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N° 4276

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à l’augmentation du télétravail des travailleurs frontaliers et à mener une réflexion européenne sur le statut des travailleurs frontaliers,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marion LENNE, Claire PITOLLAT, JeanBernard SEMPASTOUS, Xavier ROSEREN, Véronique RIOTTON, Frédérique LARDET, Fannette CHARVIER, Isabelle RAUCH, Bruno FUCHS, Laurence GAYTE, Annie CHAPELIER, Olga GIVERNET, Éric GIRARDIN, Pierre CABARÉ, Pascale BOYER, Sira SYLLA, Nicole LE PEIH, Valérie THOMAS, Frédéric BARBIER, Samantha CAZEBONNE, Nicole DUBRÉCHIRAT, JeanCharles COLASROY, David CORCEIRO, Stéphane CLAIREAUX, Françoise BALLETBLU,

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Selon le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (et s’appliquant aux pays membres de l’AELE), un travailleur frontalier désigne toute personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre et qui réside dans un autre Etat membre où elle retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine. Sont donc considérés comme des travailleurs frontaliers des personnes résidant en France ou en Suisse et traversant quotidiennement (ou au moins une fois par semaine) la frontière séparant ces deux pays pour se rendre dans l’un ou l’autre de ces Etats afin d’y exercer une activité professionnelle.

Le 11 avril 1983, la France et la Suisse ont signé une convention relative à l’imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers, instaurant un régime fiscal spécifique pour les travailleurs frontaliers, repris à l’article 17 paragraphe 4 de la convention, modifiée, entre les mêmes États, en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 9 septembre 1966. Les cantons parties à l’accord sont les cantons de Berne, Soleure, Bâle‑ville, Bâle‑campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura.

En vertu de celui‑ci, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires perçus par les travailleurs frontaliers ne sont imposables que dans l’État dont ils sont résidents, et non dans l’État dans lequel ils exercent leur activité ; Concrètement, pour les frontaliers résidant en France et travaillant en Suisse, la France reverse à la Suisse 4,5% de la masse totale des rémunérations brutes annuelles de ses travailleurs frontaliers. De la même manière, pour les travailleurs frontaliers résidant en Suisse et travaillant en France, la Suisse reverse à la France 4,5 % de la masse totale des rémunérations brutes annuelles de ses travailleurs frontaliers.

Toutefois, le canton de Genève n’a pas participé à l’accord du 11 avril 1983. En conséquence, les travailleurs frontaliers sont imposés à la source sur leurs salaires obtenus dans le canton. L’imposition est donc effectuée dans l’État du lieu de travail. En l’espèce, depuis 1973, ce canton verse une compensation financière de 3,5 % de la masse salariale brute aux départements français limitrophes (Ain et Haute‑Savoie) pour les frontaliers résidant en France et y travaillant.

Afin de lutter contre la propagation de covid‑19, des mesures ont été prises par les Etats parties pour limiter la présence physique des salariés sur leur lieu de travail dont notamment/par exemple un recours massif au télétravail. Dans ce contexte, la France et la Suisse ont passé un accord amiable concernant l’imposition des frontaliers exerçant en télétravail, qui est entré en vigueur le 14 mars 2020 (et a, depuis, été prorogé plusieurs fois). Aux termes de celui‑ci, : « à titre exceptionnel et provisoire, (…) il est admis que pour l’application du 1 de l’article 17 [de l’accord du 11 avril 1983 précité], les jours travaillés dans l’État de résidence, à domicile et pour le compte d’un employeur situé dans l’autre État contractant, en raison des mesures prises pour lutter contre la propagation du COVID‑19 sont considérés comme des jours travaillés dans l’État dans lequel la personne aurait exercé son emploi source des salaires, traitements et autres rémunérations similaires (« revenus ») en l’absence de telles mesures. ». Les travailleurs frontaliers, qu’ils résident en France ou en Suisse, ont ainsi pu travailler depuis leur pays de résidence à temps complet sans que cela n’affecte leurs revenus. Cet accord a été prolongé jusqu’au 30 juin 2021.

En vertu des règlements (CE) n° 883/2004 précité et (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004, un salarié exerçant son activité dans deux ou plusieurs États est soumis à la législation de l’État de résidence en matière de sécurité sociale, s’il exerce une partie substantielle de son activité dans cet Etat. En l’occurrence, une activité est dite « substantielle » lorsqu’elle représente plus de 25 % du temps de travail ou de la rémunération du salarié. En l’espèce, une activité exercée en télétravail par des travailleurs frontaliers depuis leur Etat de résidence est équivalente à une activité exercée dans deux Etats. Dans ces conditions, si l’activité télé‑travaillée représente plus de 25 % du temps de travail (soit un jour par semaine) alors les employeurs devront verser des cotisations sociales à l’État de résidence.

Enfin, en quelques semaines à peine, le télétravail est rentré brusquement et massivement dans la vie de millions de salariés et d’entreprises, y compris des quelques 500 000 frontaliers résidant en France. Avec le recul, nous mesurons le potentiel de cette nouvelle organisation du travail dans un monde de plus en plus numérisé. Les avantages tant pour les salariés que les employeurs sont nombreux : Les salariés peuvent répartir plus librement leur temps entre travail et loisir, ce qui assure une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; Pour les employeurs, le coût des charges baisse, avec par exemple la réduction de la surface des bureaux, en même temps que la satisfaction des employés (et donc la productivité) augmente. En effet, l’efficacité des salariés a été largement démontrée durant cette période.

