect de  sa parole et à la crédibilité de son action.

De ce point de vue, plusieurs mesures concrètes pourraient être prises : tout d’abord la création d’une délégation parlementaire permanente de contrôle des exportations d’armement pour s’assurer d’un instrument crédible sur lequel l’exécutif aurait tout intérêt à s’appuyer ; mais également la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le respect par la France de ses engagements internationaux afin d’établir les faits et renforcer la crédibilité de notre dispositif de contrôle des armements.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale, 

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le rapport des Nations unies du 3 septembre 2019 sur le Yémen,

Vu les résolutions des Nations unies n° 2451 et n° 2452,

Vu le Traité international sur le commerce des armes du 2 avril 2014,

Vu la position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires,

Vu l’article L. 2335‑4 du code de la défense relatif à la suspension et au retrait des licences d’exportation,

Considérant les nombreuses violations documentées des droits de l’homme et du droit international humanitaire au Yémen ;

Considérant les suspensions d’exportations d’armes à l’Arabie saoudite de la part de nombreux pays dont plusieurs États européens au vu de l’appréciation de la situation au Yémen ;

Considérant les dispositifs plus étoffés de contrôle parlementaire des exportations d’armements existant dans d’autres pays européens ;

Soutient la création d’une délégation parlementaire permanente chargée du contrôle des exportations d’armements ayant notamment pour mission l’examen de l’approbation, du retrait ou de la suspension des licences d’exportation d’armes ;

Souhaite que l’autorité administrative, sous la responsabilité du Premier ministre, puisse à l’avenir, conformément à l’article L. 2335‑4 du code de la défense, exercer pleinement ses prérogatives de suspension ou de retrait des licences d’exportation au regard du respect des engagements internationaux de la France que constituent le Traité sur le commerce des armes et la position commune de l’Union européenne de 2008.