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N° 3798

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 janvier 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale
en ce qui concerne l’organisation des travaux parlementaires
en période de crise,

 

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

 

présentée par Messieurs

Sylvain WASERMAN, Richard FERRAND, Christophe CASTANER,
Damien ABAD, Patrick MIGNOLA, Olivier BECHT et Bertrand PANCHER,

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Conférence des présidents a créé, le 5 mai 2020, un groupe de travail transpartisan chargé d’anticiper le mode de fonctionnement des travaux parlementaires en période de crise, présidé par
M. Sylvain Waserman.

Ce groupe a adopté son rapport le 12 novembre 2020, en présence du Président de l’Assemblée nationale, à l’issue de plusieurs réunions plénières, de réunions thématiques ainsi que de rencontres menées par M. Sylvain Waserman, avec chacun des groupes politiques. Ce rapport a ensuite été présenté à la Conférence des présidents lors de sa réunion du 17 novembre 2020.

La présente proposition de résolution traduit l’une des conclusions du groupe en proposant une modification du Règlement ciblée et opérationnelle destinée à faciliter le travail parlementaire en période de crise.

Il ne lui revient pas de traiter les modalités de mise en œuvre de cette adaptation réglementaire. Des décisions des instances compétentes de l’Assemblée nationale seront nécessaires.

Au demeurant, la présente proposition de résolution s’inscrit dans un ensemble de mesures plus large, puisque le groupe de travail a parallèlement défini – de manière non exhaustive – une « boîte à outils » issue des propositions formulées par les différents groupes politiques. Ces outils sont susceptibles d’être mis en œuvre en cas de crise sans modification préalable du Règlement de l’Assemblée nationale, qu’il s’agisse du développement des questions écrites et des contributions écrites ainsi que, de manière générale, de celui du contrôle de l’action gouvernementale à même de favoriser une forme de vision « à 360 degrés » sur son action.

En outre, le rapport du groupe de travail présente un ensemble de mesures pratiques et organisationnelles pouvant être mises en œuvre dès aujourd’hui et destinées à faciliter l’adaptation du travail parlementaire, en particulier pour ce qui concerne les moyens immobiliers et informatiques qu’il convient – au‑delà des avancées déjà réalisées – à la fois de renforcer et de sécuriser.

1. Permettre à l’Assemblée nationale de continuer à assurer ses missions constitutionnelles en période de crise

Le groupe de travail a unanimement estimé qu’il n’était ni utile ni opportun de répondre à une situation de crise en créant un « mode de crise » reposant sur une gouvernance et un corps de règles spécifiques. Il est préférable, dans pareilles circonstances, que les instances de l’Assemblée nationale puissent agir en responsabilité, sans qu’aucune d’elles n’acquière de prérogatives exorbitantes. Le Président de l’Assemblée nationale, le Bureau, la Conférence des présidents et le Collège des Questeurs peuvent et doivent continuer à prendre leurs décisions selon les procédures de droit commun qui leur sont applicables.

En revanche, il est indispensable de mettre en œuvre tous les moyens permettant à l’Assemblée nationale de continuer à mener à bien ses missions constitutionnelles, telles que définies par l’article 24 de la Constitution : « le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Ce triptyque doit être impérativement préservé.

La survenue d’une crise est de nature à entraver la poursuite de ces missions, tout particulièrement en empêchant une partie des députés d’être présents à l’Assemblée nationale. La présence physique est en effet au cœur de l’activité parlementaire, l’unicité de lieu permettant non seulement, au plan symbolique, d’offrir une représentation unifiée des débats, mais aussi d’assurer le dialogue nécessaire au cours des réunions de commission et en séance publique et en marge de celles‑ci, facteur évident de fluidité de la prise de décision.

Il convenait donc de trouver des solutions pour pallier l’absence de députés à un moment donné, même si l’absence totale des députés – et, partant, une dématérialisation complète des procédures – n’est pas une option retenue : l’Assemblée nationale ne saurait fonctionner sans la présence d’un minimum de représentants de la Nation, aptes à s’exprimer librement et à confronter leurs opinions.

La crise du printemps 2020 a montré la capacité d’adaptation de l’Assemblée nationale, puisque celle‑ci, entre le 15 mars et le 15 mai, a siégé 104 heures, adoptant 7 lois, les commissions totalisant 123 réunions. L’ordre du jour a été centré sur l’exercice des missions essentielles (contrôle, notamment avec les questions au Gouvernement, et examen des textes d’urgence requis par la crise), l’ensemble des autres activités étant en conséquence ajournées.

Au‑delà de la nécessaire capacité d’adaptation du droit parlementaire, la présente proposition de résolution a pour objet de définir un cadre juridique pérenne des mesures nécessitées par de telles circonstances.

2. Faciliter la discussion parlementaire et les votes

Le dispositif proposé est double.

En premier lieu, il tend à définir des règles permettant aux députés absents de participer aux discussions, lors des réunions de commission comme en séance publique.

Il résulte des conclusions du groupe de travail qu’un fonctionnement « hybride » associant la présence de certains députés à l’Assemblée nationale et le travail à distance pour d’autres, apprécié pendant la crise du printemps 2020, gagnerait à être développé.

Pour autant, il est essentiel de veiller au respect des équilibres politiques de l’Assemblée, y compris en cas d’effectifs réduits, et d’assurer une représentation proportionnelle des groupes même en cas de crise.

En deuxième lieu, cette proposition de résolution ouvre la possibilité du vote à distance. L’expérience de la crise sanitaire du printemps 2020 a montré combien cet outil, encadré, pourrait être utile. Bien que n’étant pas une « solution miracle », il donnerait cependant une réelle souplesse au fonctionnement parlementaire, s’agissant d’un aspect capital de la délibération.

