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N° 3901

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 février 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

sur les accords économiques et commerciaux entre l’Union européenne
et le MERCOSUR et entre l’Union européenne et le Canada,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marc LE FUR, Emmanuelle ANTHOINE, Julien AUBERT, Édith AUDIBERT, Valérie BAZINMALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Ian BOUCARD, JeanClaude BOUCHET, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, JeanLuc BOURGEAUX, Bernard BROCHAND, Fabrice BRUN, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, MarieChristine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Vincent DESCOEUR, Julien DIVE, Patrick HETZEL, Mansour KAMARDINE, Gérard MENUEL, Véronique LOUWAGIE, JeanFrançois PARIGI, Bernard PERRUT, Nathalie PORTE, Julien RAVIER, JeanLuc REITZER, Bernard REYNÈS, Martial SADDIER, Nathalie SERRE, Arnaud VIALA, JeanPierre VIGIER, Robert THERRY, Stéphane VIRY,

députés.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 28 juin 2019 après plus de vingt ans de négociations, l’Union européenne a conclu avec le Mercosur un accord visant à supprimer la majorité des droits de douane sur les échanges entre l’Europe, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay.

Cet accord prévoit la suppression des droits de douane sur 91 % des biens exportés depuis l’Union et sur 92 % des biens importés depuis les pays du Mercosur.

Le 23 août 2019 lors du G7 de Biarritz, le Président de la République avait retiré son soutien à ce traité de libre‑échange, en dénonçant notamment l’inaction du Brésil en matière de climat et de biodiversité.

Depuis cette date la France a régulièrement réaffirmé son véto, position qui paraissait établi jusqu’à la divulgation par la presse le 29 janvier 2021 d’un document de travail du ministère délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité.

Il apparaît au regard du contenu de ce document que le gouvernement souhaiterait transmettre à ses partenaires européens et à la commission une série d’exigences additionnelles portant notamment sur la déforestation en Amazonie et le respect des normes sanitaires européennes qui rendrait l’accord « acceptable » à l’issue selon le ministre Franck Riester d’un « travail en concertation avec les acteurs concernés en France et dans l’UE ».

Le document divulgué le 29 janvier 2021 mentionne en particulier « l’entrée en vigueur de l’initiative législative sur la déforestation importée annoncée par la Commission européenne ; le rétablissement du moratoire sur les cultures sucrières en Amazonie et la sécurisation de celui en vigueur sur le soja ; le retrait de certaines réformes néfastes à la forêt et la mise en œuvre d’efforts supplémentaires contre la déforestation ».

Ce document liste également parmi les conditions envisagées « le développement par le Mercosur, avec l’appui européen, d’un système de traçabilité des produits animaux et végétaux de façon à identifier leur origine » et l’application « aux produits importés des mêmes standards de production que dans l’Union européenne tant sur le plan sanitaire qu’environnemental ».

Selon de nombreuses ONG et organisations professionnelles, ces conditions sont purement déclaratives et non contraignantes, ce qui signifie que la France entend valider l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, dont la Présidence portugaise de l’Union européenne a fait une priorité.

Ce changement de position de l’exécutif constitue un revirement majeur puisque le Président de la République s’était opposé à cet accord en août 2019 au regard des risques majeurs d’accélération de la déforestation en Amazonie.

Les craintes légitimes exprimées par le chef de l’État ont été confirmées dans un rapport remis par une commission d’experts au Premier ministre Jean Castex le 18 septembre dernier.

Les experts mandatés par le Premier ministre (Stefan Ambec, Jean‑Luc Angot, Philippe Chotteau, Olivier Dabène, Hervé Guyomard, Sébastien Jean, Yann Laurans, Yves Nouvel, Hélène Ollivier) estiment que l’application de l’accord risquerait d’aggraver la déforestation en Amérique du sud et aurait des conséquences graves sur la biodiversité et le climat de cette région du globe.

Ils affirment que les dispositions n’offrent que des garanties fragiles en ce qui concerne :

– le principe de précaution ;

– les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris ;

– la reconnaissance des préférences européennes vis‑à‑vis des normes environnementales et sanitaires, des normes de travail et du bien‑être animal.

Dans son évaluation du potentiel commercial pour l’Union Européenne, le rapport remis au Premier Ministre identifie également plusieurs écueils à savoir :

– l’asymétrie des relations commerciales entre l’UE et le Mercosur (spécialisation des pays du Mercosur dans l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires, l’accord sous sa forme actuelle, étant susceptible d’accentuer ce déséquilibre) ;

– l’hétérogénéité des résultats pour l’UE entre des secteurs gagnants (industrie et services) et perdants (agriculture et agroalimentaires) ;

– le déséquilibre de concurrence résultant du mode de production suivi par les filières agricoles dans les pays du Mercosur (au niveau de la protection environnementale et sanitaire) ;

– des exigences sanitaires limitées à l’absence d’hormone dans la viande et ne concernant pas les résidus de pesticide, les farines animales ou encore le bien‑être animal ;

– l’absence d’un mécanisme de protection spécifique des filières de production agricole les plus exposées à la concurrence.

Cet accord, s’il venait à être ratifié serait catastrophique pour l’avenir de l’élevage en France puisque, comme l’a souligné le Président de la Fédération Nationale Bovine Française, « pour les éleveurs français, qui sont les premiers producteurs de viande bovine en Europe grâce à un modèle d’élevage allaitant majoritairement à l’herbe, et qui souffrent déjà de revenus très bas, cet accord est une catastrophe, car il accepte l’importation en Europe de 99 000 tonnes de viande bovine du Mercosur à 7,5 % de droit de douane, avec des normes sanitaires de production interdites en Europe ».

