Description : LOGO

N° 3883

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à la reconnaissance du mot « parange » pour désigner
les parents ayant perdu un enfant,

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE, Laurence TRASTOURISNART, Nicole LE PEIH, Éric DIARD, Dimitri HOUBRON, Sandrine JOSSO, Yannick HAURY, Guy BRICOUT, Émilie BONNIVARD, Paula FORTEZA, Sylvain TEMPLIER, Thierry BENOIT, Richard RAMOS, JeanChristophe LAGARDE, Jean LASSALLE, Sébastien JUMEL, Stéphane PEU, Karine LEBON, Isabelle SANTIAGO, Jennifer DE TEMMERMAN, JeanLuc BOURGEAUX, Souad ZITOUNI,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Nous sommes nombreux à parler de notre enfant au passé, alors que nous devrions le faire au présent et au futur. Mais l’absence a balayé notre vocabulaire et c’est tout le dictionnaire de notre vie qui doit être recomposé. À la question « Combien avez‑vous d’enfants », que puis‑je répondre ? J’ai deux enfants, je suis orphelin de l’aîné ? Imaginez‑vous la violence non pas dans le questionnement, mais dans le manque de réponse, dans le manque de ce mot pour dire « il n’est plus là et je suis… », mais je suis quoi ? je suis qui ? » Lili

« Il reste un point fondamental à régler pour les parents en deuil : une enfant perd ses parents, il est orphelin, un mari perd sa femme, il est veuf… des parents perdent leur enfant, il n’y a pas de mot pour les qualifier ! Double peine ! Celle de la mort de son enfant, et celle de la non‑reconnaissance de notre statut ! » Nadia Bergougnoux

« Enguerrand notre quatrième enfant, Enguerrand, notre trésor, croquait la vie en juin 2017 et venait de fêter ses 13 ans. Mais une fatigue inhabituelle, une baisse d’entrain. Pour tout ce qu’il aimait, piano, tennis, mentalisme, sorties entre copains : il disait qu’il était fatigué. Enguerrand présentait un « GITC de grade 4 » Gliome infiltrant du tronc cérébral, maladie sournoise. Grave, incurable, inopérable, les jours défilaient, notre fils se battait comme un guerrier, pourtant la maladie progressait… Son corps était de plomb, plus un sourire, regard fixe ! Le lendemain, SAMU, Enguerrand présentait une détresse respiratoire nécessitant une hospitalisation. 48 heures après, il tomba dans le coma, pendant quatre jours et ne se réveillera jamais. IL EST MORT ! EN JUILLET 2018. Au‑delà de la perte irréparable de notre enfant, de tous ceux qui ont perdu la bataille et de tous ceux qui se battent encore, et pour la promesse que nous avons faite à notre fils Enguerrand de continuer le combat, nous soutenons la demande des parents ayant perdu un ou plusieurs enfants, dont nous sommes, afin que nous soyons nommés : NOUS SOMMES DES PARANGES. » Philippe Ladougne

Un drame qui ne porte pas de nom

Chaque année, des milliers de femmes et d’hommes subissent la perte d’un ou de plusieurs de leurs enfants. Il y a d’abord la souffrance immense qui fait suite au décès, puis celle de n’avoir aucun mot pour la désigner.

« Le dictionnaire comprend 65 000 mots, mais aucun mot n’est prévu pour « évoquer » ou « qualifier » ‑ je mets des guillemets ‑ un parent lorsque l’enfant n’est plus. Rien, absolument rien dans la littérature ne prévoit cet état, alors que nous sommes des milliers de familles endeuillées par la perte d’un enfant et peut être d’ailleurs des membres de cette assemblée sont‑ils concernés parce que j’écris. » Lili

*

Les témoignages sur le sujet décrivent ce tabou qui entoure la perte d’un enfant, peu importe l’âge auquel celui‑ci est parti. Que ce soient des femmes ayant subi un deuil périnatal, d’autres dont l’enfant les a quittés à l’âge de 20, 30, 40 ans ou plus, toutes et tous traversent une expérience commune.

« Il y a 29 ans de cela, j’ai perdu mon bébé à 6 mois et demi de grossesse. À l’époque, on proposait rarement aux parents de voir leur enfant décédé. On a emporté ma fille loin de moi, je ne l’ai jamais vue, ni su ce qu’il était advenu de son petit corps… Pendant presque 20 ans, j’ai gardé cette plaie ouverte, on ne parlait pas de ce deuil, qui reste aujourd’hui un véritable tabou. On me disait, « il faut aller de l’avant… tu en auras d’autres… elle aurait pu naître handicapée… on ne la connaissait pas… ». Comment survivre à un non‑dit, une non‑existence, comment aller de l’avant avec un « ventre vide » ? Cette reconnaissance du deuil des parents, que ce soit avant la naissance ou bien plus tard est un tabou ! La famille, gênée, ne sachant comment réagir, n’en parle pas ou peu, les amis, parfois, s’éloignent, ne sachant comment réagir. » Nadia Bergougnoux

« Perdre un enfant est un sujet tabou parce que ce n’est pas dans l’ordre des choses de notre vie ; avez‑vous remarqué qu’il est extrêmement difficile d’en parler, peut être par pudeur ou parce que « je ne trouve pas les mots pour en parler » ? » Lili

Quand la violence s’ajoute à la douleur

Après le drame, les femmes et les hommes se confrontent à la raideur de l’administration ; il y a des démarches, des papiers à remplir, mais toujours aucun mot pour désigner ce qu’ils sont au regard de notre société.

