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N° 4328

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juillet 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à inscrire parmi les priorités de la présidence française de l’Union européenne l’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales,

 (Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Dominique POTIER, Mireille CLAPOT, JeanPaul LECOQ, JeanFélix ACQUAVIVA, JeanPhilippe ARDOUIN, Clémentine AUTAIN, Joël AVIRAGNET, Delphine BAGARRY, Erwan BALANANT, Frédéric BARBIER, Delphine BATHO, MarieNoëlle BATTISTEL, Thierry BENOIT, Grégory BESSONMOREAU, Barbara BESSOT BALLOT, Gisèle BIÉMOURET, Xavier BRETON, JeanLouis BRICOUT, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, MarieGeorge BUFFET, Émilie CARIOU, Michel CASTELLANI, Annie CHAPELIER, André CHASSAIGNE, Guillaume CHICHE, JeanMichel CLÉMENT, JeanCharles COLASROY, Olivier DAMAISIN, Yves DANIEL, Alain DAVID, Jennifer DE TEMMERMAN, Yolaine de COURSON, Cécile DELPIROU, Pierre DHARRÉVILLE, Jeanine DUBIÉ, JeanPaul DUFRÈGNE, Frédérique DUMAS, Laurence DUMONT, Stella DUPONT, Lamia EL AARAJE, Olivier FALORNI, Olivier FAURE, Paula FORTEZA, Albane GAILLOT, Guillaume GAROT, Guillaume GOUFFIERCHA, Fabien GOUTTEFARDE, David HABIB, Brahim HAMMOUCHE, Sacha HOULIÉ, Christian HUTIN, Caroline JANVIER, Sandrine JOSSO, Chantal JOURDAN, Régis JUANICO, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Sébastien JUMEL, Marietta KARAMANLI, Stéphanie KERBARH, Sonia KRIMI, Aina KURIC, Jérôme LAMBERT, FrançoisMichel LAMBERT, Fiona LAZAAR, Sandrine LE FEUR, Karine LEBON, Martine LEGUILLEBALLOY, Gérard LESEUL, Jacques MAIRE, Josette MANIN, Jean François MBAYE, Graziella MELCHIOR, Ludovic MENDES, Marjolaine MEYNIERMILLEFERT, Bruno MILLIENNE, Paul MOLAC, Sandrine MÖRCH, Sébastien NADOT, Philippe NAILLET, Danièle OBONO, Matthieu ORPHELIN, Jimmy PAHUN, Xavier PALUSZKIEWICZ, Bertrand PANCHER, Pierre PERSON, Bénédicte PÉTELLE, Valérie PETIT, Stéphane PEU, Bénédicte PEYROL, Sylvia PINEL, Christine PIRES BEAUNE, Florence PROVENDIER, Valérie RABAULT, Richard RAMOS, PierreAlain RAPHAN, Hugues RENSON, Cécile RILHAC, Laurianne ROSSI, Claudia ROUAUX, Fabien ROUSSEL, François RUFFIN, Maina SAGE, Isabelle SANTIAGO, Nathalie SARLES, Hervé SAULIGNAC, Denis SOMMER, Aurélien TACHÉ, Marie TAMARELLEVERHAEGUE, Bénédicte TAURINE, Stéphane TESTÉ, Sabine THILLAYE, Valérie THOMAS, Élisabeth TOUTUTPICARD, Frédérique TUFFNELL, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEURCHRISTOPHE, Boris VALLAUD, Michèle VICTORY, Cédric VILLANI, Stéphane VIRY, Martine WONNER, Hubert WULFRANC,

députés.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Souvent racontée par le prisme des événements fondateurs ou des personnages qui l’incarnent, l’histoire des grands combats humanistes est également, et peut‑être davantage, celle d’une formidable circulation des idées et des outils, marquée par des cycles politiques qui ne révèlent leur fécondité qu’avec le temps. C’est ce que nous apprend la chronologie des luttes émancipatrices comme celle pour l’abolition de l’esclavage, proclamée pays après pays tout au long du XIXe et du XXe siècle, ou celle qui a abouti aux premières lois françaises sur les accidents du travail dans le contexte de révolution industrielle en 1898, après des années de travail de la part de quelques députés infatigables.

À cet égard, l’adoption par la France le 27 mars 2017 de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, apparaît a posteriori comme la conclusion d’un cycle de cinq années de mobilisation de la société civile au sein d’une coalition unissant ONG, syndicats, universitaires, et parlementaires issus de divers horizons politiques. Ce jour‑là, la France effectuait un premier pas prudent mais avant‑gardiste dans son principe : une obligation pour les multinationales de prévenir de façon effective les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement au bout de la rue comme au bout du monde, un devoir de vigilance par‑delà les frontières. Cette loi « passe‑muraille » prévoit ainsi de lever le voile juridique qui organise l’impunité des donneurs d’ordres face aux victimes invisibles de leurs filiales, de leurs sous‑traitants et de leurs fournisseurs.