Les craintes émises tant par les professionnels de l’élevage que par les ONG de défense de l’environnement sont d’autant plus justifiées que la partie commerciale du CETA est entré en vigueur en France, alors même que seule l’Assemblée nationale en a approuvé la ratification grâce au vote de la majorité, alors que le Sénat ne l’a toujours pas examiné.

Par ailleurs la position du gouvernement est en total décalage avec le contexte économique résultant de la crise sanitaire et de la prise de conscience collective de la nécessité de garantir notre souveraineté agricole et alimentaire et de préserver nos filières.

C’est dans cette perspective que le Président de la République avait au début de cette crise mis en exergue le 13 avril 2020, le besoin de « rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française ».

Alors que le 18 juin 2020 le ministre de l’agriculture avait précisé les objectifs de cette démarche en annonçant l’organisation d’« une grande conférence sur la souveraineté alimentaire » organisée avec les partenaires européens de la France, les positions exprimées par le ministère délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité dans son document de travail semble être à contre‑ courant de cette ligne politique volontariste.

C’est pourquoi la présente proposition de résolution européenne :

Invite le Gouvernement :

– à suspendre l’application de la partie commerciale de l’Accord Économique et Commercial Global entre l’Union européenne et le Canada tant que le Parlement n’aura pas ratifié le projet de loi relatif cet accord.

– à maintenir son véto sur l’accord de libre‑échange entre l’Union Européenne et le Mercosur

Demande un arrêt total de toutes les négociations des accords de libre‑échange sur les filières ;

Exige que la Commission européenne veille au respect du principe de réciprocité et d’égalité des conditions de concurrences sanitaires, environnementales et de productions applicables aux importations des produits agricoles des pays tiers par rapport aux produits de l’Union européenne.

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier son article 4 et ses articles 38 à 44,

Vu le règlement (UE) n° 1308/2013 relatif à l’organisation commune des marchés des produits agricoles,

Vu le règlement (UE) 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017 modifiant les règlements (UE) n° 1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural, (UE) n° 1306/2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune, (UE) n° 1307/2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune, (UE) n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et (UE) n° 652/2014 fixant des dispositions pour la gestion des dépenses relatives, d’une part, à la chaîne de production des denrées alimentaires, à la santé et au bien‑être des animaux et, d’autre part, à la santé et au matériel de reproduction des végétaux, dit « Omnibus »,

Vu l’annonce, le 28 avril 2020, par M. Phil Hogan, commissaire chargé du commerce et Mme Graciela Màrquez Colin, ministre mexicaine de l’économie, d’un accord sur les dernières questions techniques subsistant dans l’accord de principe conclu le 23 avril 2018 sur le nouvel accord commercial entre l’Union européenne et le Mexique,

Vu les directives de négociation, adoptées le 22 mai 2018 par le Conseil de l’Union européenne, pour la conclusion d’un accord de libre‑échange avec la Nouvelle‑Zélande (7661/18),

Vu l’accord du 29 juin 2019 entre l’Union européenne et le Mercosur,

Vu les directives de négociation, adoptées le 17 septembre 1999 par la Commission européenne, d’un accord de libre‑échange entre l’Union européenne et le Mercosur et l’annonce, le 28 juin 2019, d’un accord politique relatif à cet accord de libre‑échange,

Vu le règlement d’exécution (UE) 2020/595 de la Commission du 30 avril 2020 portant octroi d’une aide au stockage privé de viande ovine et caprine et fixant à l’avance le montant de l’aide,

Vu le règlement d’exécution (UE) 2020/596 de la Commission du 30 avril 2020 portant octroi d’une aide au stockage privé de viandes fraîches et réfrigérées d’animaux d’espèce bovine âgés de huit mois et plus et fixant à l’avance le montant de l’aide,

Vu les déclarations du 12 mars 2020 du Président de la République, M. Emmanuel Macron, relatives à la souveraineté alimentaire,

Vu les déclarations du 2 avril 2020 de M. Thierry Breton, commissaire européen pour le marché intérieur, relatives aux limites de la globalisation,

Vu l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui définit comme un des objectifs de la politique agricole commune celui « d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture »,

Vu le rapport au Premier ministre de la Commission indépendante sur l’impact de l’AECG/CETA entre l’Union européenne et le Canada sur l’environnement, le climat et la santé, en date du 7 septembre 2017,

Vu le rapport remis le 18 septembre 2020 au Premier ministre sur les dispositions et effets potentiels de la partie commerciale de l’Accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable,

Considérant que le projet d'accord de libre-échange avec le Mercosur, par le niveau des contingents actuellement négocié, fragilisera le secteur agricole de l'Union européenne, en particulier la filière française de l'élevage bovin ;

Considérant que ces importations supplémentaires conduiront à exacerber la concurrence en défaveur du modèle européen de production ;

Considérant que les conditions réglementaires ne sont pas réunies au sein des pays du Mercosur pour garantir l'importation de produits alimentaires répondant aux exigences sanitaires des consommateurs européens ;

Invite le Gouvernement :

‒ à suspendre l’application de la partie commerciale de l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada tant que le Parlement n’aura pas ratifier le projet de loi relatif cet accord ;

‒ à maintenir son véto sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur.

Demande un arrêt total de toutes les négociations des accords de libre‑échange sur les filières ;

Exige que la Commission européenne veille au respect du principe de réciprocité et d’égalité des conditions de concurrences sanitaires, environnementales et de productions applicables aux importations des produits agricoles des pays tiers par rapport aux produits de l’Union européenne.