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N° 3991

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 mars 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la fuite
de documents confidentiels relatifs à la sécurité
du site de l’EPR de Flamanville,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mmes Mathilde PANOT, Émilie CARIOU et M. Loïc PRUD’HOMME,

député·es.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Plans précis au mètre près du site où se côtoient les trois réacteurs nucléaires, schémas des clôtures électriques et des alarmes qui y sont reliées, positions exactes des caméras et des détecteurs anti‑intrusion, vues des caméras et détails de leurs angles morts, plan des sas d’accès sécurisé et des détecteurs d’explosifs, fonctionnement des portillons […] Des schémas et plans de coupe des clôtures de l’EPR si précis que l’on voit quel type de vis et de boulon utiliser pour monter les grilles »

Mediapart, Nucléaire : la sécurité percée d’EDF, 6 décembre 2020([1])

Des plans d’une centrale dans la nature !

Le 6 décembre 2020, Greenpeace et Mediapart révélaient le scandale d’une fuite de données ultra‑sensibles concernant l’EPR de Flamanville. Des milliers de documents ont été reçus par l’association via un canal qui « n’a pas de lien, de près ou de loin, avec l’industrie nucléaire »([2]), laissant penser à une circulation dans des cercles bien éloignés de ceux habilités à recevoir ce type d’informations. Les documents contiennent des informations détaillées et confidentielles relatives au système de sécurité d’un site nucléaire. Ainsi, entre de mauvaises mains, ces documents pourraient donner lieu à des actes malveillants en tous genres : intrusion, sabotage de chantier, vol de matières radioactives, attaque terroriste, attaque aérienne…

Ces révélations sont alarmantes et la faible communication d’éléments concrets de la part des autorités au vu de la gravité de la situation inquiète. Dans l’enquête de Mediapart, EDF récuse le caractère protégé ou classifié de ces informations, car « visibles à l’œil nu ». Le Gouvernement, de son côté, reprend ces éléments de langage pour minimiser cette fuite. La ministre de l’écologie, Barbara Pompili, anciennement rapporteure de la commission d’enquête sur la sécurité et la sûreté des installations nucléaires, reste silencieuse sur le scandale. Or la typologie des documents révélés démontre qu’ils vont bien au‑delà de simples constatations à l’œil nu, remettant en cause la sécurité même du site et la possibilité de son démarrage.

Le nucléaire : une énergie incontrôlable

À l’origine de cette fuite, une cascade de sous‑traitance dans le chantier de sécurisation de l’EPR de Flamanville : 9 entreprises sont embauchées par EDF et 39 personnes sont nommées prestataires. Pour communiquer entre les différents acteurs, des informations confidentielles ont circulé par courriel, ont été stockées sur des ordinateurs personnels ou dans des clés USB, à rebours des règles de sécurité attendues pour ce type de documents. Leur nomenclature est de l’ordre de l’amateurisme : les documents sont tantôt estampillés « confidentiel protection », « diffusion restreinte protection site », ou « confidentiel ».

Tous ces problèmes sont bien connus. La commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires lancée en 2018 pointait déjà les risques liés la sous‑traitance en cascade pratiquée dans l’industrie nucléaire. Cependant, aucune leçon n’a été tirée de ces enseignements, malgré la promotion de la rapporteure dudit rapport au poste de Ministre de la transition écologique et solidaire.

Cette faille majeure de sécurité sur le chantier de l’EPR de Flamanville s’inscrit dans une suite d’échecs et de défaillances. On ne compte plus les incidents à répétition : fissures au radier, problèmes dans les systèmes de contrôle et de commande, mur de la piscine endommagé, cuve et couvercle défectueux, défaillance dans le circuit secondaire principal… Un vol de 150 cadenas sur des armoires de contrôle‑commande avait été constaté en 2018, portant déjà un coup à la sécurité du site. Par ailleurs, la société Bouygues, en charge d’une partie du chantier, avait été condamnée pour travail dissimulé : des polonais étaient embauchés via une succursale basée à Chypre, avec des contrats écrits en grec.

Pour rappel, le chantier de l’EPR avait démarré en 2007 pour une mise en service en 2012 et devait coûter 3 milliards d’euros. Son démarrage est maintenant repoussé à 2023, et le coût total s’échelonnera à 19,1 milliards d’euros d’après la Cour des comptes. Ainsi, le budget de l’EPR a augmenté de plus de 200 % depuis son démarrage, sans même produire d’électricité.

L’impasse de l’EPR de Flamanville n’est pas un cas isolé : que ce soit en Chine, en Finlande ou au Royaume‑Uni, c’est bien l’ensemble de la filière EPR qui démontre jour après jour ses failles structurelles.

En bref, cela fait des années que les alertes se sont multipliées. Le gouvernement n’a pas voulu les voir.

Une mise en danger collective

L’histoire du chantier de l’EPR de Flamanville est celle de déboires incessants, d’un puit sans fond que l’on renfloue à coups de milliards et d’une obstination difficilement compréhensible. La fuite de documents confidentiels démontre que la sécurisation des sites EPR n’est pas optimale au vu de l’importance que le Gouvernement a accordé à cette filière depuis 2007, et fait ainsi courir un grave danger qui engage la sécurité de la Nation et de ses citoyens.

Greenpeace a révélé fin octobre 2020 qu’un premier convoi avait livré du combustible nucléaire sur le site de Flamanville encore en travaux. EDF s’adonne ainsi à la politique du fait accompli, en feignant la mise en service d’un site nucléaire encore en chantier, et dont les conditions de démarrage sont loin d’être réunies. Mais surtout, ces livraisons apparaissent dangereuses à l’aune des récentes révélations.

Cette commission d’enquête vise donc à mieux éclairer les conditions d’une telle fuite de documents. Elle se donne plusieurs objectifs : documenter la sous‑traitance à l’œuvre sur le chantier de l’EPR, identifier les règles de sécurité relatives à la circulation de documents confidentiels, retracer et circonscrire la circulation des documents concernés, évaluer leur niveau de confidentialité et de danger, examiner et évaluer la nomenclature adoptée par les entreprises prestataires, apprécier la qualité et l’adéquation des moyens mis en œuvre pour parer au risque, évaluer le bien‑fondé de la poursuite du chantier. Elle tentera aussi de comprendre pourquoi les préconisations de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires lancée en 2018 dont la rapporteure était Madame Barbara Pompili, n’ont donné lieu à aucune action gouvernementale. 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer la chaîne de sous‑traitance à l’œuvre sur le chantier de l’EPR de Flamanville, les règles de sécurité relatives à la circulation de documents confidentiels en interne, de retracer et circonscrire la circulation des documents concernés, d’évaluer leur niveau de confidentialité et les risques qu’ils font peser, d’examiner et d’évaluer la nomenclature adoptée par les entreprises prestataires, d’apprécier la qualité et l’adéquation des moyens mis en œuvre pour parer au risque et d’évaluer le bien‑fondé de la poursuite du chantier.


([1]) https://www.mediapart.fr/journal/france/061220/nucleaire-la-securite-percee-d-edf?onglet=full

([2]) https://www.greenpeace.fr/epr-la-securite-du-reacteur-nucleaire-mise-a-nu/