Contrairement à ce qui fut avancé par les partisans du statu quo, avec le devoir de vigilance la France n’était pas isolée mais pionnière ! Pionnière dans le monde, en transcrivant pour la première fois dans le droit dur les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, approuvées par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en juin 2011. Pionnière au sein de l’Union européenne, où le courage d’une nation, ou d’un groupe d’entre elles, reste le chemin le plus court pour faire avancer une idée.

Et pour preuve : la loi fait aujourd’hui doublement école en Europe. D’abord, dans les États membres comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Finlande, la Norvège, le Luxembourg et les Pays‑Bas, où des législations nationales sont en cours d’élaboration et d’adoption. Ensuite, et de façon complémentaire, au niveau de la Commission et du Parlement européens où s’élabore un projet de directive pour instaurer un devoir de vigilance dans l’Union, moins de cinq ans après la loi française. Après avoir commandé une étude approfondie sur le devoir de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement et organisé une consultation de l’ensemble des parties prenantes, la Commission devrait proposer une première version de la directive dans les prochains mois. De son côté, le Parlement n’a pas attendu la publication de ce texte pour adopter dès le 10 mars dernier une résolution contenant ses recommandations à la Commission sur les contours de la future législation. Tous ces travaux nous disent la même chose : il est urgent de créer de nouveaux droits et devoirs dans la mondialisation qui, ici comme ailleurs, rendent cette dynamique « vivable » pour tous.

Au regard du calendrier, et notamment dans la perspective de la Présidence française de l’Union européenne qui débutera le 1er janvier 2022, le moment est on ne peut plus opportun pour que la France, par l’intermédiaire du Gouvernement et de la représentation nationale, fasse entendre sa voix. Une voix qui dise notre détermination à faire adopter une directive ambitieuse et remette en lumière les principes fondamentaux de la loi française. En effet, la multiplication des initiatives législatives en Europe est salutaire, mais elle ne doit pas pour autant conduire à un abaissement des exigences au cours des débats à venir, qui amoindrirait la portée du devoir de vigilance.

Sans préjudice des discussions en cours autour d’un traité onusien sur le respect des droits humains par les entreprises multinationales, l’Europe peut dès à présent être le cadre et le creuset d’un nouvel humanisme qui sera une force dans la mondialisation. L’émergence d’un modèle d’entreprise à l’échelle de l’Union doit pallier une fragmentation juridique source de concurrence déloyale, et nous différencier du néolibéralisme anglo‑saxon comme du capitalisme d’État chinois. Ni fermeture, ni ultralibéralisme mais une troisième voie qui place l’Homme au centre du développement et renoue avec le principe de responsabilité. C’est sur cette voie que, loin de la nostalgie des nations solitaires, nous sommes désormais appelés à la « souveraineté solidaire » imaginée par Mireille Delmas‑Marty.

Enfin, au cœur de l’année internationale de l’élimination du travail des enfants, cette proposition de résolution européenne trouve un écho particulier. Alors que les dernières décennies ont vu le recul progressif de ce fléau, les experts de l’Organisation Internationale du Travail ont récemment révélé que 160 millions d’enfants travaillaient dans le monde – soit une augmentation de 8,4 millions d’enfants au cours des quatre dernières années, la première depuis 20 ans. Et dans les prochains mois, les effets directs et indirects de la pandémie pourraient bien entraîner le retour de nombreux autres enfants dans les mines, les champs et les usines.

C’est cette face sombre de la mondialisation, celle de l’appauvrissement et de l’asservissement des plus fragiles à l’abri des regards, à laquelle la future directive européenne doit définitivement mettre fin.

Sur une planète aux ressources finies, dans un monde rendu dangereux par la misère et la barbarie, dans une société en quête de sens, nous appelons donc la représentation nationale à « s’unir dans la diversité ». Ensemble, nous demandons au Président de la République et au Gouvernement de défendre en Europe la mise en place d’un devoir de vigilance reprenant a minima les avancées de la loi française.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché,

Vu le règlement (UE) 2017/821 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque,

Vu la communication de la Commission du 11 décembre 2019, « Le pacte vert pour l’Europe », COM (2019) 640 final,

Vu les résolutions du Parlement européen du 25 octobre 2016 sur la responsabilité des entreprises dans les violations graves des droits de l’homme dans les pays tiers,