Cette résolution vise donc à inciter l’Union européenne à lancer une large discussion entre Etats membres et Etats parties à l’AELE afin de repenser et d’adapter les régimes fiscal et d’assurance maladie des travailleurs frontaliers, afin de mieux appréhender la situation des travailleurs frontaliers, et à inciter l’Union européenne à lancer une consultation auprès des parties prenantes (travailleurs mobiles eux‑mêmes, entreprises, collectivités publiques etc.).

Elle invite aussi les mêmes parties à prendre acte des dispositions dérogatoires de l’accord amiable précité, en vertu duquel les travailleurs frontaliers, qu’ils résident en France ou en Suisse, ont pu travailler dans leur pays de résidence sans que cela n’affecte leurs revenus, en vue de la fin au 30 septembre prochain dudit accord.

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la convention entre la République française et la Confédération suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966,

Vu l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à l’imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers signé le 11 avril 1983,

Vu le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,

Vu le règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,

Vu l’accord amiable concernant les dispositions applicables aux revenus visés au 1 de l’article 17 de la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 à la suite des mesures prises dans le contexte de la lutte contre la propagation du covid‑19 du 13 mars 2020 et prorogé à plusieurs reprises,

Vu les recommandations (UE) 2020/1475 du Conseil du 13 octobre 2020 relative à une approche coordonnée de la restriction de la libre circulation en réaction à la pandémie de covid‑19,

Vu l’article 15 du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’Organisation de coopération et de développement économiques,

Considérant qu’un travailleur frontalier désigne toute personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre et qui réside dans un autre État membre où elle retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine en application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;

Considérant qu’un salarié exerçant son activité dans deux ou pusieurs États est soumis à la législation de l’État de résidence en matière de sécurité sociale, s’il exerce une partie substantielle de son activité dans cet État en application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;

Considérant que dans le cadre d’une évaluation globale, l’activité salariée est dite « substantielle » lorsqu’elle représente au moins 25 % du temps de travail ou de la rémunération du salarié en application du règlement d’application (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, et qu’en conséquence, une activité exercée en télétravail par des travailleurs frontaliers depuis leur État de résidence est équivalente à une activité exercée dans deux États. Dans ces conditions, si l’activité télé‑travaillée représente plus de 25 % du temps de travail (soit un jour par semaine) alors les employeurs devront verser des cotisations sociales à l’État de résidence ;

Considérant qu’en application de l’accord amiable du 13 mars 2020 passé entre la France et la Suisse, les jours de télétravail dans l’État de résidence pour le compte d’un employeur situé dans l’Etat cocontractant sont considérés comme constituant des jours de travail physique en l’absence de mesures exceptionnelles, et qu’en conséquence, les travailleurs frontaliers, qu’ils résident en France ou en Suisse, ont ainsi pu travailler depuis leur pays de résidence à temps complet sans que cela n’affecte leurs revenus ;

Considérant par ailleurs qu’il n’existe pas de données chiffrées, tant qualitatives que quantitatives, sur la situation des travailleurs frontaliers et leur impact sur l’économie des pays les abritant, sur le système de sécurité sociale, sur les pouvoirs publics en termes d’infrastructures ;

Considérant que l’accord amiable du 13 mars 2020 passé entre la France et la Suisse va prendre fin prochainement et que le recours au télétravail aura donc un impact sur le régime d’imposition ou le système de sécurité sociale auquel sont rattachés les travailleurs frontaliers ;

Considérant que l’épidémie de covid‑19 a mis en évidence la nécessité d’un recours accru au télétravail pour éviter sa propagation ;

Considérant que le recours au télétravail a mis en lumière des résultats très positifs tant du côté des salariés que des employeurs et ainsi que sur l’environnement ;

Considérant que le recours au télétravail est aujourd’hui plébiscité tant par les employeurs que les salariés ;

Estime nécessaire qu’un travailleur frontalier puisse être placé en télétravail plus d’un jour par semaine sans que cela n’ait de conséquences sur ses régimes fiscal et de sécurité sociale ;

Invite en conséquence le Gouvernement français à renégocier la convention fiscale du 11 avril 1983 passée avec la Suisse ;

Invite l’Union européenne à revoir la notion d’activité dite « substantielle », pour que les jours télétravaillés soient au moins équivalents à deux jours, sans que cela n’affecte la détermination de l’État auquel doivent être versés leurs cotisations sociales ;

Invite l’Union européenne à lancer une réflexion européenne sur le sujet du statut des travailleurs frontaliers, afin d’adapter les régimes fiscal et d’assurance maladie des travailleurs frontaliers, mais aussi de manière plus large, à lancer une consultation sur le statut des travailleurs frontaliers permettant d’avoir une vue d’ensemble sur la situation ;

Invite l’Union européenne et les État membres de l’Association européenne de libre‑échange à prendre acte des dispositions dérogatoires de l’accord amiable précité, en vertu duquel les travailleurs frontaliers, qu’ils résident en France ou en Suisse, ont pu travailler dans leur pays de résidence sans que cela n’affecte leurs revenus, en vue de la fin au 30 septembre prochain dudit accord.