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N° 3742

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à proposer un moratoire sur la modification législative de l’instruction en famille,

 

 

présentée par

Mme MarieFrance LORHO,

députée.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 2 octobre 2020, à l’occasion d’un discours sur les séparatismes, le président de la République a proposé que « dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans » avant d’ajouter : « L’instruction à domicile sera strictement limitée, notamment, aux impératifs de santé ». La suppression de l’instruction par les familles qui ont fait le choix de ce mode d’enseignement constitue une privation de liberté inédite. Contrevenir à la liberté fondamentale qu’est l’instruction des enfants par un mode d’enseignement alternatif à la scolarisation constitue une violation directe de la loi Jules‑Ferry (1882), qui disposait de l’instruction des enfants et non de leur scolarisation. Cette liberté est aujourd’hui assurée par l’article L. 131‑2 du Code de l’Éducation qui dispose que « L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix ».

À l’occasion de l’examen du texte visant à conforter les principes républicains à l’Assemblée nationale, le gouvernement a temporisé sa déclaration, soulignant que quelques exceptions permettraient aux parents qui le désirent de continuer ce mode d’instruction. « L’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect supérieur de l’enfant », dispose le texte en son article 21. Le caractère particulièrement arbitraire de la formulation a néanmoins soulevé la circonspection des professionnels comme des adeptes de l’instruction intrafamiliale ([1]).

L’instruction en famille : un mode d’apprentissage alternatif

L’instruction en famille concerne essentiellement les enfants les plus jeunes, de 3 à 11 ans. Ainsi, 85 % des enfants instruits en famille le sont en cycle primaire (de 3 à 11 ans) contre 13 % en niveau collège et 2 % en niveau lycée ([2]). Le Conseil d’État souligne que le « projet du Gouvernement pourrait conduire, selon les indications de l’étude d’impact, à scolariser obligatoirement plus des troisquarts des enfants actuellement instruits en famille » ([3]).

Or, les raisons d’y recourir sont nombreuses : elle peut être un moyen de répondre aux difficultés d’adaptation de l’enfant, un moyen de répondre aux contraintes géographiques auxquelles peuvent être confrontés les parents, une façon de moduler l’enseignement à un choix potentiel de l’enfant (pratique sportive de haut niveau). Dans certains cas ([4]), l’instruction à la maison permet d’éviter à l’enfant d’être confronté au harcèlement scolaire ; il arrive que les enfants ne parviennent pas à s’adapter à un environnement scolaire qui leur est hostile. L’enseignement au sein de son foyer peut lui permettre d’apprendre sereinement chez eux. Certains pointent du doigt le risque de perte de sociabilité de l’enfant ; à cet argument, il peut être présenté la réponse des activités extra scolaires. En Vaucluse, des associations ont pour objectif de lutter contre l’isolement de ces enfants, organisant des retrouvailles deux fois par semaine avec les parents et les enfants concernés par ce mode d’instruction.

Pour la préservation d’une instruction alternative

L’immixtion du gouvernement dans la vie des familles se fait de plus en plus prégnante avec cette réforme. La volonté du gouvernement de restreindre ce mode d’enseignement alternatif suivant des critères particulièrement resserrés (soumis à autorisation renouvelable tous les ans) est inquiétante en ce qu’elle concentre de manière monopolistique l’instruction entre les mains de l’Éducation nationale, rendant par ailleurs facultative l’obligation de résultats légitime à laquelle doit aspirer l’école publique.

Comme le soulignait l’avis du Conseil d’État, si « la réforme prévue par le Gouvernement ne paraît pas rencontrer d’obstacle conventionnel, elle soulève de délicates questions de conformité à la Constitution »En ce sens, le Conseil relève que « l’instruction des enfants au sein de la famille, institué par la loi du 18 mars 1882 » pourrait relever d’un principe fondamental (décision n° 77‑87 DC du 23 novembre 1977) reconnu par les lois de la République, autonome ou inclus dans la liberté de l’enseignement. La décision n° 406150 du Conseil d’Etat indiquait à cet égard que le « principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille ».

Le caractère arbitraire des conditions d’éligibilité pour instruire au sein de sa famille prévue par le projet de loi doit être combattu : pour l’heure, comment l’administration compte‑t‑elle distinguer les  familles aptes à enseigner des autres ? Sous couvert de lutte contre le radicalisme islamiste, le gouvernement entend priver près de 30 000 enfants ([5]) d’une instruction au sein de leur famille alors même que l’enquête de MM. Dominique Glasman et Philippe Bongrand dans la Revue français de pédagogie soulignait que « les connaissances actuelles ne permettent en rien d’affirmer [que les familles radicalisées pratiquant l’instruction à la maison] seraient prépondérantes parmi les familles qui instruisent hors établissement… ». Les enquêteurs soulignaient par ailleurs que le « risque existe d’accorder moins d’attention au cas, beaucoup plus fréquent et banal, des parents qui déscolarisent leur enfant faute de pouvoir scolariser dans un établissement qui réponde à leurs attentes ».

Conclusion

La liberté d’instruction au sein de la famille doit s’ériger en principe fondamental de l’enseignement scolaire. Les contrôles auxquels ce mode d’instruction est conditionné permettent de garantir son déroulement serein. Interdire ou restreindre ce mode d’éducation des familles revient à porter atteinte à une liberté individuelle.

Considérant :

– l’article 2 du protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– L’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ;

– Le 3 de l’article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

la liberté d’instruction en famille doit être érigé en principe fondamental.

Il est proposé par la présente proposition de résolution d’inciter le gouvernement à créer un moratoire sur la modification législative de l’instruction en famille

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Invite le Gouvernement à proposer un moratoire sur la modification législative de l’instruction en famille.


([1])  Reporterre. Supprimer l’instruction en famille : une privation de liberté sur des motifs arbitraires. 17 décembre 2020.

([2])  Objectif Gard; Instruction en famille : les parents veulent rester maîtres de leur choix. 11 janvier 2021.

([3])  Avis sur un projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République, 61.

([4])  Ouest-France. 12 janvier 2021. L’instruction en famille a sauvé notre fils ». https://www.ouest-france.fr/bretagne/tregueux-22950/tregueux-l-instruction-en-famille-a-sauve-notre-fils-7114978.

([5])  Suivant les chiffres 2018 de l’enquête P. Bongrand et D. Glasman dans la Revue français de pédagogie. Cité dans Cafepédagogie. 9/12/2020. Séparatisme : l’instruction en famille soumise au régime de l’autorisation.