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N° 4277

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête visant
à identifier les dysfonctionnements et manquements
de la politique pénitentiaire française,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Julien AUBERT, Édith AUDIBERT, Nathalie BASSIRE, Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Philippe BENASSAYA, AnneLaure BLIN, Émilie BONNIVARD, JeanYves BONY, Ian BOUCARD, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, JeanClaude BOUCHET, Bernard BOULEY, JeanLuc BOURGEAUX, Sandra BOËLLE, Marine BRENIER, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Fabrice BRUN, Gilles CARREZ, Jacques CATTIN, Gérard CHERPION, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, François CORNUTGENTILLE, MarieChristine DALLOZ, Claude de GANAY, Charles de la VERPILLIÈRE, Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Fabien DI FILIPPO, Éric DIARD, Julien DIVE, JeanPierre DOOR, Marianne DUBOIS, Virginie DUBYMULLER, PierreHenri DUMONT, JeanJacques FERRARA, Nicolas FORISSIER, JeanJacques GAULTIER, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, JeanCarles GRELIER, Claire GUION‑FIRMIN, Victor HABERT‑DASSAULT, Yves HEMEDINGER, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Sébastien HUYGHE, Christian JACOB, Mansour KAMARDINE, Brigitte KUSTER, Marc LE FUR, Constance LE GRIP, Geneviève LEVY, David LORION, Véronique LOUWAGIE, Emmanuel MAQUET, Olivier MARLEIX, Gérard MENUEL, Frédérique MEUNIER, Philippe MEYER, Maxime MINOT, Jérôme NURY, JeanFrançois PARIGI, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Nathalie PORTE, JeanLuc POUDROUX,Aurélien PRADIÉ, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Nadia RAMASSAMY, Julien RAVIER, Robin REDA, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Bernard REYNÈS, Vincent ROLLAND, Martial SADDIER, Antoine SAVIGNAT, Raphaël SCHELLENBERGER, JeanMarie SERMIER, Nathalie SERRE, Michèle TABAROT, Guy TEISSIER, Robert THERRY, JeanLouis THIÉRIOT, Laurence TRASTOURISNART, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Arnaud VIALA, Michel VIALAY, JeanPierre VIGIER, Stéphane VIRY, Éric WOERTH,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2019, d’après les chiffres du ministère de la justice, 45 % des peines de prison ferme n’ont pas été exécutées six mois après avoir été prononcées. Seulement un tiers des condamnés à de la prison ferme exécutent directement leur peine après le jugement. L’application des peines est pourtant une priorité de premier plan pour punir et prévenir les violences et l’insécurité. D’ailleurs Cesare Beccaria rappelait que la certitude de voir une peine être effectivement exécutée, est la seule vraie garantie de prévention de la récidive. Les Français ont d’ailleurs du mal à comprendre que les peines de prison ne soient pas effectuées.

Il faut noter que selon le rapport « Statistiques pénales annuelles », le taux d’incarcération en France est passé de 103,5 personnes détenues pour 100 000 habitants en 2010 à seulement 105,3 en 2020, sachant qu’il est de 138 détenus pour 100 000 habitants au Royaume‑Uni ou encore de 123 pour l’Espagne.

En même temps, la France fait partie avec la Turquie des cinq pays parmi les quarante‑sept du Conseil de l’Europe à afficher la densité carcérale la plus élevée. Au 1er janvier 2021, selon l’Observatoire international des prisons, 21 664 personnes étaient détenues dans des établissements dont le taux d’occupation est supérieur à 120 %. On comptait, par ailleurs, encore plus de 65 000 personnes incarcérées au 1er avril 2021, pour 60 775 places opérationnelles dans les 187 prisons du pays.

Depuis 2017, seules 2 000 places de détention ont été mises en service, sachant que ce sont des chantiers commencés sous François Hollande… 826 places ont été créées en 2019 avec l’ouverture de la maison d’arrêt de Paris‑La Santé et le quartier de semi‑liberté de Nanterre. En 2020, aucune nouvelle livraison n’est intervenue. Ces chiffres sont loin des 15 000 annoncées par le Gouvernement d’ici la fin du quinquennat. Quant au « Plan prison » présenté en mars 2018, il ne semble pas prendre la mesure de l’impératif de rénovation et d’extension du parc pénitentiaire français. Pour répondre à la surpopulation carcérale, le Gouvernement cherche à s’adapter au nombre de places de prison en diminuant le nombre de peines à travers la « régulation carcérale ». Or, c’est exactement l’inverse qu’il faut entreprendre : adapter le nombre de places de prison à l’évolution de la criminalité.