« Depuis la disparition de mon fils, j’ai dû engager de nombreuses démarches et je peux vous assurer que le “choc de simplification” est une phrase dénuée de sens, face à la montagne de paperasses à remplir, à dupliquer, à transmettre, et souvent à justifier. Mes petits‑enfants sont orphelins, notre belle fille est veuve, mais nous les parents, nous “ne sommes rien” dans la langue française ; à la douleur de ce départ aussi violent qu’injuste, s’est installée la sidération lorsque le notaire – à l’ouverture de notre succession pour les troits petits – nous a déclaré « Je suis désolé il n’existe pas de mot en France, pour les parents qui sont orphelins de leurs enfants ». En sortant de chez le notaire, j’ai fait une promesse à mon fils : « Je vais remuer le ciel et la terre, surtout la terre afin que l’on trouve un mot pour que nous parents nous ne soyons pas des rien lorsque l’enfant n’est plus » Lili

Un mot pour le dire

Pour ces femmes et ces hommes, la société doit pouvoir apposer un mot sur leur douleur.

« Le deuil transforme le mot parent à tout jamais et notre société doit elle aussi se transformer pour s’adapter à ces situations qui ne sont pas singulières. Ne pas avoir de « nom pour le dire » est un « non » à toute reconnaissance d’un état qui dépasse les clivages de droite à gauche et peu importe la sensibilité politique ou religieuse. Pour autant il faut verbaliser cet état, et nous aider à dépasser ce « ça n’est pas prévu dans le vocabulaire français » » Lili

Des parents endeuillés se sont réunis autour de ce constat d’incompréhension : il n’existe pas de mot dans le dictionnaire pour eux. 150 nouveaux mots figureront dans le Larousse en 2021 : « influenceur », « gréviculture », « chatbot », « hygge »… mais aucun qui ne corresponde à leur situation. Pourtant, on trouve des centaines d’articles qui partent à la recherche du mot manquant ; certaines initiatives ont vu le jour, mais aucune n’a abouti faute de portage. En Belgique, depuis des années, le verbe consacré est « désenfanter ». Mais pour de nombreux parents concernés, se dire « désenfanté » implique une grande violence.

Toutefois, ces dernières années, un mot a fait son apparition : « parange ». Il relève de la contraction du mot « parent » et « ange ».

« Il y a cinq ans, j’ai découvert un mot sur Internet : le mot PARANGE. Le mot « ange » n’est pas seulement un terme religieux, si vous en cherchez la signification dans le dictionnaire. Il peut convenir à tout un chacun, croyant ou pas. Je suis allée visiter les sites internet et je me suis rendue‑compte que beaucoup utilisaient ce terme, même s’il n’était pas reconnu par nos « têtes pensantes » » Nadia Bergougnoux

En effet, le mot « parange » bénéficie d’un grand nombre d’entrées sur n’importe quel moteur de recherche, et son émergence a été couverte par des médias. Nadia Bergougnoux a créé un groupe de soutien sur le réseau social Facebook, qui réunit des milliers de « paranges » de France et d’ailleurs, qui s’entraident et trompent la solitude que peut leur imposer leur situation. Elle a également lancé une pétition à l’attention de l’Académie française pour que ce mot soit reconnu dans le dictionnaire, qui rassemble à ce jour plus de 60 200 signatures.

Il est temps d’apaiser la douleur, jusqu’alors indicible, de ces milliers de femmes et d’hommes qui ont perdu un enfant, quel que soit l’âge au moment du décès, en faisant entrer dans le dictionnaire les « paranges », en permettant l’emploi de ce terme dans l’administration, et en assurant sa publicité.

*

« Nous savons que notre démarche peut déranger ; vous parler d’un mot pour qualifier un parent dont l’enfant est mort met en inconfort et procure un malaise. Nous le savons. Pour nous, cette démarche est douloureuse et indicible. Elle nous fait revivre des moments de déchirement, mais elle est aussi porteuse d’espoir. Écoutez‑nous, entendez‑nous, nous parents d’un enfant qui n’est plus, mais surtout aidez‑nous à trouver un mot pour le dire. « Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis » Victor Hugo » Lili


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Reconnaît le mot « parange » pour désigner les femmes et les hommes ayant perdu un enfant, quel que soit l’âge au moment du décès.

Considérant qu’il n’existe aucun mot pour désigner les femmes et les hommes ayant perdu un enfant ;

Considérant la douleur des parents qui s’ajoute à celle du vide sémantique ;

Considérant l’usage du mot « parange » par les parents concernés ;

1. S’engage à populariser l’emploi de ce terme et sa signification.

2. Invite à son inscription dans les dictionnaires.

3. Garantit sa reconnaissance par l’Académie française et l’administration publique française.