Pour autant, tous les votes ne peuvent pas être concernés. Un certain nombre d’entre eux, par leur nature ou leur portée, en sont a priori exclus, notamment les votes à bulletin secret, pour des nominations personnelles telles que l’élection du bureau de l’Assemblée ou celle du bureau des commissions, ou bien lorsqu’une de ces dernières se prononce sur une nomination. Il en va de même des votes portant sur la responsabilité du Gouvernement, que ce soit dans le cadre d’une déclaration de politique générale ou de celui d’une motion de censure, en raison de leur solennité.

Ne sont enfin et surtout pas concernés, dans la procédure législative ordinaire, les votes sur les amendements et les articles, fort nombreux et intrinsèquement liés à l’évolution du débat : ils ne peuvent de ce fait être « programmés » à l’avance.

Deux types de scrutins peuvent, en revanche, être inclus dans le champ du vote à distance : les votes sur l’ensemble du texte et ceux tenus sur des déclarations du Gouvernement effectuées en application de l’article 50‑1 de la Constitution.

En toute hypothèse, le recours au vote à distance ne sera en pratique pertinent qu’avec des règles limitant strictement la présence des députés, ne permettant pas à chacun, au moyen d’une délégation, de faire entendre sa voix.

3. Modifier le Règlement de l’Assemblée nationale en instituant un dispositif de crise ciblé et opérationnel

L’adaptation des modalités de participation des députés comme l’instauration du vote à distance requièrent la modification du Règlement de l’Assemblée nationale. Dans sa rédaction actuelle, celui‑ci comporte en effet de multiples références à la présence physique, en particulier pour les votes, ne serait‑ce qu’en posant le principe du vote à main levée. Il est en outre indispensable de tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui veille au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ainsi qu’à l’application du principe du vote personnel, prévu à l’article 27 de la Constitution.

À cette fin, l’article unique de la proposition de résolution prévoit un dispositif fondé sur la notion de circonstances exceptionnelles.

Il eût été possible de se référer à la notion de force majeure, dont le Conseil constitutionnel a admis qu’elle était susceptible de justifier des dérogations au principe du vote personnel. Mais la prise en compte de circonstances exceptionnelles de nature à affecter significativement le fonctionnement de l’Assemblée nationale est apparue comme une option plus précise dans son champ d’application et donc plus opérationnelle.

La proposition de résolution donne à la Conférence des présidents une plus grande latitude, dans un cadre déterminé, pour aménager, au vu de ces circonstances, les modalités des discussions et des votes, en commission comme en séance publique, le cas échéant par le recours à tout outil de travail à distance.

Les adaptations relatives aux modalités de participation des députés aux réunions de commission ou à la séance publique devront dans tous les cas tenir compte de la « configuration politique » de l’Assemblée. Est ainsi posée une condition déjà présente à plusieurs reprises dans le Règlement de l’Assemblée nationale qui vise à garantir le respect des équilibres politiques en prenant en compte, d’une manière proportionnée, les effectifs de chaque groupe, dans toute la mesure du possible.

Les adaptations concernant les modalités de vote devront quant à elles respecter les principes du vote personnel ainsi que de clarté et de sincérité du débat parlementaire, conformément aux exigences constitutionnelles.

Cette disposition n’a pas vocation à rendre possible le travail à distance pour l’ensemble des délibérations, compte tenu des obstacles précités s’agissant, notamment, des amendements. Mais elle permettrait par sa souplesse, si cela s’avérait opportun compte tenu de la crise, au‑delà des votes sur l’ensemble ou sur des déclarations du Gouvernement en application de l’article 50‑1 de la Constitution en séance publique, de donner plus de marges de manœuvre aux commissions. Dans leurs fonctions de contrôle, par exemple, celles‑ci pourraient procéder à la nomination de rapporteurs ou à l’adoption de rapports d’information à distance. Toute autre possibilité de pratiquer des votes à distance sur des sujets non législatifs, à portée interne, pourrait ainsi être envisagée.

Afin de contribuer à l’adoption de mesures consensuelles ‒ conformément au principe de réalité qui, en tout état de cause, conduit à privilégier la recherche du consensus dans ce type de circonstances ‒, la proposition de résolution prévoit, avant toute prise de décision par la Conférence des présidents, une information préalable de l’ensemble des présidents de groupe par le Président de l’Assemblée nationale.

Enfin, est prévue une clause de revoyure obligatoire : tous les quinze jours à compter des décisions prises, qu’elles concernent les modalités de participation des députés ou les modalités de vote, la Conférence des présidents, à partir d’un point de situation présenté par le Président de l’Assemblée nationale, sera amenée à confirmer ou à modifier ses décisions.

 


proposition de résolution

Article unique

Après l’article 49‑1 A du Règlement de l’Assemblée nationale, il est inséré un article 49‑1 B ainsi rédigé :

« Art. 491 B.  En cas de circonstances exceptionnelles de nature à affecter de façon significative les conditions de participation, de délibération et de vote et après que le Président de l’Assemblée nationale a préalablement informé les présidents de groupe politique, la Conférence des présidents peut adapter temporairement les modalités de participation des députés aux réunions de commission et aux séances publiques, le cas échéant en recourant à des outils de travail à distance, en tenant compte de la configuration politique de l’Assemblée.

Dans les mêmes circonstances et les mêmes conditions, elle peut aussi adapter les modalités de vote, le cas échéant en recourant à des outils de travail à distance, dans le respect du principe du vote personnel et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

Tous les quinze jours à compter de leur adoption, la Conférence des présidents se prononce sur le maintien ou la modification des décisions prises en application du présent article. »