De même la surpopulation carcérale a poussé le Gouvernement pendant le premier confinement à libérer près de 10 000 détenus en un mois ; sur 25 centres de rétention administrative (CRA) opérationnels, seuls 7 sont restés ouverts. Plusieurs fichés S avaient été libérés par manque de place.

La surpopulation carcérale structurelle complique la prise en charge des détenus, la préparation à la sortie et la prévention de la récidive.

D’ailleurs, le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme condamnait la France pour l’indignité de ses conditions de détention et constatait la violation de l’article 3 de la Convention européenne qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. Dans cet arrêt historique, la Cour avait enjoint à l’État français de prendre des mesures structurelles pour résorber définitivement la surpopulation carcérale. Un impératif de réforme qu’elle n’a pas manqué de rappeler le 19 novembre dernier, évoquant « un ensemble de réformes que l’État défendeur doit mettre en place pour faire face au problème de la surpopulation carcérale (…). »

Outre la promiscuité, le manque d’hygiène et la multiplication des violences, la surpopulation carcérale entraîne, d’une manière plus générale, une prise en charge dégradée de la dignité des prisonniers, ce qui est également le cas en détention provisoire ou en maison d’arrêt. Elle est aussi à l’origine de conditions de travail particulièrement difficiles pour les agents pénitentiaires dont les mouvements de grève et de protestation se sont multipliés ces dernières années.

D’autre part, la surpopulation carcérale est un facteur important de risque pour la radicalisation. Un rapport du Sénat du 4 juillet 2018 relevait, à cet égard, qu’il était « incontestable que la surconcentration d’individus dans des lieux clos, sans activité pendant une grande partie de la journée (20 h sur 24 h en maison d’arrêt) favorise la circulation des idées les plus radicales. » La lutte contre le fondamentalisme religieux ne peut être séparée d’une nouvelle approche de la politique pénitentiaire qui prendrait cet enjeu de sécurité primordial pleinement en considération. De surcroit, la montée de l’islamisme politique en milieu carcéral doit pouvoir être mesurée. La question de l’efficacité du suivi des terroristes qui continuent de présenter une grande dangerosité à l’issue de leur peine de prison, doit également être soulevée. Les mesures de suivi sont actuellement insuffisantes ou inadaptées, notamment en raison du cadre constitutionnel particulièrement contraint.

Parallèlement, la question de l’éloignement des délinquants de nationalité étrangère se pose avec une acuité particulière dans la mesure où plus d’un détenu sur cinq en France est de nationalité étrangère. Dès lors, il convient d’une part de quantifier précisément les mesures d’éloignement qui sont prises à leur encontre et d’autre part d’analyser les obstacles existants.

Le traitement pénal et carcéral des mineurs mérite également toute notre attention compte tenu, là aussi, de son caractère inefficient. L’idée selon laquelle l’incarcération permettrait de remettre un jeune dans « le droit chemin » est, en effet, loin de la réalité.

Ainsi, eu égard aux grandes préoccupations que ces enjeux suscitent, non seulement pour les détenus et personnels de l’administration pénitentiaire, mais aussi pour l’ensemble des Français, il convient d’évaluer, sans aucune complaisance, les dysfonctionnements et manquements à l’origine des échecs répétés de la politique pénitentiaire française. C’est pourquoi, il nous incombe d’interroger les points de difficulté précédemment mentionnés : le nombre de place en prison, les conditions de détention, la réinsertion des détenus, sans négliger l’enjeu de l’exécution des peines, la question du traitement des délinquants mineurs ou encore la lutte contre la radicalisation en prison.

Par ses pouvoirs d’investigation, la Commission d’enquête sera à même d’y procéder en vue de proposer des solutions.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements et manquements ayant conduit aux échecs de la politique pénitentiaire française.

Cette commission sera notamment chargée :

– d’identifier les facteurs de la surpopulation carcérale et de la dégradation progressive des conditions de détention des personnes incarcérées en France ;

– d’étudier l’éventuel lien de causalité entre, d’une part, les conditions d’incarcération et, d’autre part, le phénomène de la radicalisation religieuse de personnes détenues ;

– d’établir le risque de la dégradation de la réponse pénale associée à l’insuffisance du nombre de places de prison et d’évaluer l’efficacité des aménagements des peines ;

– de mesurer notre incapacité grandissante à garantir l’accès aux dispositifs de réinsertion et de préparation à la sortie des personnes détenues ;

– de repenser le traitement carcéral des délinquants mineurs.