Vu le programme de développement durable à l’horizon 2030 de l’Organisation des Nations unies, adopté en 2015, notamment les dix‑sept objectifs de développement durable,

Vu le cadre de référence des Nations unies de 2008 pour les entreprises et les droits de l’homme intitulé « Protéger, respecter et réparer »,

Vu les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations unies de 2011,

Vu la résolution 26/9 adoptée lors de la vingt‑sixième session le 26 juin 2014 par le Conseil des droits de l’homme,

Vu la déclaration de l’Organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998 et son suivi,

Vu la déclaration de principes tripartite de l’Organisation internationale du travail sur les entreprises multinationales et la politique sociale de 2017,

Vu la loi n° 2017‑399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés‑mères et des entreprises donneuses d’ordre,

Vu la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises 2020/2129 INL et son annexe,

Vu l’étude de janvier 2020 réalisée pour la Direction générale de la justice et des consommateurs de la Commission européenne, intitulée « Exigences liées au devoir de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement »,

Considérant que la France a ouvert la voie à une nouvelle forme de régulation des activités des entreprises multinationales, de leurs filiales, ainsi que de leurs sous‑traitants et fournisseurs, en promulguant la loi n° 2017‑399 le 27 mars 2017 ;

Considérant que cette loi « passe‑muraille » a enclenché un processus générateur de droit à l’échelle planétaire, permettant d’identifier les atteintes graves à la dignité humaine et à l’environnement sur l’ensemble de la chaîne de valeur, et d’esquisser des solutions structurelles dans les régions et les filières concernées ;

Considérant que la législation française fait école en Europe, en inspirant notamment des initiatives similaires dans les États membres, dont l’Allemagne, les Pays‑Bas, l’Autriche, la Finlande, la Belgique et le Luxembourg, et qu’il convient de prévenir un risque de fragmentation juridique au sein de l’Union ;

Considérant que les travaux conjoints du Parlement européen et de la Commission européenne plaident pour l’adoption d’une directive ambitieuse sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises ;

Considérant que la mise en œuvre d’un devoir de vigilance par l’Union européenne contribuerait à renforcer son action extérieure, notamment en faveur de la solidarité entre les peuples, du maintien de la paix, de l’élimination de toutes les formes de pauvreté, de la protection des droits de l’homme, du développement durable, du commerce libre et équitable, conformément aux articles 3 et 21 du Traité sur l’Union européenne ;

Considérant que l’Union européenne doit jouer un rôle moteur dans les négociations en cours au sein du groupe de travail intergouvernemental des Nations unies visant à élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises concernant les droits de l’homme ;

Considérant que l’existence d’un voile juridique séparant les sociétés‑mères et donneuses d’ordre de leurs filiales, fournisseurs et sous‑traitants constitue, pour les victimes d’atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement commises par des sociétés, une entrave au droit à un recours effectif, garanti par l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

Considérant que l’année 2021 a été déclarée année internationale pour l’élimination du travail des enfants par les Nations unies, tandis que l’Organisation internationale du travail recensait encore 152 millions d’entre eux au travail en 2019 ;

Considérant que la future législation de l’Union s’inscrirait dans la construction d’un nouveau modèle d’entreprise européen, héritier d’un humanisme qui sera une force dans la mondialisation et un facteur de prospérité au sein de l’Union ;

Invite le Gouvernement à inscrire parmi les priorités de la présidence française de l’Union européenne en 2022 l’avancée des négociations autour d’une directive qui, comme le prévoit la loi française, impose aux entreprises de mettre en œuvre de manière effective des mesures adaptées d’identification et d’atténuation des risques et de prévention des atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement sur leur chaîne de valeur ;

Estime, que l’évaluation de la loi n° 2017‑399 du 27 mars 2017, de ses forces et de ses voies de progrès, constituerait une ressource précieuse pour la Commission afin d’élaborer un projet de directive, et pour le Gouvernement dans la perspective des négociations au Conseil ;

Encourage la Commission, comme l’a précédemment fait le Parlement européen dans sa résolution du 10 mars 2021 en faveur d’une législation contraignante sur les multinationales, à présenter dans les meilleurs délais une telle législation ;

Demande en conséquence à la Commission de proposer une législation qui :

1. Garantisse et facilite l’accès à la justice et à des réparations pour celles et ceux dont les droits ont été affectés par l’activité des entreprises et de leur chaîne d’approvisionnement ;

2. Prévoie systématiquement la consultation des parties prenantes et la participation des salariés, en tant que parties constituantes, au processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation des mesures de vigilance des entreprises ;

3. Permette à toute personne justifiant d’un intérêt à agir d’engager la responsabilité civile des entreprises quand elles manquent à leurs obligations de vigilance.